Décembre 1967 L’APPEL page 13 nn UN CANADIEN ERRANT.. . (Suite de la page 8) cote du Pacifique en direction de Juneau, A laska. Je lisais le dernier numéro du “Vanecu. ver Sun”, entouré de confréres dans le carré des officiers quand je leur demandai d’écouter cet article qui décrivait en menus détails com- ment deux canadiens-francais avaient attaqué certaine jeune femme de Montréal et causé un scandale public. Tous de s’exclamer qu’il était plus que temps qu’on mette fin aux acti- vités de ces “sexy frenchmen’, aprés tout si typiques de notre race. Je les avais bel et bien pris au piége, et leur mettai sous les yeux l'article en question qui relatait ce scandale. mais causé par deux anglophones 4 Toronto. Javais substitué les noms de la ville simple- ment pour rigoler et voir leurs réactions qui maintenant changérent de ton; c’était devenu le simple cas de deux criminels isolés de To- ronto. Etrange n’est-ce pas comment les pé- chés des autres sont tellement plus affreux que les notres. Méme s’ils ne sont pas d’accord entr’eux a notre sujet, il semble parfois que nous som- mes perdants des deux cdtés et l’exemple le plus représentatif de ces divergences d’cni- nions est arrivé ce jour ol je me reposais, en- foui derriére un journal dang le carré des officiers, pour entendre un officier tapager contre ces “pea soups” qui font le tiers du pays et qui devraient combler le tiers des for- ces de la marine s’ils avaient un peu de cou- rage. (“Why don’t they join?’’) Afin de ne pas entrer dans la discussion, je me suis é- chappé dans un autre salon pour me replonger de nouveau dans ma lecture. Curieuse ccinci- dence, j’entendis, 4 son insu, un Lieutenant de mes amis, qui s’adressait 4 quelques autres officiers en leur demandant pourquoi la ma- rine acceptait de recruter des francais dont “le Service’? pouvait bien se passer. (“Why do we let them join?’’), Pour m’amuser, com- me j’aurais aimé ]’amener parler a l’interlocn- teur de l’autre salon et leur demander “to x make up their minds” a ce sujet. Avant d’entrer dans le service régulier on me disait que c’était mon “devoir” de contri- buer aux forces armées et lorsqu’éventuelle- ment j’ai fait le grand pas on me félicitait du “privilége’’ qui m’avait été accordé! N’est-ce pas bizarre? Cette mentalité n’existe pas sculement dans les forces armées, et la vie civile nous fournit de multiples exemples de cette mentalité supé- rieure que parfois les anglais veulent qu’ou leur accorde et qu’on leur admette. Méme en 1941 lorsque, comme étudiant, je passais de porte en porte pour le recensement national, une anglophone scandalisée de la ville de Qné- bec menagait de me rapporter 4 mes supérieurs en me voyant remplir mes formules en fran- cais et insistait que Québec était une ville anglaise dans une province anglaise. Et cette femme l’an dernier qui écrivait dans un édito- rial 4 Vancouver que: “They should all speak English; it’s easier for French-Canadians to learn English; for us it’s harder to learn French, we are not good at languages’. Et que dire de la gentillesse de notre bonne amie de Vancouver Ouest, amie trés sympathique 4 la cause francaise et qui, sérieusement, nous disait: “We need more of you in B. C.; you entertain us so well’’. Et tous les invités de s‘accorder. Elle était excusable tout de méme; elle était trés jolie! Quoi penser de cette an- nonce & CJOR le 14 novembre 1967 4 5h.30 p.m.: “Canada Manpower requires a bilingual kindergarten assistant — Must speak Parisian French fluently’’. Mon épouse ne parle pas le “Parisian French” mais est assez compétente pour faire partie du personnel enseignant 1e francais a Simon Fraser University. Les natifs de France ne sont pas d’ailleurs tellement capricieux au sujet de notre accent canadien si lon en juge par cet article de Bernard Kaplan qui a paru dans le Vancouver Sun, deux semaines plus tét, dont je cite un extrait : “The Quebec accent, for instance, used to bring tears to the eyes of compassionate Frenchmen and produce peals of mocking laughter from the other kind. Now it is declar- ed “charmant” by delighted hostesses who’ve spent two days telephoning to their friends to see how many Quebecers can be rounded up for the soirée. A dinner party without at least one talkative French-Canadian tucking up is considered a distinct bust’’. La mentalité “franglaise’’ affecte nécessai- rement plusieurs aspects de nos activités que je ne peux couvrir au complet dans ces arti- cles. Mais le cété romantique n’a pas encore été touché et il serait peut-étre bon de parler du sucre de la vie aprés le poivre et le sel. Il est probablement mieux aussi de résumer un lot d’histoires, raccourcies dans une phi- losophie, une mentalité. Les mentalités romantiques canadiennes sont assez différentes, mais plus faciles A définir si nous comparons nos deux extré- mes: les Londoniens et les Parisiens. De 18, nous pourrons réduire l’intensité pour com- prendre le niveau canadien. Le cé6té romantique, d’aprés moi, inclus deux éléments souvent pris l’'un pour l’autre: la fidélité et la loyauté. Si je devais attribuer ces qualités je pencherais pour la loyauté frangaise et la fidélité anglaise. L’anglais sem- ble plus radical que le frangais ici; il ne fait rien ou il fait tout. Sa romance est comme ses habitudes gastronomiques. Il aime ses condi- ments un par un mais beaucoup 4 la fois, com- me cet officier du commissariat qui mettait du catsup sur tout, viande et légumes, méme sur ses deux oeufs 4 double jaunes le matin. Le frangais par contre est plus connaisseur, il ne veut pas une seule épice, mais une pincée de ceci, un soupeon de cela, etc. Le comble du bon gotit est de rarement donner préséance A un condiment. Vive la variété modérée! L’an- glais aime la quantité, le francais aime la qualité. (& suivre)