ISSN 1496-8304 Rod ly ee) Le Moustique Bravade, bravoure et bavardage. J.-J. Lefebvre Il y a peu d’eau en fond de trou. Quelques galets aplatis et un veritable tapis d’algues brunes, gélatineuses. Un gros bloc en travers nous aide a descendre. On fait cela trés bien. Ce n’est pas profond: une hauteur d’homme. Je passe méme le sac du guide et le lui porte sur l’autre rebord, a bout de bras. C’est incroyable, son sac pése une tonne ! Que peut-il bien trimbaler avec lui dans ce coin perdu ? Il est trop décontracté pour étre un contrebandier essayant de se noyer dans la foule des touristes. Et de toute maniere, que viendrait-il faire ici ot l’on ne risque de rencontrer que des immigrants clandestins chinois ? Peut-étre aime-t-il bien manger et ne ferait ce genre de balade sportive qu’avec le seul but de s’ouvrir l’appétit ? Son sac déborde peut- étre de mille bonnes choses auxquelles je n’ai pas gouté depuis...quand donc... quatre jours ? Ce serait inattendu mais sympathique. Malheureusement, il n’y a aucun moyen de le lui demander, il n’arréte pas de parler. Bon, c’est franchi! La routine, quoi ! On est des "pros" maintenant. On fait tout cela sans s’essouffler, sans méme y penser. Sans étre aussi impressionnante qu’a la pointe Owen ou a YOuest de la riviére Camper, la céte est belle. D’autant plus que le temps est au plus beau. Quoiqu’on dise, il suffit que le soleil inonde de couleur le monde autour de nous et tout parait plus merveilleux, tout semble étre pour le mieux. Ma fille et moi-méme, nous avangons d’un pas martial car, cette fois cela est certain, nous avons la pleine forme et, en partie également, dans le Page 40 Volume 4 - 5° éditions Mai 2001 secret désir de distancer le guide. Mais il est solide le gars. Tout en parlant de maniére heurtée tant il est pantelant, le type s’accroche. II est de plus en plus difficile 4 comprendre. Les sons étouffés par le souffle rauque s’étranglent dans sa gorge. Ses phrases s’achévent dans un soupir de moribond et reprennent dans une aspiration désespérée. Mais il lui parait impossible de se taire. Alors qu’il aborde l’important probleme des implications graves d’un gouvernement séparatiste au Québec sur les agissements du gouvemement fédéral en regard des intentions du gouvernement provincial de la Colombie Britannique pour ce qui touche a l’industrie de la pate a papier, nous sommes arrétés net par un nouveau chenal. Loin derriére, le couple nous rejoint lentement, lui, toujours silencieux, elle plus claudiquante que jamais. Le passage est cette fois plus compliqué. La tranchée est profonde d’un peu plus d’une hauteur d’homme et large d’environ cing métres. Déja, elle est envahie par la mareée. Il n’est pas question de descendre dans |’eau ; le ressac est violent et pourrait nous entrainer au large. Sur notre bord, une étroite banquette est accessible, un métre cinquante plus bas. Elle est au niveau de l’eau. Par elle, on peut accéder a un gros rocher qui émerge a peine au milieu du chenal et a partir duquel on pourrait sauter sur l’autre bord. C’est un passage quelque peu escarpé, mais c’est faisable. On laissera les sacs a dos sur le rebord, face au rocher. On descendra sur la banquette un peu plus loin, prés de la mer, oti elle est plus facile d’accés, pour revenir enfin vers le rocher ot l’on passera les sacs de main a main, une personne sur le rocher, une autre sur le rebord d’en face. Si le plan est parfait, la banquette, elle, est loin de nous satisfaire. Sa surface est rendue trés irréguliére par la présence de plusieurs goulettes discontinues et, surtout, elle est entiérement recouverte de cette algue brune et glissante. Le jeune couple s’est encordé.