Octobre 1966 CHATEAUX EN ESPAGNE par Jacky MARGUIN L’Espagne est impénétrable; visiter le pays des “Conquistadors” est une chose, le com- prendre, une autre. Il ne suffit pas seulement de passer les Pyrénées; Espagne recule tan- dis qu’on Vapproche. Crest un pays qui peut laisser le visiteur 4 la porte alors quw’il croit visiter. Cette vieille terre, riche de la semen- ce des civilisations, est un peu comparable a l'un de ces musées d’histoire qui ouvrirait ses portes une fois l’an 4 une foule de curieux avides de sensations; car chaque année des mil- liers de touristes déversent des flots humains sur la péninsule. De méme que la perception du droit d’entrée au musée aide a en favoriser son expansion et a l’enrichir de nouvelles piéces, les devises étrangéres dépensées par les tou- ristes fournissent 4 l’Espagne l’argent néces- saire 4 développer son économie, et par voie de conséquence 4 améliorer relativement le ni- veau, de vie de ses habitants. Ce c6té pratique de Vopération dont tirent profit les Espagnols, n’en laissse pas moins dupes ceux qui par bon nombre ont consacré leur budget annuel de vacances & un séjour en Espagne. Je viens de passer un mois sur la cote mé- diterranéenne de la péninsule ibérique. Ma qualité de simple touriste voulait que je visite Espagne comme on remplit une formalité, mais ma sensibilité d’homme ma permis de découvrir le labyrinthe, si je puis écrire, qu’on tracé les hommes et les événements et qui se perd dans le dédale des siécles de l’Histoire de l’Espagne et de son peuple. Dans cet abri, les vents de surface générés par les transfor- mations qu’impliquent le présent et l’avenir, ne peuvent pas éteindre la flamme du passé que ranime l’Histoire encore brilante dégagés par ces lieux. Ici les morts sont vivants; l’Histoire re- commence; le mythe espagnol renait; les gé- nérations se transmettent le message ; l’Espagne de feu et de sang briile toujours de la méme fiévre. La chaleur des événements a peut-étre as- séché les riviéres, dont le lit présente aujour- @Vhui cet aspect de désolation, & moins que la soif de vivre de ce peuple en soit a l’origine; Vune et l’autre en tout cas, montrent par leur intensité de quel impact ils ont marqué 1’Es- pagne. Cette terre brélée par le soleil, corrompue par les événements et les hommes, ressemble étrangement a la crofite d’un morceau de pain trop cuit et rassi 4 la fois, indigeste 4 la con- sommation. Le fait est que le sol ne produit pas en quantité et qualité suffisante de quoi nour- rir une population; par ailleurs les grandes in- dustries ne sont pas encore assez développées pour lui permettre de vivre dans le confort économique. Que lui reste-t-il done pour sub- L’APPEL _ page 5 sister? le tourisme; ¢’est 4 dire la vente a4 bon marché de son patrimoine national: son histoire et ses sites naturelles. Les Ibéres, les Romains, les Vandales, les Visigoths, les Maures, le héros légendaire Le Cid, la Royauté, la République, puis encore la Royauté et la République, l’avénement du fascisme, le retour probable a la Royauté, en attendant que la Répulique lui succéde de nou- veau, autant de civilisations, de régimes et dévénements qui font de ’Espagne d’aujour- d’hui un des pays au monde, dont |’Histoire, par sa variété et son poids, est une des plus riches qui soit. Mais toutes les péripéties qu’elle a pu traverser n’ont cependant pas réussi & entamer le capital unité qui est au- jourd’hui le sien. Témoin, ce vieil homme que je rencontrai a Barcelonne “L’Espagne c’est comme un gateau, plus on le partage, moins on en veut.” L’Eglise symbolise et préserve cet unité. Il semble qu’elle n’aie point cessé depuis le jour ot. Le Cid chassa les Maures de Valence, au nom de la Foi espagnole. Si les luttes inté- rieur ont souvent créé des divisions parmi le peuple, le Dieu immortel et tout puissant, symbole de la croyance, sauvegarde des tradi- tions, roi des rois, a toujours été, en raison de son Autorité spirituelle, le vainqueur de la discorde. L’attraction de cette force invisible a encouragé l’Espagne a se jeter sur le monde avec la remarquable audace que Il’on sait, et a revétir ce manteau scintillant de colonies, a- lors que la misére la dévorait. Mais ces faux soldats du ciel, ivres d’arrogance, opulents de mépris, n’étaient que les messagers du diable. L’Espagne a ainsi vécu des siécles étincelants de lumiére dont les clartés ne jettent plus au- jourd’hui que des ombres. Puis soudainement, son Histoire s’est arrétée comme une montre que l’on oublie de remonter. Alors trente an- nées se sont écoulées, sans méme que l’on puis- se percevoir le tic-tac réconfortant qui mar- que les secondes de l’espoir. La guerre civile a laissé des traces profondes, elle a freiné l’ar- deur et la volonté de tout un peuple, elle a re- tardé Vévolution d’une nation. Elle ne doit pas empéché cependant l’Espagne de s’unir avec le reste de Europe, pour son propre salut, non plus avec Vappétit d’un Cortez, mais avec la soif du progrés. N’est-ce pas ce genre de révo- lution que les Espagnols souhaitent? J’entends encore comme une mélodie cette phrase que me jeta le guide du chateau de Tortosa en Catalogne “Si Histoire était musi- que, quel concert l’Espagne.” Le chateau de Tortosa a été construit par les Romains, détruit en partie par l’invasion des Maures, assiégé par les troupes de Louis le Pieux, et tout derniérement fiit le théAtre de la lutte qui opposa les Républicains aux Fas- cistes au cours de la célébre bataille de l’Ebre. Le guide qui défend aujourd’hui sa qualité de fonctionnaire au sein du gouvernement fas- ciste pour la liberté de ses droits, combattait hier aux cétés des Républicains pour ses droits & la liberté. SS ee