Le Moustique Volume 4 - 8° édition ISSN 1496-8304 Aout 2001 Il avait donc, tout a fait par hasard, un ami dans ce camp et celui-ci avait deux tentes. Quelle heureuse coincidence ! Je me retiens de lui demander comment il se protégeait les jours avant, quand il pleuvait tant. Avait-il rencontré un autre ami a chaque fois qui, chacun, voyageait avec son matériel en double ? Je ne veux pas paraitre plus impudent qu’étonné ; je reste donc silencieux, mais, j’en suis | certain, avec la bouche bée et le regard hébété. II s’explique tout de méme : il est venu faire le sentier ' avec une jeune cousine. Une jeune cousine, tiens donc ! Une tante Jeanne sans doute ? Oui ! Et puis elle l’a quitté parce que devenue soudain malade. Un ami, un autre probablement, qu’il avait contacté par cellulaire, est venu la prendre en bateau a hauteur de pointe Owen. Elle est partie avec la tente et une bonne partie du matériel. Qu’une jeune femme I’ait accompagné, c’est possible ; bien qu’il n’ait rien d’un Adonis. Qu’elle le quitte aprés deux jours n’a absolument rien de surprenant. Il est méme tout a fait normal qu’elle ait été malade. Mais qu’il ait continué la ballade sans matériel est tout a fait inattendu et, la ot je perds pied complétement, c’est en tentant de comprendre comment il peut encore avoir un sac a dos aussi lourd alors qu’elle est repartie avec, semble-t-il, plus de la moitié de son équipement ? C’est un vrai mystére ! Je rejette d’emblée l’hypothése qu’ il y transporte le corps de son amie aprés l’avoir trucidée pour ne pas |’écouter religieusement en permanence. Ce n’est pas raisonnable : sil a gardé le corps, il aurait pu garder également la tente. Ce ne sont pas des livres ; je ne le crois pas lecteur assidu. Ni des poids et haltéres ; il n’est pas si fana de sport. Alors quoi, bon sang ! Je lui préte bien volontiers le tapis de sol dans le secret espoir qu’il me laissera jeter un coup d’ceil indiscret dans son sac. Mais il prend la toile, avec force remerciements, tout en allant a distance déballer secrétement ses affaires. I rajoute tout de méme qu’ il reviendra tout a l’heure pour partager notre souper et tenir une petite conversation. Je regarde autour de moi, affolé, mais il n’y a pas d’échappatoire. Il n’y a aucun endroit pour se cacher et le prochain camp est a dix kilométres. Ma fille qui nous a entendus a abandonné la cuisine. Elle a reconnu, trois tentes plus loin, le jeune guide musclé et son américaine. Je ne pourrai pas compter sur elle et il ne faut surtout pas laisser briler le saumon. Elle est revenue quelques heures plus tard, alors que, le guide enfin parti, je m’apprétais a me coucher. J’ai la téte lourde et les oreilles bourdonnantes : le guide m’a tout raconté sur lui et ses affaires. Absolument tout, sauf le contenu de son sac. - Jespére que tu n’as pas faim. J’ai un peu trop cuit le saumon mais, malgré tout, cela a bien plu a notre visiteur. Il a tout mangé ; il n’a rien laissé. - Net’inquiéte pas pour moi. J’ai été invitée a souper par ce gentil garcon. Te souviens-tu de lui ? - Bien str. - Tune peux t’imaginer, il est absolument charmant et, en plus, merveilleux cuisinier. Le poulet réti aux baies de Salal était un vrai délice. Il y avait méme un peu de vin ! A suivre dans le prochain Moustique. Jean-Jacques Lefebvre Page 16