prolongement vivant de leur pagaie et leur mode de vie était aussi proche de la nature que celui des Indiens. Parmi les voyageurs, on comptait une autre petite élite: les équipages triés sur le volet qui maitrisaient les canots rapi- des, ces légers esquifs utilisés pour livrer des messages Ou pour promener les dignitaires en visite. Les exploits de ces premiers voya- geurs sont si remarquables que la postérité a fait d’eux des géants. La vérité est tout autre. En fait, chaque livre excédentaire comptant 4 bord d’un canot, le voyageur ne devait pas mesurer plus de cinq pieds cinq. Nombreux étaient les commis de ferme qui maudissaient la nature le jour ou, se considérant dans un miroir, ils avaient dépassé la taille idéale du voyageur. Les familles étant nombreuses, c’était généralement le fils ainé qui héritait de la ferme. Ses fréres, peu qualifiés, n’avaient guére d’autre choix que de céder aux fortes pressions familiales ens’engageant dans la traite des four- rures. Les grands-péres, qui se tar- guaient d’avoir suivi La Vérendrye vers l’ouest, les cousins et les oncles qui avaient porté le ceinturon des voyageurs, dissipaicnt l’ennui des longues soirées d’hiver en racontant des anecdotes, étoffées par leur imagi- nation fertile, sur la vie au «pays d’en haut», dans ces contrées sauvages au nord et a l’ouest du lac Supérieur. Parfois, les jeunes gens n’avaient méme pas voix au chapitre. Leur pére les faisait engager pour trois ans, au sa- laire que les «bourgeois» jugeaient bon de leur offrir. A son apogée, la Compagnie du Nord- Ouest employait plus de onze cent voyageurs (et trente-cing guides), la plupart chargés de faire la navette entre Lachine et lextrémité des Grands Lacs. La majorité des recrues, armées de lettres de recommandation signées du «curé» de leur paroisse, arrivaient de villages proches de Montréal: Sorel, Vaudreuil, Longueuil, Rigaud, Ile- Perrot, Chateauguay, Chambly et Pointe-Claire. Trois-Riviéres et Qué- bec contribuaient aussi 4 1’effectif des voyageurs. Presque tous étaient Fran- ¢ais mais on a trouvé des contrats signés par des Anglais, des Allemands, des Ecossais et un Antillais nommé Bonga. Ces contrats (généralement signés d’un «X» ferme et décidé) stipulaient non seulement le salaire et la durée du service (trois ans dans le Nord) mais, en termes bien précis, les effets que recevail chaque signataire au moment de son engagement. Un hivernant typique recevait deux couvertures, deux chemises, deux pantalons, deux mou- choirs et quatorze livres de tabac. L’abondance de ces fournitures était fonction du rang et de l’expérience de chaque recrue. Jean-Baptiste Rolland, par exemple, quis’engagea le 24 avril 1817 comme «milieu» pour trois ans sur le lac Huron au service d’un «bourgeois» nommé Guillaume, recut un salaire annucl de 30 Livres, deux perches de tissu, une couverture a trois points, trois coudées de coton (*), une paire de chaussures, un cable de ha- lage, deux livres de savon et trois li- vres de tabac. Les voyageurs s’engageaicnt aussi a «servir, obéir et exécuter loyalement tous les ordres dudit Bourgeois ou de -l’un de ses représentant qui (pouvait) devenir le bénéficiaire du présent engagement, a le respecter honnéte- ment, a avoir le profit du Bourgeois a coeur, 4 éviter tout dommage, a préve- nir ledit Bourgeois au cas ou un inci- dent se produirait ct 4 se comporter dans Il’ensemble comme tout empjoyé consciencieux; a ne se livrer 4 aucun négoce personnel, a ne pas s’absenter et 4 ne pas quitter le service susmen- tionné, sous peine d’encourir les pé- nalités prévues par les Lois de cette Province et de perdre son salaire». Il s’agissait d’une forme de servitude particuliérement cruelle, aggravée par le fait qu’une fois a terre, les voya- (*) Une coudée correspondait a l'origine a la dis- tance entre l'extrémité du majeur et le coude. Ce- pendant, cette distance semblait varier d'un pays a l'autre puisqu'une coudée anglaise mesurait 45 po, une coudée écossaise 37 po, une coudée flamande 27 po et une coudée francaise 54 po. Vol. 4 no 1 LE COURRIER DE LA SOCIETE D'HISTOIRE, Avril 1991 SS TSM TIE ELST DEPO AES EES DT LADLE EED LOE LILLIE TPDEE DLE DE EDEL OLE EB LEE EAB LTE EE EB ROE IIE EO AI IAL OEP OE LLL NILE TILE! ETO TCI OAS cw prreers geurs étaient poussés 4 s’endetter auprés des magasins de la Compagnie (qui pratiquaient des prix prohibitifs) afin qu’ilsne puissent s’en émanciper. Une fois endettés, ils étaient contraints de se rengager pour éteindre leur dette. Trés peu d’entre eux eurent l’audace de contester le caractére sacré des termes du contrat. Un systéme aussi féodal dut éveiller uncertain ressentiment mais rares sont les récits de mutineries. Au lac A-la- Pluie, le 3 aout 1794, Duncan McGilli- vray se trouva au cocur d’une gréve, plusieurs escouades de voyageurs re- fusant de lever le petit doigt tant qu’on augmenterait pas leur salaire. La ré- bellion fit long feu. Le rusé McGilli- vray remarqua que certains meneurs semblaient hésiter et il confia 4 son journal: «Ils exigeaient que l’on accé- dat a leurs revendications , mais il était clair qu’ils étaient en proie a des scru- pules. Bien qu’ils s’efforgassent de la cacher, une certaine timidité transpa- raissait dans leur comportement, ce qui bénéficia fort 4 leurs Maitres qui ~ surent en tirer parti. Avant la nuit, les plus timides étaient retournés au tra- vail et les autres, honteux a l’idée d’abandonner leurs compagnons, ne tardérent pas 4 suivre leur exemple». A SUIVRE ... Tiré du livre de Peter C. Newman LES CONQUERANTS - DES GRANDS ESPACES Edition de L- HOMME 5