Volume 6 - La grand’ faux Nous étions a la mi-juin. Le soleil brillait de tous ses feux. - Bonjour le Pére ! Comment ca va ? - Ah, bonjour, voisin. Ca va assez bien. Comme tu peux le constater, je suis en plein milieu d’un projet. Tu vois cette vieille table ? Elle est plus Agée que moi. Je me propose de la faire renaitre. Deux autres couches de peinture et le tour sera joué. Dommage qu’on ne peut pas en faire autant avec les humains ...Enfin, qu’est-ce qui t'améne ici si tét dans la journée ? - C'est que je voudrais emprunter vo't grand’faux, Monsieur Lemelin. L’herbe est trop longue pour la tondeuse, voyez-vous, et j’ai pensé que vot’ faux ferait bien l'affaire. - Ga tombe bien mal mon ami Pierrot. Ma grand’ faux ne me laisse jamais. C’est un instrument irremplacable, comprends-tu ? Ce n'est pas que je manque de confiance en toi, mais une seule bréche et voila ? la faux est ruinée. Faucher avec une grand’ faux c’est un art. Un art perdu, il faut l'admettre. - Vous avez tout a fait raison Monsieur Lemelin. Mais, mon pére en avait une semblable et il m’a enseigné comment m’en servir. - Ah! ton pére. Wilfred. Oui, je l’'ai bien connu. En fait, je 'admirais beaucoup. Je suppose quiil t'a bien montré la technique concernant la facon de utiliser. Dans ce cas-la, je veux bien te la préter. Prends-en bien soin, mon Pierre. - Pas besoin de vous inquiéter Monsieur Lemelin. Vous retrouverez votre faux dans le méme état qu'elle lest présentement. - Laisse-moi l’affaiter un peu avant de partir. Tiens ! Apportes la pierre avec toi. Glisse-la dans ta poche arriére de ton pantalon et utilise-la fréquement. Dés que tu auras terminé ton boulot, accroches la faux sur un poteau ou a un mur. Ne la laisse jamais reposer par terre. Pierre partit en direction de la ferme voisine ou il habitait. || suspendit linstrument précieux a un gros clou enfoncé dans une solive de la remise. II se dirigea ensuite vers la maison ou 9e édition TRETHELE ISSN 1704 - 9970 Septembre 2003 lattendait un potage chaud que son épouse venait de préparer. Comme il en avait I'habitude, il lanca son chapeau de paille dans un coin de la cuisine. Celui-ci resta accroché a un bout de goujon qui servait de porte- manteau. Neuf fois sur dix, cette manoeuvre réussissait. C’était une bonne moyenne et plus d’un témoin avait été impressionné par ce truc de saltimbanque. Pendant que la belle fermiére s’occupait de débarrasser la table, aidée de Jacques et Justine agés de 12 et 9 ans, Pierre s’étendit sur le divan afin de cogner un petit somme. La sieste aprés le repas du midi était presque une tradition chez les fermiers qui travaillaient dur durant la saison estivale. Dominique, l'ainé, qui venait tout juste de féter ses quinze ans, n’était pas revenu du village ou il s’était rendu sur sa bicyclette pour y acheter du fromage. Pierre était retourné au champ quand l’adolescent arriva enfin. Celui-ci s’attabla et dégusta le met fumant que sa mére avait conservé dans le réchaud du poéle a bois. En arrivant de la ville, Dominique avait apergu la grande faux suspendue 4 la solive de la remise. II avait demandé a sa mére quel était ce machin muni d'un manche courbé. Elle lui avait expliqué que c’était une faux que son pére avait emprunté de monsieur Lemelin. Il allait s’en servir pour faucher le foin autour de la maison et dans la cour. Or, comme s’était le jour de la Féte des péres, Dominique, rempli de bonne volonté, eut l’idée de faire plaisir 4 son papa. A l'insu de sa mére, il se rendit 4 la remise, décrocha la faux et s’attaqua a la tache de faucher le grand foin autour de la chaumiére. Caché sous les hautes herbes il y avait plein de pierres et d’objets métalliques qui auraient dd étre ramassés avant de procéder au fauchage. En moins de temps qu’il faut pour dire « Bonne Féte des péres !| » la précieuse qrand’faux avait perdu son 7