Février 1967 L’APPEL page 7 ser du nom de son découvreur, en 1808; et, celle de David Thompson, sur le fleuve Colum- bia, dont le cours inférieur coule maintenant sur le territoire des Etats-Unis; en 1811. Il est bon, aussi, de mentionner l’expédition John Jacob Astor, qui, au nom de la Pacific Fur Company, compagnie américaine, atteignit Vembouchure du Columbia en 1812 aprés s’étre frayé un passage a travers les Rocheuses du coté déja atteint, 75 ans plus tot, par La Vé- rendrye: ¢’est-a-dire par le sud. Ce quil y a de commun entre ces quatre expéditions c’est qu’aucune d’elles n’etit été possible sans cette combinaison merveilleuse de pionniers que furent les “bourgeois” Ecos- sais et les “voyageurs” Canadiens frangais. Les premiers, qui avaient mission d’étendre Vempire de la Compagnie du Nord-Ouest, possé- dant le courage nécessaire et Vesprit d’aven- ture qui rejette d’avance tous les risques. Les deuxiémes, cette armée de jeunes Canadiens francais, venus, pour la plupart, des rives du St-Laurent; seuls blancs au nord du Rio Gran- de a s’étre réconciliés avec les caprices d’une nature encore maitresse des hommes; qu’une tradition déja vieille de 200 ans avait rompus au dur métier d’hommes des bois, a la science de la vie en foréts et aux grands portages; les voyageurs, qui ont immortalisé les sentiers qwils ont jalonnés sur tout un continent en y laissant des noms que Vhistoire ne pourra pas effacer. On retrouve la méme mise en scéne a cha- cune des grandes expéditions: le bourgeois Ecossais accompagné d’un lieutenant, généra- lement de sa race; 6, 12 ou 20 voyageurs Cana- diens francais, dépendant du nombre de ca- nots; un ou deux indiens comme guides ou in- terprétes. L’expédition Astor a eu ceci de dif- férent qu’Astor fut le bailleur de fonds et mit, apparemment, toute sa confiance en son équipe totalement composée de Canadiens-franeais. Les noms d’endroits sont typiques du verbe savoureux des voyageurs. On peut, pratique- ment, retracer leurs itinéraires par la topony- mie qui a été conservée sur les cartes routiéres. Pour des raisons assez paradoxales, moins de ces noms semblent avoir été modifiés au sud du 48iéme paralléle qu’au nord. Tout de méme, on passe encore prés du lac Vaseaux, proba- blement appelé Vaseux originalement, dans la vallée de ’Oknanagan; la Cache de la Téte Jaune, prés de la passe du méme nom; lac des Roches, lac La Hache, Pouce-Coupé, ete. Beaucoup de choses pourraient étre dites sur les voyageurs. Un volume, publié en 1931 par la maison Appleton de New York; The Voyageur, par Grace L. Nute, rend un hom- mage poignant a l’épopée du voyageur. L’au- teur établit 4 plus de 3,000, 4 un moment don- né, le nombre de ces canotiers, qui servaient de motorisation humaine 4 l’expansion territo- riale de Empire des blanes en Amérique. Ils ont battu les sentiers, vaincu les rapides, ras- suré les indigénes, eréé la race des Métis, ou- vert la voie aux missionnaires, assuré a 1’An- gleterre un pied ferme... usque ad mare. En Colombie Britannique, Vlhistorienne Margaret Ormsby découvre que pendant cin- quante ans les montagnes de la Colombie ne connurent que les échos des refrains Canadiens franeais. C’était au rythme de leurs chansons qwils battaient les flots de leurs avirons. Les voyageurs ne retournaient pas tous. Plusieurs choisirent de s’établir en Colombie. Trois des compagnons de Fraser, dont La Ma- lice, furent les premiers résidents de couleur blanche dans cette colonie que Mackenzie avait baptisée du nom de Nouvelle Calédonie. Ils éli- rent domicile 4 Fort Macleod, dés son établisse- ment, en 1805. Parmi les pionniers Canadiens frangais de la Colombie, il faut nommer Etienne Pépin qui a la réputation d’avoir été le premier 4 labou- rer le fertile delta du Fraser, 4 Fort Langley. Il ne faudrait pas oublier Luc Girouard, qui a planté le premier verger dans la riche vallée fruitiére de ’Oknanagan. C’est vers 1834 que McLoughlin, (dont nous aurons l’occasion de parler) devant le nombre imposant de colons Catholiques, surtout Cana- diens frangcais, crut bon de leur suggérer de demander un prétre pour les assister spirituel- lement. A partir de ce moment, la vie des voya- geurs devait se transformer. Comme le dit Grace Lee Nute, leur grande épopée dura de 1763 4 1840. His sont maintenant passés a la légende: légende du gagne-petit, du soldat in- connu qui donne a son général le titre de con- quérant. La description qu’en faisait, dés 1807, l’ex- plorateur David Thompson, fait mieux com- prendre que tout autre jugement le fait que cet élément essentiel de la conquéte d’un con- tinent, le voyageur, n’a pas su réclamer V’hé- ritage qui lui est dt: “Jean-Baptiste ne pense guére, ce n’est pas pour ¢a qu’il est payé; quand il a une minute de repos il fume sa pipe, son éternelle compagne, et tout va bien. Il passera 4 travers les plus dures épreuves mais il a besoin qu’on Inui remplisse le ventre au moins une fois par jour, du bon tabac, une cou- verture chaude et un maitre sensible qui par- tage les moments difficiles et fait face le pre- mier aux dangers.” L’armée conquérante des voyageurs a vain- cu sans gloire parce qu’elle n’a fait violence qu’a elle-méme. Ses seules armes: l’aviron, le canot d’écorce, une vigueur physique extraor- dinaire, son attitude fraternelle avec les in- digénes et son refus proverbial de s’engager dans les conflits d’intérét des compagnies con- currentes. Ce qui n’empéche pas les pertes en hommes d’avoir été élevées. En effet, les fré- quents portages, faits 4 pas de course sur des terrains inégaux; les lourdes charges de mar- chandises que le voyageur s’ambitionnait a transborder, furent responsables d’en avoir crevé un grand nombre. Sans compter ceux que les rapides emportérent. D’autant plus que le voyageur, de préférence, devait étre de courte taille. Le cannot d’écorce s’accommodait mal de ces jambes interminables dont les pieds, loin du cerveau, avaient don de se frayer un chemin a travers la fréle coque. Le voyageur reprendra la vedette quand la valeur, dans les histoires d’aventures, sera axée plut6t sur le courage personnel que sur le nombre des ennemis que les exploits de tir font tomber. (a suivre)