Daniel Ellsberg est faite”. Louis -Wiznitzer Tout se passait comme si tour a tour les -présidents Truman, Eisenhower, dit: - “Cette année n’est pas indiquée pour perdre le Vietnam. Je serais ac- cusé de mollesse 4 l’égard du commu- nisme et risquerais de n’étre pas réélu’”. Le seul grand et vrai domino de Ja théorie de ce nom était donc bien... Ja Maison blanche. ¥ .et-la CIA i En 1969 la CIA affirmait en secret a M. Nixon que la perte du Vietnam n’affecterait pas, pendant une généra- tion au moins, la situation des autres pays-en Asie, exception faite pour le Laos. En 1964 un analyste du départe- ment d’Etat écrivait 4 M. Johnson: “Nous avons intérét a réduire nos pertes et 4 nous désengager pendant qu'il est temps du Vietnam”. La méine année la CIA exprimait l’avis que, les bombardements du Nord ne feraient’ pas plier genou aux Nord-Viet- namiens. En 1967: une enquéte menée sur place par Paul Nitze, ministre ad- joint de la Défense, révélait qu’aprés deux années et demie de bombarde- ment le Nord-Vietnam avait autant de camions qu’avant et que le flot d’ap- provisionnements en direction du sud n’avait pas été ralenti. Elle rapportait d’autre part que la plupart des pilotes américains larguaient leurs bombes au-dessus de la mer de facon a pou- voir effectuer deux sorties par jour et maintenir le niveau du budget mili- taire (masimum de bombes largueées) a un niveau élevé. La rigueur morale de Daniel Ells- berg n’a d’égale que sa rigueur intel- lectuelle. Il fait partie de cette élite intellectuelle américaine qui s’efforca dans les années soixante d’appliquer les mathématiques a la sociologie puis a la guerre. Et qui n’en revint pas de voir ses scénarios échouer et certains facteurs humains tels le courage, la foi, esprit de sacrifice, refuser de se laisser mettre en équations. Il mit au- tant de brio et d’efficacité 4 ourdir son projet de fuites qu’il en avait mis a servir Henry Kissinger et Walt Ros- tow. Pendant deux semaines il joua litteralement a cache cache avec le gouvernement. Les documents etaient remis aux journaux, a New York, Washington, Boston, Chicago, Los Angeles dans des circonstances dignes de romans policiers. Un coup de téléphone dno- nyme offrait les documents au direc- teur de chaque journal et l’invitait a dépécher quelqu’un de la rédaction pour venir en prendre livraison, dans un sac déposé sur un banc, dans un parc, ‘ou derriere un arbre, aux abords de la ville, comme dans les histoires de kidnaping. Une affaire Dreyfus L’affaire ‘New York Times” est jterminée. L’affaire Ellsberg com- mence. Daniel Ellsberg va-t-il devenir un Dreyfus américain? M. Nixon qui n’hésita pas il y a vingt ans a clouer Alger Hiss au pilori pour avancer dans sa propre carriére politique sem- ble aujourd’hui décidé a faire d’Ells- berg un bouc émissaire. La meilleure facgon d’expliquer une guerre perdue a la majorité silencieuse n’est-elle pas de lui désigner un ‘“‘traitre’? Cepen- dant l’Amérique n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était il y a vingt ans et l’o- pération pourrait tourner court. Le gé- éral Ridgway (quatre étoiles, vain- queur de la guerre de Corée) déclare ujourd’hui que le Vietnam n’est pas n maillon du dispositif de sécurite es Etats-Unis et critique les fonde- ents mémes de la politique vietna- ienne des Etats-Unis. Kennedy, Johnson, et Nixon s’étaient © ENDANT 15 jours il a tenu le pays en haleine. A peine la publication des “dossiers McNamara” était-elle interrompue dans un journal, @ la demande du gouvernement, qu’elle reprenait dans un autre. M. Mitchell, ‘attorney general se trouvait dans la situation d’un gamin «qui veut reprendre un ballon que ses camarades. se lancent par dessus sa téte. Puis, fidéle a sa parole, Daniel Ellsberg, l'auteur présumé de la “fuite du siécle”, se livra aux autorités fédérales qui avaient lancé un mandat d‘arrét contre lui, et déclara: “Quand j’étais petit mon pére me citait souvent une phrase de I'Ancien Testament: “La vérité fera de toi un homme libre”. Eh bien je pense que nous serons tous plus libres & présent que la vérité sur notre engagement ay Vietnam “Nous ne pouvons, dit-il, imposer notre volonté par la force”. Et le co- lonel David Hackworth, Vofficier le plus ‘décoré de l’armée américaine, blesseé huit fois en Corée et au Viet- nam, donne sa démission de l’armée en l’accusant d’ineptie et de men- songe. D’autre part M. Nixon oublie qu’en 1952 il avait lui-méme critiqué le président Truman parce qu’il refu- sait de publier des ‘documents se- crets” relatifs au brutal limogeage du général McArthur. Daniel Ellsberg est accuse au- jourd’hui de s‘étre emparé de ‘docu- ments secrets” et de les avoir divul- gués. A la limite, aux termes d'une loi sur Jlespionnage en temps - de guerre, il pourrait écoper de dix an- nées de prison. Les époux Rosenberg autrefois, on s’en souvient, monteérent sur la chaise électrique. Pourtant, un haut fonctionnaire vient de révéler que seulement au Pentagone, 803 offi- ciers sont en droit d’apposer le sceau “secret”? furent livrés dans un bureau cuments; qu’ils le font de facon arbi-., traire; et que sur les 20 millions de documents “secrets” du Pentagone 99 pour cent pourraient étre révelés au public sans que la sécurite des Etats- Unis n’en soit affectee. La peur du ri- dicule aidant, le gouvernement vient d’ailleurs de faire remettre Jes fa- meux ‘“‘dossiers McNamara” au Con- grés. Une dizaine de colis marqués “secrtt”’ furent livrés dans un bureau du Sénat sous les sarcasmes de la presse et les sourires amusés des “Congressmen”. Les juges supremes auront-ils le coeur de condamner Ells- berg apres avoir innocenté les jour-- naux? En décembre 1941 — trois jours avant Pearl Harbour — le “Times He- rald”, sur la foi d’une fuite spectacu- laire, publiait les plans secrets de mo- bilisation du gouvernement ameéricain. L’auteur de ctite fuite et le journal en question ne furent cependant pas poursuivis par Roosevelt. Dix ans plus tard le directeur du journal s‘expli- - qua: “Nous pensions que Roosevelt voulait nous entrainer a notre insu dans une guerre contre |’Allemagne”’. Traitre, saint ou héros Traitre pour les uns, saint ou héros pour les autres, Daniel Ellsberg (il a, dit le ‘‘Post’’, l’intellect de Niels Bohr et lame de Dostoiewski) va certaine- ment catalyser les passions politiques au cours des prochains mois. Il reste pour l’instant libre sous caution. Mais il a la foi des martyrs et sa sincérité évidente, son ton modéré, son allure bien américaine (il aime la vie au grand air, le ski, l’alpinisme, il ne fume ni ne boit) pourraient bien transformer le tribunal en tribune idéale ou plaider sa cause. ‘ -Un journaliste demanda a Daniel Ellsberg: “Mais alors, selon vous, il n’y a pas eu de héros ameéricain au Vietnam”? Ellsberg refleéechit. La question le tourmentait visiblement. Puis il répondit: ‘‘En tout cas je puis en nommer un: le sergent Michael Bernhard qui a My Lai refusa d’obéir au lieutenant Calley et de tirer sur des civils’’. L’homme qui vient de lancer ce co- lossal pavé dans la mare politique ameéricaine est l'un de ces jeunes gé- nies dont Robert McNamara s’entoura en assumant les rénes du Pentagone, gigantesque panier de crabes gallon- nés ou il voulait mettre de Vordre a force de brio et d’efficacité. Un enfant prodigue - Né a Chicago le 7 avril 1931 (son pere, ingenieur, est employé au- jourd’hui par une importante firme du DANIEL ELLSBERG : “La verite fera de toi un homme lib 2", : Middle West) Daniel Elisberg fut dans Sa jeunesse une sorte d’enfant prodi- ge. Il etait le meilleur éleve de sa - classe, dirigeait l’equipe de basket, jouait Mozart et Chopin au piano. Apres avoir terminé “summa cum laude” ses études a Harvard il s’en- gagea dans les “Marines” et revint lieutenant de la guerre de Corée. Doté d'un esprit aigu, d'un sens moral par- ticuligrement développé, zelé et coura- geux, il semblait destiné a gravir les plus hauts échelons de Ja vie publi- que. En fait sa carriere fut vertigi- neuse. McNaughton, ladjoint de McNamara au ministere de la :De- fense Vinvita a travailler a VISA (Jn- ternational Security Agency) ou se trame la géopolitique ameéricaine. II fut chargé d’étudier les crises (U-2, Fusées a Cuba, Berlin) et a démonter les mecanismes de décisions. En 1965 le general Landsdale, expert en con- tre-guerilla Vemmena au Vietnam comme adjoint chargé des travaux de “pacification”. (Suite la semaine prochaine) 2 cisrit mon pere. LE SOLEIL, 9 JUILLET 1971, Ill eer i a