ja 6— Le Soleil de Colombie, vendredi 17 janvier 1986 Souvenirs de voyage Par Jean-Claude Boyer De retour d'un tour du monde d'un an, Jean-Claude Boyer, Québécots qui uit en C.-B., deputs 6 ans, relate quelques-uns de ses souvenirs. Cette semaine il explique son expérience de ft- gurant dans un film indien. En arrivant 4 Bombay (Inde) d’Athénes (le matin du_ di- manche 27 janvier 1985) avec 5 compagnons de voyage, j'ai l’im pression de m’aventurer sur une autre planéte: chaleur humide écrasante, une foule agitée par- tout, des rats, des vaches sacrées bossues aux cornes colorées, des charrettes du siécle dernier, des voitures de la fin des années 40, un cortége de mendiants in- firmes... Aprés avoir loué des chambres a 8$, nous décidons, moi de me coucher, mes com- pagnons de marcher au hasard. A leur retour, mes compagnons m’annoncent qu'une Indienne cherche des blancs pour figurer dans un film. Ils ont présumé que jaccepterais, comme eux. Nous voila donc, le lendemain matin, dans un vieux bus rempli de blancs. En circulant pendant une heure dans la cohue des rues de Bombay, je me fais a l’idée qu’un klaxon de véhicule en Inde est aussi indispensable qu’un mo- teur. Notre arrivée sur le lieu du tournage, a l’extérieur de la ville, me donne l'effet d’un “choc culturel a l’envers”: une paisible oasis au décor luxuriant succéde au cauchemar urbain. C’est un club privé d’aristocrates britan- ic ues cavent independance mension moyenne entourée de facades souriantes et d’une végé- tation tropicale de réve semble vouloir se donner des airs d’Holly- wood. Ici et 14, des panneaux: Dogs and Indians are not allowed (Les chiens et les Indiens ne sont pas admis) . Chaque figurant “s’aristocra- tise” comme il peut. Je me déniche une redingote blanc- créme, une chemise dont la saleté “ne se verra pas’, et une cravate assortie 4 mon pantalon. Et le petit jeu (qui devient vite routi- nier) commence; s’asseoir par couple devant des morceaux de poulet en bois et des coupes d’eau couleur de champagne, se tenir debout, changer de table, se rasseoir, se tenir debout 4 nou- veau, prendre un autre siége. “Silence, on tourne!”. 6? Cri de cow-boy Soudain, un cri de cow-boy, puis un galop. Un cheval blanc tirant un chariot fonce dans une porte vitrée et une partie de mur. Le plongeon dans la piscine est raté. Grand branle-bas. Equipe de tournage affolée, acteurs, figurants, badauds, cheval blessé au flanc, débris de verre et de bois, c’est la fiction prise au piége de la réalité. Cette agitation eat été presque banale si un figurant allemand n’avait eu l’audace de sermonner le metteur en scéne qui faisait reposer sur un banc sa jambe dans le platre. “Vous auriez pu éviter que le cheval se blesse”, lui lance. ]’Allemand. Il suffit d’un “Mind your own business” (““Méle-toi de tes af- faires”) pour que l’impertinent fasse glisser du banc la jambe de l'Indien en s’écriant, furieux: “Si ¢a fait mal, n’oublie pas que ¢a a fait mal au cheval aussi”. Et la bagarre éclate. de di- préposée a la- Tae amt ge at A Rt A i A af gh nt a Figurant dans «Mard» Jean-Claude oat y gauche au milieu de quelques autres figurants. Bousculade, jurons, coups de poings, sang aux _ |leévres, brouhaha général. Un autre Allemand vient a la rescousse. Les deux chevaliers teutoniques sont finalement chassés du para- dis terrestre. La commotion s'éteint comme un feu de paille. La magie des décors et les caméras font vite oublier cet affrontement passager, mais réel, pour faire place a une confronta- tion filmée par séquences reprises indéfiniment, mais qu’on veut réelle, entre les Indiens et les Britanniques d’avant |’indépen- dance. Personnel masculin Le personnel est exclusivement masculin, a l'exception de la - be lobes serve, comme un détective, cette soixantaine d'Indiens, affairés ou en attente d’un ordre, qui semblent donner au moindre détail une importance capitale. Derrié@re les buissons qui nous entourent, des Indiennes en saris aux couleurs criardes paraissent ravies qu’on ne les chasse pas. Japprends que l’acteur prin- cipal, Amitabh Bachchan, est une véritable légende du cinéma indien et qu'il vient d’étre élu MP dans le gouvernement de M. Gandhi; il tournera cette se- maine les derniéres scénes de son dernier film. Une espéce de gros taureau complétement chauve (Bob Cartier, originaire d’Aus- tralie) force l’Indien a s’enivrer jusqu’a ce qu'il tombe dans la piscine... La journée des fi- gurants se passe a apprendre a faire la marionnette sous un soleil de plomb. Patience, patience. Dans le bus qui nous raméne a Bombay, la responsable distribue- les salaires, 70 roupies (9$) chacun. Le petit déjeuner et le lunch étant fournis, (je mange du riz avec mes doigts pour la lére fois de ma vie), mes 6 jours de figuration paieront mes 2 premiéres semaines en Inde. (Je me loue un lit 4 1§ dans un petit dortoir propre d’un des édifices de l’Armée du Salut, au coeur d’un quartier particuliérement démuni et mal famé.) Deuxiéme journée. Des portes vitrées volent en éclats; un Indien cascadeur plonge dans la piscine avec cheval et chariot. Les cris et les applaudissements ponctués de “good shot!” ne semblent pas effaroucher la béte dont la vue et Youle sont obstruées. On met ensuite un temps fou a filmer les “sparages” d’un chien attiré par un petit Indien qui agite un morceau de viande au bout du bras. Puis c’est au tour du kojac britannique de se saotler de whisky a la pointe d’un revolver, étendu sur une passerelle, le genou d’Amitabh planté dans la poitrine. Les 3 ou 4 prises d’une scéne succédent lentement a celles d’une autre. Toute la semaine se déroulera dans une chaleur cuisante. Pour satisfaire la vraisemblance de action, les acteurs se feront asperger des dizaines de fois chaque jour pas deux humecteurs professionnels. Seul Amitabh préfére accomplir ce rituel lui- méme, le regard hautain et le geste théatral, devant le miroir que lui tient un humecteur. “Y a-tu l’air frappé a ton godt c’maudit-la!” marmonne Yves, un Montréalais. Le cheval aussi se fera rafraichir réguli¢rement ; il restera dans l’eau pendant des heures, hébété comme une ba- leine sur une plac. ities SA ~ Mer humaine Le mercredi matin, mon voisin de dortoir, Bernard, un grand Parisien musclé, vient au bus pour s’assurer d’étre embauché pour le lendemain. Nouvelle traversée de la mer humaine qu’est Bombay. (Avant de revétir ma redingote blanche, je me rase. Mon Braun sans fil provoque un attroupe- ment et un bombardement de questions: “Comment ¢a fonc- tionne? Est-ce que ca fait mal? Combien ¢a cotite?” Le dispositif pour tailler moustache et favoris semble particuliérement intri- guant.) Le club sélect bourdonne a nouveau d’activités pour se figer soudain, a intervalles irréguliers: “Silence, on tournel” Une prise de bec, le revolver 4 Yeau. Les blagues fusent a chaque fois qu’on repéche I’ar- me; puis, 4 chaque fois, l’animo- sité reprend de plus belle. Lors- que les préparatifs d’une nouvelle scéne le permettent, chacun va se servir soit un thé bralant, soit un verre d’eau bouillie et glacée. Les figurants n’ont qu’a observer, tantét assis, tantét debout, les parties de scénes sans _cesse reprises. Pour ma part, je parle dhindouisme avec un certain Mike Friend de Californie, ou dun coin du Québec (la Gatineau, ot j'ai déja enseigné) avec un couple d’Ottawa qui le connait bien. Nous sommes en quelque sorte payés pour nous lier d’amitié. Je me fais égale- ment “accrocher” par un Indien dont la fille habite Montréal. Vers le milieu de l’aprés-midi, je suis choisi avec un autre moustachu pour faire semblant d’éviter de justesse les coups de poings des deux ennemis devant un kiosque ou les musiciens doivent jouer un sauve-qui-peut comique de ridicule. Pour les reprises, je n’ai qu’a me replacer les pieds 14 ot un préposé a préalablement tracé des marques a la craie. Amitabh finit par asséner sur le dos de Bob un grand coup de table en imitation de bois dont les morceaux légérement collés créent l’effet voulu. Aprés maints coups de poings et coups de pieds mélés de cris de Sioux a terrifier un village entier, le héros, par l’entremise bien sar, d’un excellent cascadeur qui lui ressemble comme 2 feuilles d’éra- ble, passe la téte de son adversaire a travers une grosse caisse; Amitabh lui-méme se met ensuite a jouer de la batterie comme si cette téte lisse en sueur n’était qu'une percussion parmi les autres. (Connaissant maintenant les réactions des Indiens devant une bagarre filmée, ces séquences ne manqueront sirement pas d’électrifier toutes les assistances, de les faire crouler toutes de rire et baver de satisfaction.) Coup magistral © Le 31 janvier. Tandis que le _héros encaisse un coup magistral et tombe dans les bras solides du Parisien, on vient me demander de marcher sur la passerelle avec une lady en robe rose, longue et décolletée a faire crochir les yeux. Et me voila au beau milieu du “party”, la moustache fiére, a m’avancer d’une maniére pres- que désinvolte avec ma tendre moitié, coupes de champagne a la main. Nous nous accoudons au centre du garde-fous en causant au moment ow Bernard apparatt sur le tremplin avec une pres- tance olympienne. Le temps d’un plongeon et d’une reprise, et nous passons a une autre scéne. Le vendredi ler février. Le fait marquant de la _ journée: Amitabh, en furie, arrache une enseigne (Dogs and Indians are not allowed) et en administre un coup royal sur le crane dénudé du Britannique de sorte que le mot “not” soit couvert de sang “heinz”. Puis vient la scéne finale, le lendemain, ot le Bon reprécipite la brute dans la piscine pour ensuite lui passer la téte a travers l’enseigne qui devient: Dogs and Indians are - téte du vaincu - allowed. Avant la tombée du rideau, on rassemble les figurants pour enregistrer 4 2 reprises un bon 2 minutes de rires déchainés, facili- tés, il va sans dire, par une orgie de grimaces mutuelles. Qui m’eit dit qu’a la fin de ma lére semaine en Asie, je serais 1a dans cet éden artificiel en train de mettre en conserve des rires idiots, avec une quarantaine de touristes venus des 4 coins du globe, pour les besoins d’un film qui sera projeté a compter d’octobre 85 devant des millions d’Indiens? Jouer dans“Mard’(Les hommes, en hindi, une des 14 langues officielles de 1'Inde) présage des expériences aussi diversifiées qu’inattendues que je m’appréte a vivre pendant 6 mois et demi sur l’immense plateau de cet autre bout du monde. A suivre CAPSULE LES CENTENAIRES BOIVENT DU THE (SHS) Si vous voulez vous rendre a cent ans, buvez du thé! C’est du moins ce que conseil- lent les vieillards d’A- zerbaidjan, en URSS. Cette région a produit l’an dernier 30 000 ton- nes de feuilles de thé vert, mais devant la po- pularité de cet «élixir de jeunesse», les auto- rités soviétiques ont dé- ‘cidé de décupler cette production d’ici dix ans. Peut-étre les cen- tenaires se multiplie- ront-ils en URSS... si les gens laissent la vod- ka... et s'il n’y a pas de guerre des étoiles! Aan 40 Perr «C53: uw wwe we ss 6 PCIRO NO Participez a notre concours mensuel! Vous pouvez gagner Un téléviseur couleur RCA Tirage le 31 janvier Le vendredi 4 18h30 La télévision de Radio-Canada AEN nage! Reet, ses