10 Le vendredi 9 janvier 1998 RECAPITULONS La période des fétes est Voccasion, pour les studios américains, de parcourir un sprint final avant la fin de l'année. Une course pendant laquelle les films susceptibles de récolter les mises en nomi- nation aux Oscars (et done d’allonger leur temps de diffusion, et d’augmenter ainsi leurs profits) sont mis de Vavant. On sait déja que Titanic est en nomination pour huit Golden Globe (les prix remis lP’Association ‘des par jour- nalistes étrangers aux Etats- Unis), un excellent précurseur aux Oscars. L’oceasion s’avére donc belle, au retour des vacances, pour effectuer un bref retour en arriére, histoire d’examiner la récolte des fétes de 1997. Bent de Sean Mathias dapté d’une piéce de théatre créée en toe par. fe Britannique Martin Sherman, Bent “évoque un aspect moins connu de !’Holocauste ; VPétoile rose, réservée aux homosexuels internés dans les camps de concentration allemands. Le film débute sur une séquence d’orgie, dans un night-club décadent Aa Vambiance fellinienne, sur laquelle préside Greta, un travesti interprété par le chanteur Mick Jagger. C’est une période « d’mnocence >» rapidement interrompue par la « Nuit des longs couteaux » pendant laquelle les troupes nazies effectueront une série d’arrestations et d’inter- nements. L’un des par- ticipants A cette orgie, Max (Clive Owen), un homosexuel héritier d’une grande for- tune, comprend trop tard le sérieux de la menace nazie. II est interné A Dachau, ot il rencontre Horst (le Qué- bécois Lothaire Blutheau). Entre les deux hommes se développera une relation amoureuse unique, une occasion pour Max de découvrir sa __ véritable nature. Le film de Sean Mathias trahit parfois ses origines théAtrales. La stylisation et le rythme des dialogues con- ferent aux acteurs une dimension en marge de leur environnement. Le film transmet avec une mal- heureuse efficacité la mo- notonie des activités confiées a Max et a Horst par les nazis ; celle de transporter des pierres d’un tas a l’autre et vice versa. Mathias, dont cest le premier film, signe une mise en scene brillante mais un peu froide. Malgré tout, Bent se veut et réussit & étre une chronique tou- chante sur les horreurs de Vintolérance ; envers les homosexuels certes, mais aussi envers tous _ les marginaux de notre société. Un film malheureusement de nos jours encore trés a propos. Scream 2 de Wes Craven Le premier Scream a rehaussé la popularité du genre du cinéma d’horreur en y injectant une certaine dose d’ironie. Le film tablait sur les clichés du genre, établissant ainsi complicité avec le spectateur. Scream 2 poursuit dans cette veine interactive en in- voquant les clichés des suites (« sequels ») de films & grands succés. I] s’agit avant tout d’un concept opportuniste autour d’un scénario mince et qui répéte essentiellement la trame narrative de Poriginal. La Torontoise Neve Campbell revient dans le réle de Sydney, celle par qui toutes les horreurs arrivent. Courtney Cox (de la série télé Friends), David Arquette et Laurie Metcalfe (de la série télé Roseanne) accom- pagnent Campbell dans ses nouvelles pérégrinations au royaume du cauchemar. Une mise en scéne diablement efficace ne peut masquer cependant l’impression de déja-vu. Jackie Brown de Quentin Tarantino Surprenante déception que ce dernier film du réalisateur de Pulp Fiction. Adapté du roman Rum Punch d’Elmore Leonard, Jackie Brown met en vedette une | Pam Grier (dans un retour a Pécran que lon _ veut comparable & celui de John Travolta) dans le réle d’une agente de bord transportant de l’argent illégalement pour un revendeur’ d’armes, Ordell Robbie, | magni- fiquement interprété par Samuel L. Jackson. Tarantino met en scéne un scénario efficace, étonnamment sobre. Certes on y retrouve les dialogues empreints d’ironie et bourrés de références sur la culture populaire qui font la marque de l’oeuvre de Tarantino et la bande sonore évoque les beaux jours de la musique soul. Cependant le film demeure plat, prévisible et effroyablement long. Le cinéaste n’y apporte que trés peu Woriginalité et le film évoque davantage certains épisodes de Hawai 5-0 ou Mannix que ‘le sentiment d’une oeuvre originale et moderne. ‘Deconstructing Harry de Woody Allen Harry Block (Woody Allen) et Lucy (Judy Davis) Ce vingt-huitiéme long- métrage du cinéaste new- yorkais intégre magni- fiquement certains styles empruntés au cours de sa longue et fructueuse carriére. Deconstructing Harry é- voque le cinéma-vérité de Husbands and Wives, \’as- pect onirique de Stardust Memories et méme |’am- biance surréaliste de ses premiers films. C’est un Woody Allen en forme qui nous offre un film joyeusement méchant et regorgeant de ces répliques dont lui seul est capable. Le cinéaste s’emploie a brouiller les pistes avec les médias qui ont si souvent spéculé sur la nature auto- biographique de son oeuvre. Woody Allen interpréte le role d’un écrivain, Harry Block, flottant entre ses vies fictives et réelles. En op- posant un générique typi- quement hollywoodien (Demi Moore, Kirstie Alley, Robin Williams), pour illustration de Poeuvre de écrivain, face 4. un « générique new-yorkais » (Eric Bo- gosian, Amy Irving, Bob Balaban) pour décrire la réalité de Harry Block, Allen » souligne la simplicité des propos médiatiques sur Pinspiration artistique. Un film vivant et jeune, osé et épicé, comme Woody Allen ne nous en avait offert depuis belle lurette. The Postman de Kevin Costner Ce monument a l’ego de la star _hollywoodienne 2 \ eS is 2 s’avére le pire film d’une carriére qui, décidément, progresse en dents de scie. Costner réalise et interpréte le rdle principal de ce film de ‘science-fiction a la prémisse mince et ridicule. Kevin Costner, |’acteur, n’apporte aucune nuance a son jeu et démontre qu’il peut é@tre capable du pire. Son personnage de héros solitaire est opposé a celui d’une espéce de fasciste (Will Patton), lui aussi tout autant nuancé qu’une baleine dans un aquarium. Costner, le démontre un Kevin réalisateur, -manque de talent pour la direction d’acteurs et la -cohérence dramatique. On ne sait trop ot Costner s’en va et franchement, aprés une heure de projection (le film en dure trois), on s’en fout. Un échec cuisant. Titanic de James Cameron Le film le plus attendu de Pannée, le film le plus cher de histoire du cinéma (200 millions $ américains !) ; les médias de la planéte ont anticipé un désastre finan- cier et artistique qui n’a pas eu lieu. Parce que Cameron a fait le choix heureux de contrebalancer le naufrage du plus célébre paquebot au monde avec une _ histoire d’amour classique. Pour une fois les acteurs principaux, Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, ne sont pas écrasés par le faste des effets spéciaux et la dimension épique du scénario. cette histoire Certes, d’amour est teintée d’un bleu azur et certains personnages frisent la caricature, mais ces limites nenlévent rien a la qualité du jeu des acteurs prin- cipaux et aux commentaires sociaux, surprenants, que propose le cinéaste. La derniére heure du film, consacrée au naufrage du Titanic, illustre lim- mense savoir-faire technique de Cameron. Tout comme les passagers, le spectateur absorbe tranquillement Yampleur de l’accident. Pro- gressivement et indubi- tablement, ce qui ne sem- blait qu’un simple — ac- crochage avec un iceberg se transforme en un véritable cauchemar. Maleré la complexité technique, les pressions immenses qu’im- plique un tel budget et la présence de Céline Dion sur la bande sonore. James Cameron a su créer un film émouvant ; un film qui n’a pas perdu son Ame. SYLVAIN AUMONT