Ne plus penser aux épines, aux scorpions. Elle ignore les troncs qu’elle heurte de ses tibias. Elle se déméne entre les branches. Elle s’étale dans les nappes de pluie vaseuse, s’écorche le genou 4 I’aréte d’un bloc de quartz. Couverte de terre, le pagne déchiré, la blouse arrachée, elle est accroupie au beau milieu de la gadoue, |’or dans les mains. Elle est seule et, a présent, elle a peur. Peur des autres, la crainte d’avoir été observée, l’angoisse de ceux soudain comblés par la fortune. Minata est retournée a sa hutte. Elle a fait un grand détour par la forét pour ne pas croiser les autres femmes. Elle a réveillé son mari, surpris de la voir si tot rentrée. Et dans quel état ! Elle lui montre tout l’or. II est ébloui. Mais également inquiet. L’a-t-elle montré a d’autres ? A-t-elle parlé déja ? Comment profiter de ce trésor ? C’est une fortune inouie, toutefois, combien cela peut-il valoir ? Et, surtout, comment transformer I’or en argent ? Son mari se montre sage : il lui a pris tout l’or des mains. Deux immenses frag- ments. Le plus grand forme une pyramide allongée et lui couvre entiérement la paume. L’autre a la taille d’un ceuf de pintade. Le tout doit peser entre un et un kilo et demi. Soigneusement, il enferme le pactole dans un crasseux tissu brun sale, une ancienne serviette de cuisine, semble-t-il. II l’enroule a plusieurs repri- ses et l’enserre de plusieurs laniéres en cuir de civette. Discrétement, il quitte le village et loin, trés loin, aux confins d’une sorte de « muhulu », cette parcelle de forét séche, isolée dans la savane, il enterre le paquet en un endroit seul connu de lui. Mais la vie des riches n’est pas toujours facile. De plus, pour y connaitre quel- que succés, dans cette fonction comme pour tout autre métier d’ailleurs, il faut certaines dispositions : le goat du risque, le sens des affaires, de l’ordre, de I’ or- ganisation, un grand contréle de soi-méme et, en général, beaucoup de courage et de connaissances. I] y a la chance également ; celle-ci, cependant, quand elle ne connait pas d’autres soutins, méne le plus souvent a de grandes déceptions. Enfin, s’il est difficile d’enfanter une fortune, il infiniment plus malaisé de la conserver. Phénoméne observé par trop de malheureux incompétents. Cela expli- que, sans aucun doute, la rareté des nantis. Au retour de son expédition, le mari, en homme avisé, a cherché a se renseigner en toute discrétion. Cependant, comment poser certaines questions étranges et apparemment hors de propos sans que les interlocuteurs s’interrogent a leur tour ? Surtout s’ils ont appris que Minata n’était plus au champ d’orpaillage a l’arrivée des autres ouvriéres et que, pendant un temps, son mari a disparu dans la nature. (a suivre) Jean Lebatty