VOYAGES Le Soleil de Célombie, vendredi 27 mai 1988 - A11 Par Jean-Claude Boyer Suite de la semaine derniére Le lendemain, 16 février. Petit déjeuner avec le Francais, un photographe renommé, a lI’en -croire. J’aime sa fagon imagée de s’exprimer. Déformation professionnelle? Le bus vient ensuite chercher le groupe de voyageurs pour nous conduire a * Daulatabad, ville située au pied d’un grand rocher couronné par une forteresse du XIVe siécle. Les lieux ot l’on nous améne sont entourés d’un mur de 5 km. Le guide raconte qu’en ce temps-la, un sultan de Delhi légérement «dérangé» concu le projet non seulement de faire construire une nouvelle capita- le, mais d’y faire s’y rendre a pied toute la population de Delhi (distance de 1100 km) pour la peupler! Ses sujets mécontents tombérent, dit-on, comme des mouches au cours de cette »marche forcée. Dix-sept ans plus tard, le sultan changea son fusil d’épaule et fit retourner la population a Delhi. La forteresse, elle, demeure. Nous escaladons le rocher. On nous fait passer par plus d’une porte couverte de pointes de fer: mesure de protection, parait-il, contre une éventuelle invasion d’éléphants! Le pano- fama qui s’offre a la vue vaut a lui seul effort pour atteindre le sommet. Magnifique tour de 60 m, mosquée, palais aux tuiles bleues, €norme canon coulé avec cing métaux différents. A un certain moment de la visite, le guide demande au porteur de torche d’éteindre la flamme pour «montrem | l’obscurité totale qui faisait partie intégran- te du... systéme de sécurité. La visite terminée, c’est déja \heure du lunch. Le couple suédois m’invite a me joindre a eux. Le mari insiste pour payer la note. Je ne m’en plains pas. Nous nous rendons ensuite aux célébres grottes d’Ellora qui comprennent trois groupes de temples et de sanctuaires (douze bouddhiques, dix-sept brahmaniques et cing jaina) s’échelonnant sur 2 km. Je rassemblerai ici quelques no- tes, glanées dans des textes touristiques, sur ce qui m’a le plus impressionné. L’«architecture» et les splendi- des reliefs et statues des trente-quatre grottes d’Ellora comptent assurément parmi les olus belles expressions de |’art du début du Moyen Age indien. Dire que tout a été creusé ou taillé dans la paroi d’une falaise balsatique haute de 200 m! Quelle abondance d’admirables bas-reliefs! Je suis fasciné dés le premier coup d’oeil. Dans le groupe bouddhique, sont mises en scene de multiples figures de disciples, (6tres secourables qui aspirent au’ nirvana pour devenir a leur tour des bouddhas, mais retardent ce moment pour venir en aide al’humanité souffrante), ainsi que de nombreuses figures féminines et, bien entendu, moult représentations du Bouddha lui-méme. Nous devons nous déchausser Récit d’un tour du monde Ajanta et Ellora avant de pénétrer dans les temples bouddhiques, ce que je déteste. Dans la grotte 2, je passe d’une véranda a un hall au- plafond soutenu. par des colonnes, d’une galerie latérale a une chapelle... J’admire la grande finesse des chapiteaux a bulbe cételé. La grotte 10 est le seul sanctuaire bouddhiqued’Ellora. Sa facade est décorée de nymphes célestes. Remarqua- ble «batiment» précédé d’une petite cour au fond de laquelle s’étend une véranda, entre deux chapelles. Description éclair de sa partie supérieure: trois nefs séparées par des piliers; voite en berceau a nervures; frises de musiciens et d'images du Bouddha accompagnées de serviteurs; balustrade décorée d’amants tendrement enlacés... Le temple suivant comprend deux étages au-dessus du rez-de-chaussée. Il est précédé d'une cour, taillée (ne pas loublier) au ciseau et au marteau dans le roc. Majes- tueuse facade. A la galerie supérieure, on trouve deux sculptures du panthéon hindou, «égarées» en ce lieu de culte bouddhique. Toutes les grottes du groupe brahmanique sont consacrées a Shiva. Ce sont les plus spectaculaires, tant par leurs dimensions et leur «architec- ture» que par l’impression intensément religieuse qu’elles dégagent. Les reliefs et statues de ces temples. expriment |'6nergie transcendante du dieu tesse inouie! Nous y voyons Shiva dansant, jouant aux échecs, sortant victorieux d’un combat... En vrac: imposante frise d’éléphants et de lions qui semblent supporter le temple sur leur dos; entrée monumen- tale (représentations allégori- ques des fleuves Gange et Yamuna, déesse aspergée par deux éléphants...); lotus géant sculpté au plafond; galeries, chapelles, tour -pyramidale, petit dédme a pans, tours en caréne; deux éléphants monoli- thiques... Tout compte fait, j’ai l'impression d’étre en présence d’une sorte de... vision miracu- leuse pétrifiée. ; Quant aux temples du groupe Jaina (jainisme: religion hin- doue qui se propose de délivrer lame de la transmigration, ce qui implique notamment la non-violence envers tout ce qui vit), nous devons les sacrifier faute de temps, évitant ainsi a certains, sans doute, de faire une indigestion _culturelle. J’aurais tout de méme aimé pénétrer dans ce _ troisiéme univers religieux pour connaitre davantage ce qui, a la fois le différencie et le rapproche des deux autres. Rivales en gloirede celles d’Ajanta, les grottes d’Ellora . comptent ' sGrement parmi les plus nobles images de la tolérance religieuse dont les peuples de l'Inde ne se départirent qu’en ‘de rares occasions. (J’ai noté ici, dans mon journal, en style télégraphique: «En sortant, pincée de sucre et coup de plume de paon sur la téte» sans trop savoir aujour- d’hui ce que je voulais dire. C’était sans doute la de nouveaux «rituels a pourboire». Je me souviens d’avoir vu un touriste jeter une obole a un «musicien» squelettique, assis en yogi en plein soleil, et qui produisait sur un instrument monocorde des sons parfaite- ment... monotones.) Suivent la visite de deux mausolées, celui du dernier empereur a régner avant l’arrivée des Britanniques, et une pale imitation du Taj Mahal. Chaleur torride. Le tour se termine par un arrét reposant a un moulin a eau (Panchakki) qui servait autrefois a moudre le grain des pélerins. On y trouve un agréable jardin et des réservoirs d’eau poisson- neuse. Ah! si je pouvais plonger la téte la premiére, a |’abri du soleil cuisant. J’apercois des tondeurs de gazon au travail; ils avancent accroupis sur leurs talons! Retour a Aurangabad. Je m’attable avec |’Australien et le Frangais a une terrasse au style vaguement parisien. Délicieuse fraicheur du soir. Et c’est bientdt le moment de remonter dans le bus pour reprendre le chemin de Puna et de Bombay. L’air climatisé transforme vite lé véhicule en réfrigérateur roulant. Nous avons transpiré toute la journée et voila qu’on veut nous congeler! Le couple suédois, |’Australien et moi- méme demandons au responsa- ble du voyage, assis dans un compartiment vitré, prés du chauffeur, de bien vouloir non pas régler l'appareil de climati- sation mais de |’éteindre, tout simplement. Celui-ci se conten- te d'indiquer du doigt, avec autorité, l’affiche placée a l’avant, bien en vue: WOOLEN SHAWLS AVAILABLE ON PAY- MENT OF RS 2 (couvertures de laine disponibles au codt de 0,20$). Personne n’ose protes- ter. Nous parvenons acouper un peu, al’aidede nos rideaux, |’air froid qui nous arrive directe- ment sur la téte. Mais chacun finit tout de méme par se louer une Ou, deux couvertures. Chacun, sauf moi. Je. n’en reviens pas! Ce serait si facile de fermer le systéme! Insister de plus belle? Au moment ot je m’appréte a le faire, le Suédois, dont le siége se trouve tout prés du compartiment vitré, se léve pour sortir sans doute un vétement chaud de son sac rangé au-dessus de sa téte. Le chauffeur applique les freins au méme moment. Le Suédois frappe del’épaule|’unedes trois grandes vitres du compartiment qui se détache de son encadrement.de caoutchouc. Le froid envahit maintenant |’avant du véhicule. Et le bon Indien de mettre fin sur-le-champ aux rigueurs hivernales. Quelle différence! Si j’avais a choisir entre deux climats extrémes: la Suite page 13 de la Création, dela Vie et dela Mort, la grace féminine des déesses... Dans la grotte 14, je m’arréte longuement devant des pan- neaux en bas-relief, entre des: pilastres sculptés, couverts de dieux, déesses et héros. Mais je trouve plus admirables encore les reliefs sculptés au premier étage de la grotte 15. Galerie et grand hall au plafond soutenu par des colonnes. Sanctuaire aux nombreuses compositions : mariage de Shiva et Parvati, descente du Gange, naissance de Brahma, Vishnu en homme- lion, Vamana_ libérant le monde... Symbole phallique décoré d'innombrables reliefs... Ca n’en finit plus! (Je passe sous silence |’étage supérieur.) Autre cour taillée dans le roc au centre de laquelle j’admire un pavillon aux mille sculptures, dont des fenétres a grille de pierre et des serviteurs de Shiva représentés sous la forme de nains ventrus, assis prés du rebord du toit en terrasse. Laprincipale attraction du site d'Ellora reste cependant le temple de Kailasha (16), complétement achevé. Cette colossale sculpture est une véritable encyclopédie de |’hin- douisme. Elle se dresse dans une sortede carriére de 81 m sur 47 m avec un bloc central, dont la forme générale en pyramide a degrés reproduit symbolique- ment la résidence de Shiva. On dit que cette oeuvre a exigé l’extraction de 200 000 tonnes de roc! Merveille d’une délica- Fini lattente! A partir du 21 mai, le Musée des beaux-arts vous envoutera. Vous y verrez des ceuvres superbes du monde entier, y compris des collections d’art traditionnel canadien et Inuit. Tout cela dans un immeuble qui est une ceuvre d’art en lui-méme. Du 21 mai au 30 septembre, le Musée est ouvert de 10h a 20 h, les mercredis, jeudis et vendredis et de 10 h a 18 h, les autres jours. Visitez le Musée des beaux-arts, angle de la promenade © Sussex et de la rue St. Patrick, 4 Ottawa. National Gallery of Canada Musée des beaux-arts du Canada Canada