L Art dans la Vie de I’Homme Par Ladislas Kardos Aprés le Pop et le Op, le No-Art devient presque lo- gique. La réévaluation des valeurs, dont parle Nietzche en relation avec le change- ment de valeurs de Rome et du Christianisme s’appli- que 4 l’art aujourd’hui. Puisque tout change avec une rapidité foudroyante, puisqu’aucune philosophie ou science est permanente (la théorie d’Einstein qui sem- blait 6tre un dogme, n’est paraft-il, plus valide, puis- que qu’on parle de la dé- couverte d’une vitesse su- périeure A celle de la lu- miére au carré) donc, puis- que rien n’est éternel, pour- quoi les oeuvres d’art doi- vent elles résister 4 ce chan- gement. Pourquoi ne pas les détruire, aussitOt qu’elles sont faites,c’est ce qui se passe aujourd’hui dans cer- tains milieux artistiques. Ou encore, étant donné que nos idoles sont les gadgets et la mécanique, puisque no- tre survivance matérielle ne dépend plus de la chasse ou des récoltes, mais de boites de conserves, pourquoi ne pas montrer ces idoles dans les Hamburger géants de Oldenburg et les reproduc- tions de caisses d’emballa- ge pour boftes de conser- ves d’Andy Warhol. La disparition de l’individu est trés bien démontrée dans la statue de platre de Segal, qui n’a rien d’humaine, sauf un vrai chapeau sur une téte sans visage. Le hard-edge est peut-étre une réaction A ce sentiment, ‘cette angoisse que l’univers soit sans limite. Les cons- tructions métalliques d’un Smith, d’un Cesare, d’un Murray, des monuments de _plaques de fer, de tubes, de piéces détachées, peuvent trés bien étre, la recherche d’une ame dans la machine. Les constructions en tubes de néon, des lumiéres va- cillantes, des roues tournan- tes, des bruits sans harmo- nie, nous ferons peut-étre découvrir un jour un coeur dans un ordinateur. Les artistes qui tracent avec tracteur des fossés é- normes dans le désert, sui- vent peut-étre la doctrine de Picasso ( continuation de la nature par l’artiste) 4 l’ex- tréme. Ils veulent illustrer le non sens de toute doctrine et prouver ainsi, que laseule vérité est au fond .........le changement. Comme vous pouvez le cons- tater, l’art a été, de tout temps, lemoyen par lequel l’-homme exprimait ses be- soins, traduisait ses désirs et ses angoisses et l’artiste a de tous temps, été cet étre sensible, qui comme une hharpe éolienne, résonnait sous le souffle des événe- ments alors que le simple mortel tremblait et restait muet, La sincérité de 1l’artiste est la mesure de son oeuvre. - La sincérité dans la com- munication d’une vérité, sa vérité, A autrui, le pousse a faire ce qu’il fait. Je ne crois pas en l’artiste qui travaille seul, pour lui- ‘méme et détruit ce qu’il a fait. De tous temps l’homme était un solitaire qui avait peur de la solitude et qui cherchait par tous les moy- ens qui étaient en son pou- voir de communiquer avec ses semblables. Dieu nous a donné l’amour pour perpé- tuer sa création et cet acte qui nous rapproche le plus du créateur se fait 4 deux. Et l’artiste, cet étre sensi- ble, a un besoin absolu de pouvoir communiquer et fai- re partager ses expérien- ces intellectuelles et émo- tionnelles 4 son monde. Mé- me St-Francois avait besoin des oiseaux pour précher. Ce que je viens d’écrire, est une opinion personnelle. J’essaie de rationnaliser, mais je ne prétends pas ré- ussir. L’art dans la vie de l’homme est comme l’oxygé- ne dans l’air. Une partie seu- lement, quoiqu’indispensa- ble au fonctionnement de cet organisme mystérieux, qu’ est l’homme. Ce mélange complexe de matiére et d’ esprit. : .__|Pauvre et splendide Mexique par Roger Dufrane Encore onze jours avant le départ ! Les ballots s’em- pilent. Dix jours Aa courir les routes et vingt A séjour-' ner dans une petite ville mexicaine, voila nos projets. Mon itinéraire en autocar parcourra montagnes et plaines dont quatre déserts de sable. Je traverserai le Washington, 1’Orégon, la Ca- lifornie, 1’Arizona, le Nou- veau-Mexique, le Texas ; les états mexicains de Chi- huahua, Durango, Zacatecas, Aguascalientes, San Luis Potosi, Queretaro, Mexico, Vera-Cruz. Mais ne nous vantons pas avant la fin de Vexpédition. Cette longue griserie de soleil, de terre, de pierre, de verdure et d’exotisme, me tournera peut-€tre la téte et je me _perdrai en chemin... A l’est de la route, des champs de houblon alignent leurs arbustes. La-bas. le Mont Rainier, rosi par le couchant, semble un Fuji- Yama occidental. J’éprouve toujours une légére angoisse au passage des frontiéres. Est-ce l’apparence policiére des douaniers qui me déran- ge Les frontiéres tracent des limites factices et bien défendues a la cupidité des nations. La nature s’en mo- que et rien ne change d’un Paysage frontalier de part et d’autre de la ligne mémes cédres et sapins, mémes granges rouge-bri- que, mémes maisons de bois qu’en Colom bie-Britanni- que. A la nuit close, nous tra- versons des: cités lumineu- ses et vides, des campagnes désertes ot gesticulent des arbres fantOmes. Le chauf- feur, raide comme un auto- mate, pilote le véhicule qui s’ensommeille. Nous croi- sons des camions au long cours, des tracteurs. Le ‘pays des turbulents Yankees ne dort-il jamais Dans la nuit bleue, les lampadaires -en bord de route, blancs, jaunes, oranges, ménent une folle sarabande... seulement ot la nature res- te vierge, les sites émeu- vent. Que Vancouver devait étre belle avant qu’on y ait amarré d’horribles ponts et dressé des panneaux publici- taires ! Nous ouvrons les yeux sur un pays neuf. Quelques sa- pins, d’un vert moins dru que leurs congénéres du Ca- nada, parsément des monti- cules rocailleux et pelés. Défilent des maisonnettes de pacotille, des garages, des vulgarités, sur un lointain bleu de montagne qui -ap- pelle le décor du Vancouver des beaux jours. Je'ne discerne aux Etats- Unis aucun souci de mettre en valeur, par une esthétique de la construction, les offres de la nature. De temps en temps, une avenue filant en- tre deux rangs d’arbres, permet d’entrevoir, au loin, l’agrément d’un quartier ré- sidentiel. Ailleurs, un trou- peau de moutons paissant autour d’une bergerie déla- brée jette une note fortuite de romantisme. Accidents trop rares en vérité ! I] n’est pas flatteur au genre humain de penser que 1a Nous roulons maintenant & travers. un décor respecté par les hommes. Ces monta- gnes, ces savanes jaunies oi s’agrippent des touffes d’arbres, ces granges dé- crépites, et ces échappées ‘vers des cfmes rousses d’ oa monte, comme un signal, une fumée, dans quel songe, dans quel pays, avons-nous rencontre leurs préfigura- tions Dans les films du Far-West, voyons ! Les Tom Mix, les Ken Maynard et les Gary Cooper, qui enthou- siasmaient notre enfance, au point que les galopins que nous étions poussaient des cris dans les labours et se lang aient d’imaginaires las- sos. L’Amérique que je réinven- te en ces notes peut paraf- tre insolite. Elle se com- pose exclusivement des scé- nes qu’ici et 14 j’ai saisies. Sur le ruban des routes, les yeux mi-clos ou grands Ouverts, tantOt dormant, tan- tOt observant par les vitres du véhicule, j’entreméle au- tant de réves que de réelles visions. C’est l’Amérique d’ un moment de vacances ; et que l’imaginatif invétéré que je suis jette sur le papier pour la sauver de 1l’oubli. La voila donc cette Cali- fornie tant vantée !| Elle se révéle 4 moi par d’immen- ses montagnes tavelées de vert et de rouille. Dans les fonds, des torrents écument sur. les cailloux. De chau- ves sommets se piquent de Sapins coniques. Profondes gorges de la- Californie ! Du bleu, du vert, et soudain l’ocre rouge de l’argile nue ! Ces amoureux qui se béco- tent, cette maman qui défri- pe la jupe de sa petite fille, ce chauffeur d’autocar sou- cieux de ses passagers com- me le serait un capitaine de navire, faut-il y voir des types de ce peuple mé- le-tout qui depuis trente ans fait la guerre ’Mais non ! Il faut distinguer 1’Amérique de la politique internationale et l’Amérique réelle, qui ne se ressemblent pas. Sur la banquette voisine de la mienne, deux gamins blonds et jumeaux, auxtraits fins, gribouillent dans un cahier.. On ne peut offrir un biscuit 4 l’un sans qu’il le partage avec son frére. La grand-maman qui les ac- compagne me remercie avec un sourire triste. Leur pére |€st mort, l’arme au poing, | au Viet-nam. A cette nou- velle, je viens A me de- mander si les Américains se sentent coupables de me- ‘ner en Asie une croisade ‘ot personne ne les suit. ‘Impossible de le savoir ils n’y font pas allusion... (A suivre) LE SOLEIL DE VANCOUVER, 2 AVRIL 1971, IX. ee eee A llama mall, chlly