L'BCOLE DE MON VOISIN

La neige abondante, inha-
bituelle & Vancouver, a ra-
fraichi L'imagination des
grands et des petits. Les pa-
rents se sont attelés aux
traineaux de leurs enfants,
et, ce faisant, ils se sont
rajeunis. Quant aux enfants,
ces paysages ot l'on s'enfon-
ce, of L'on glisse, les en-
chante. A chaque sortie, ma
- jeune voisine m'attendait. El-
le me tendait, de ses mains
gantées, une boule de neige:
" Un oiseau dans le nid!" me
disait-elle en anglais.

Son frére de seize ans est
plus sérieux. Il fréquente 1'é
cole secondaire du voisinage.

. Appuyée au coteau de Kerris-
dale, 1'école comprend plu-
sieurs corps de logis équipés
de salles claires. Je suis al-

1é6 l'admirer récemment. Vue de

la hauteur, elle semblait,sous _
sa cheminée, un paquebot vo-=
guant sur l'océan des neigese _
On aimerait y faire une croi- —
/gigére. Cela nous retremperait,
plus encore que les neiges in-
solites, dans notre jeune age.
Assis sur les banes 4 écouter
le maitre ou la maitresse,nous
saisirions sur le vif cette

_ étrange alchimie qui fagonne &
notre insu les bons citoyens.

Hélas cela n'est plus pos-
sible! Et je dois me contenter
de questionner mon jeune voi-
sine Je le yois d'ailleurs
chaque soir chez moi depuis
une semaine. Un accident de
ski 1l'a retardé dans ses é-
tudes, et je l'aide A mettre
les bouchées doubles dans son
livre de lectures frangaises.

Chaque legon ajoute un é-
pisode & ume aventure poli-
ciére qui se déroule & Ver-
sailles et 4 Paris. On y voit
en images un rapin malhonnéte
qui garde, ot qu'il se trou-
ve, son bérét sur la téte; et
des bistros de fantaisie, mé-
connaissables, tels qu’en
peuvent imaginer les Anglais.

Tl s'agit en effet d'un
livre concu en Angleterre. Le
style de ce manuel sent l'ar-
tifice. L'intrigue met en scé-
ne des Francais de mines pa-.
tibulaires. Le plus cocasse,
c'est de penser qu'ici méme,
au Canada, professent d'émi-
nents théoriciens de la lan-
gue francaise. Sans franchir ’
les Rocheuses,_on trouve en

Le Soleil de Vancouver, page 5,21 février 1969

librairie un bon choix de tex-
tes francais du Canada 4 1L'u-.
sage des écoles secondaires

de l'Ouest. A cet égard, il
faut recommander " Le Québec,
Tradition et Evolution ",
choix de textes présentés par
trois professeurs de 1'Univer-
sité de Victoria, dont Mon-
sieur Gérald Moreau.

La legon finie, mon éléve
me quitte et je réfléchis:
que penseraient les Canadiens
locaux A qui j'annoncerais
que des écoliers Canadiens de
1L'Est apprennent l'anglais
dans des livres de lectures
-composés & Paris?

Je me suis laissé dire que
les manuels de lectures et les
traités d'histoire différent
dans chaque province du Canada.
Ce n'est pas ainsi que l'har-
monie peut régner. Ne serait-
il pas possible de s'’entendre
pour unifier les études dans un
domaine aussi élémentaire que
le francais de troisiéme année?
On peut en douter. A chaque pro:
position, des esprits chagrins
s'agitent pour édifier des bar-
ricalies.

J‘aiassuré mon jeune voisin
que les livres de lectures pu-
bliés A Montréal sont d'un
francais aussi pur que la nei-
ge qui nous entoure. Il ma
regardé, incrédule. Il croit
natvement 4 l'existence de
deux langues francgaises: 1'une
élégante et mélodieuse, fleu=-
vissant & Paris; l'autre,dia-
lectale et bigarrée dans le
QU EBC orice COMS ;

" Mais mon ami croyez-vous
déja si bien parler l'anglais
que vous vous montrez si scru-
puleux sur la langue francaise?
Croyez-le bien , il n'existe
qu'une langue francaise, dif-
férente de prononciation comme
toute Langue vivante suivant
les pays, mais universelle en
sa forme corrects et Llitté-
vaire. La langue frangaise,
parlée & Paris, Bruxelles,
Lausanne, Montréal ou ailleurs
représente un merveilleux ins-
trument, tour & tour précis
ou poétique selon la science
ou le talent de qui en joue."

J'ai affirmé tout cela A
mon jeune voisin. Il m'a cru.
Mais demain ses préjugés re-
naitront.

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