Momie), Conan Doyle et Edgar Allan Poe — dont Réginald Hamel nous assure qu’ils figuraient dans la bibliothéque de |’auteur -, la critique omet de signaler qu’Alfred Mercier se rattache aussi a un courant plus rare de la littérature francaise : celui des « Petits Ro- mantiques », illustré par Pétrus Borel, Philothée O’Neddy, Xavier Forneret, Aloysius Bertrand, Alfred Le Poittevin — pour n’en citer que quelques-uns -, jeunes €crivains dont I’ceuvre poétique et ro- manesque se caractérise par ses outrances verbales, sa délecta- tion de la névrose (Mercier ne fut-il pas un pionnier des études psychologiques dans son pays ?), sa fascination pour le morbide et le macabre, son ouverture sur l’onirisme et les visions noctur- nes. L’abondante utilisation par le romancier louisianais de ce que les spécialistes de la littérature du XIX° siécle appellent « l’attirail » ou le « bric-a-brac » romantique (bandits, jeune fille évanescente, morte ou evanouie, poignards, fioles de poison, vieux grimoires, caveaux, cimetieres, croix, squelettes, etc.) confirme le fait. Nul doute que les membres de cette bohéme désenchantée des an- nées 1830-1840 aurait reconnu Alfred Mercier comme |I’un des siens, quitte a le choisir comme chef de file. Car ce qui le différen- cie d’elle et en fait d'une certaine maniére son « ainé », ce sont sa maturite stylistique et son étonnante modernité: une écriture en partie dégagée du pathos alors en vogue, incisive, percutante ; des descriptions de paysages réduites a leur plus simple expres- sion et subordonnées a l'intrigue ; une profusion de détails d’un réalisme cru, violent et parfois cruel, impensables dans la France littéraire du XIX° siécle (Baudelaire ne vit-il pas ses descriptions de Une charogne censurées ?). Je songe par exemple au récit du meurtre et de l’'agonie d’un des personnages qui s’étend sur prés de trois chapitres, annongant déja le roman noir américain, signe de l'appartenance de Mercier a deux continents. Rappelons diail- leurs qu'il fut le premier auteur a dénoncer |’avortement, un sujet tabou a son époque et dans son pays (sans doute son statut de médecin le lui permit-il). Certaines de ses scénes n’ont méme rien a envier aux films d’horreur contemporains. En voici un extrait : « Tous deux [Eliphaz et Méphiboseth] cédant a l'impulsion de la rapacité, se jetérent sur le brillant métal, comme des vautours affamés sur une proie. Ils avaient tout oublié ; ils ne connaissaient plus qu’une chose au monde, c’était l’or sur lequel ils étaient courbés. Cependant, le vent, qui s’engouffrait dans la cheminée, grondait toujours. Suite en page 23 14