VOYAGES Le Soleil de Colombie, vendredi 9 septembre 1988 - 11 Semaine a Séoul ‘Par Jean-Claude Boyer Suite de la semaine derniére Parvenus au centre-ville, nous nous retrouvons bient6t dans un immense marché, le plus grand d’Asie, parait-il. Quel incroyable bazar! Des édifices de trois ou quatre étages s’étendant sur une distance d’unedizainede rues! On y vend de tout: oreillers, perroquets, oeufs dans leurs contenants de paille, tissus empilés jusqu’au plafond dans des_ coloris d’arc-en-ciel, boites a bijoux, tortues... La section des fruits © de mer est une féerie de poissons tropicaux, un véritable _ monde marin. Poissons séchés sur batons et cordes: on dirait des mobiles. Réservoirs en plastique de couleurs vives ou s’agitent une infinité de monstres minuscules. prends vite que seuls les marchands de soieries aiment se faire photographier..., pas les vendeurs de lampes ou de concombres! La faim nous tenaille. Repas coréen plantu- reux pour 2,25$: délicieux! Nous traversons ensuite un passage surélevé tremblant, encombré de marchandises. Timselaisse tenter par un grand sac en cuir qu’il finit par obtenir pour 2,000 wons (3$). Ce «pont piétonniem, il le considére peu sécuritaire pour des raisons ~ scientifiques qui me dépassent. Je tombe de fatigue, surtout a cause de la chaleur lourde. Retour a notre nouvelle auber- ge. Je me retrouve dans une chambre recouverte de tapis nattés (sans lit, style japonais) avec deux Anglais épris de deux jolies Australiennes qui doivent retourner au pays des kangou- rous tot demain matin. Un couple est déja enlacé tandis que l'autre Roméo attend avec impatience sa Juliette qui, me dit-il, a consenti a échanger quelques mots avec un Coréen follement amoureux d’elle. La jeune fille revient tout éplorée: il voulait la forcer a|’embrasser. «ll ma dit quil était prét.a passer la nuit a I’entrée dans l‘espoir que je vienne |'‘embras- ser, raconte-t-elle 4 son amie, la voix étranglée par |’émotion. Les deux Britanniques descen- dent aussitét le chasser. A leur retour, la Belle est déja consolée. Et voila les amoureux dans les bras les uns des autres, tandis que je me_ lisse, infiniment seul, dans mon drap de couchage. Extinction des lumiéres. Les conversations . tournent aux chuchotements brdlants. Je coule enfin dans le sommeil sur accompagnement de baisers roucoulants. Le lendemain matin, avant de quitter la chambre, les deux nouveaux veufs me demandent mon adresse et me donnent le leur; eux aussi doivent s’en retourner dans leur pays aujourd'hui. J’aime leur joie.de vivre et leur accent a la Prince Charles. Il pleut abondamment. Je traverse un autre passage surélevé, aux escaliers. de longueur indécente, pour me rendre dans un café-patisserie désert ot je commande un café J’ap- | -parapluies. Mais Récit d’un tour du monde et deux beignes. Aprés ce petit déjeuner frugal, la serveuse, niayant rien a faire, vient s’asseoir a une table voisine avec une collégue et y dépose un panier de péches et de prunes. Elle m’offre un fruit d’un geste gracieux et... m’apprend a dire «merci» en coréen: «Kamsa hamnida». Mes efforts mala- droits («Hamsakamsida») pour répéter correctement ce mot si simple... pour elles déclen- chent des rires discrets. Je m’empresse ensuite a un autre rendez-vous aux Korean Airli- nes. Au sortir de |’édifice, il pleut encore, et ca tombe dru. J’attends a |’abri que la pluie diminue en observant les gens qui se précipitent ou attendent les bus sous une forét de cest un déluge! J’entre dans un «Coffee Shop» attrayant, mon arche de Noé. On m’y sert a peine la moitié d’une tasse de café. Je demande qu’on la remplisse. La derniére gorgée avalée, la tasse est déja disparue. Etrange. La pluie cesse peu a peu. Les” marchands ambulants réinstal- lent leurs «poéles de trottoir» pour faire griller des épis de - mais ou rétir tout ce qui est «rétissable». Le hasard me fait rencontrer deux jeunes gens qui viennent d’échouer a leurs examens d’anglais, eux qui veulent devenir guides touristi- ques! Ils ont l’air sympathique. Bien entendu, ils me deman- dent si je consentirais a les laisser me guider pour pratiquer cette langue barbare. Je ne demande pas mieux. Triple «Kamsa hamnida». Rendez- vous demain a 9 heures. Avant de nous quitter, ils m’appren- nent qu’en Corée les nouveaux- la Lumiére», nés ont déja un an! Je viens d’avoir 41 ans, le 8 juillet; j'aurais donc, selon la tradition coréenne, 42 ans! : Le 13 juillet. Les deux camarades sont au rendez-vous avec un troisiéme, Moon Jang. Les deux jeunes rencontrés hier doivent vaquer, disent-ils, Ades occupations imprévues. Le nouveau venu, fort gentil, a |’air ravi que j’accepte sa compa- gnie. Petit déjeuner agréable au cours duquel il se montre friand de mots anglais nouveaux: chacun semble une pépite d'or. Je lui propose de m’aider a faire du magasinage au lieu de visites. ll accepte volontiers. Et nous voila bient6t en train de marchander, sandwichés entre les multiples étalages de l’immense marché. Tout en prenant le temps d’observer mille détails, j’aché- te des souliers de marche, un blue-jean, un sac a bandouliére et une casquette pour a peine 25$! Malgré ses protestations, je parviens a offrir Aa mon nouvel ami un bon repas - aux nombreux petits plats -au cours duquel il me suggére fortement d’aller visiter Kyongju et Pusan, de ne pas manquer le Village Folklorique Coréen, de me rendre a Panmunjon, dans la zone démilitarisée... Pour |’ins- tant, il me convainc de visiter, prés de |’édifice du gouverne- ment, plusieurs batiments historiques prestigieux. (Je passerai sous silence une litanie de noms coréens qui alourdiraient inutilement mon propos.) : Nous voici d’abord devant la «Porte de la Transformation par vers laquelle converge un boulevard a dix voies, puis dans le «Jardin secret», grande étendue boisée qui dissimule de romantiques étangs... A proximité: les palais du «Bonheur rayonnant» et de l’«lllustre vertu», des pavillons, un sanctuaire, le Musée national (poterie, boud- dhas), le Musée national de Folklore... Je suis particuliére- ment intrigué par une sorte d’imprimante en usage dans ce pays bien avant |’invention de Gutenberg. Nombreuses réfé- rences a |’occupation japonaise (1910-45). Immersion totale dans l'histoire, les traditions, la religion... Les merveilles que jy admire exigeraient sans doute des pages de description dans les guides touristiques. Un peuple d’oiseaux semble célé- brer encore la magnificence des cours royales qui s‘y sont succédées. Repos bien mérité sur un banc ombragé. La legon d’anglais continue. Mon _ guide-éléve prononce «fark» au lieu de «park»... Je lui fais remarquer surun ton badin que|l’apprentis- sage de l'anglais semble une ~ véritable obsession nationale. — Et nous voila repartis. Visite d’un grand centre d’achat moderne souterrain. Une Coré- enne assise dans un escalier invite les passants a choisir un de ses deux oiseaux encagés pour lui faire choisir 4 son tour, avec son bec, une des ‘nombreuses cartes-horoscopes rangées dans une _ boite, moyennant une petite rétribu- tion, bien’ sGr. Je me laisse prendre: je deviendrai riche et célébre, il va sans dire. Avant de nous quitter, en début de soirée, Moon Jang me conseille de déménager a l'auberge Daeji: «C'est moins cher pour un voyageur solitaire... l‘ambiance y est plus amicale et c’est encore plus central». Et il ajoute: «Pourquoi n jirais-tu pas visiter le Village Folklorique demain?» Pourquoi pas? Il me donnealors les renseignements dont j'ai besoin. Adieux, agrand renfort de «Kamsa hamnida», serrements de mains avec inclinaison de la téte, et je me rends a l'auberge Daeji sur-le-- try champ. C’est fait. J’ai bientét ma chambre a moi, . avec. matelas par terre, rien d’autre. Longues conversations «routar- diennes» dans la cour intérieu- re. Je me sens déja chez moi dans cette nouvelle auberge, grace surtout a la_ salle “commune - avec télévision - ot des voyageurs venus surtout d’Europe et d’'Amérique du Nord échangent aventures, rensei- gnements, conseils, commen- taires, réflexions, plaisanteries. [Suite la semaine prochaine)