Se 8, Le Soleil de Colombie, le 9 mai 1975 par Lysiane GAGNON “Le francais doit étre langue of- ficiel, et des’ mesures devront étre réalisées pour ce qu’une Office de la langue du Québecois soit créée, cest a dire qu’il-y ait des linguis- tes officiels du Québecois indépen- dants de la linguistiques qui est de- claré présentement et basée sur le frangais de France et surtout de Paris.” (sic). _Cest cet extrait d’un_ travail écrit d'un étudiant du collégial qui illustre peut-étre le mieux l’état ac- tuel de l’enseignement du francais au Québec et ses effets les plus flagrants: Vignorance de Vorthogra- phe, de la syntaxe et des régles elémentaires de la grammaire, le manque de rigueur et la confusion mentale, et J’engouement pour le joual — dont la deéfinition n’est dailleurs jamais plus claire que la fagon dont on en parle. “Lenseignement du_ francais ? J’ai trois enfants a l’école et je suis découragé de A a Z”, dit. un pére de famille qui fut, dans les années ’60, un chaleureux partisan de la réforme scolaire. La remar- que résume bien |’état d’esprit d’un nombre grandissant de parents qui décident parfois, lorsque Je vase déborde, de changer leur enfant @école ou de l’envoyer carrément au secteur privé dans l’espoit que d’autres professeurs, plus compé- tents, ou d’autres méthodes, plus traditionnelles, pourront lui permet- tre d’apprendre a lire autre chose que des bandes dessinées et a écrire dans un francais relative- ment correct. C’est cette raison qui explique une partie des transferts vers le secteur privé, méme ‘dans les mi- lieux ow l’on croit, en vertu de con- victions d’ordre social, au secteur public. Ces transferts, effectués a regret dans bien des cas, sont aussi le fait de parents qui sont professeurs de francais dans le sec- teur public. Pour l’un de ces parents, le vase a débordé lorsque sa fille de 10 ans lui a montré un questionnaire de contréle rédigé par V’institutrice: “Quel est le féminin de “prin- temps”? Quel est le féminin de Il semble que 15 ans de reforme scolaire et cing ans de réforme dans les programmes d’enseigne- ment du.francais-langue maternelle n’aient abouti qu’a ceci: une gene- ration d’adolescents et de jeunes adultes qui: — ne lisent pas ou'si peu; — sont incapables d’exprimer leur pensée par écrit avec un mini- mum de correction et de clarté; — parlent peut-étre avec plus d’aisance que leurs ainés, en ce sens que la régle du “‘toi, tais-toi” ne joue plus aujourd’hui et qu’ils sont peut-étre plus dégagés, plus spontanés. .. mais parlent-ils mieux, c’est-a-dire plus clairement ° La-dessus, Jes opinions sont par- tagées. Au cégep, il faut des cours de “raffrapage”’... Sur l'état de la langue écrite, par contre, tout le monde est du méme avis dans les milieux ot l’on exige une certaine connaissance de la langue. Tout individu qui a eu a embau- cher une secrétaire sait qu’il de- vient de plus en plus difficile de trouver la perle rare qui puisse dactylographier une lettre a peu prés sans fautes. Les journaux ont de plus en plus de mal a assurer la reléve de leurs effectifs: la majorité des journalis- tes-stagiaires de moins de 23 ou 24 ans sont incapables de rencontrer les standards minimaux de la langue journalistique la plus courante. A LA PRESSE par exemple, on fai- sait récemment passer un test a une quarantaine de candidats. C’e- tait un test en trois parties qui ne contenait pas de tres grandes diffi- cultés. Le seul candidat qui, parmi tous ces, jeunes diplémés québécois, a réussi Je test était un Haitien. Au cégep de Jonquiére et a l’u- niversite Laval, les départements de formation en journalisme et en communications ont été obligés d'inscrire au programme des cours de frangais qui sont, de fait, des cours de “rattrapage” de niveau presque élémentaire. La méme constatation s’impose dans des domaines ott l’emploi con- tinu de la langue écrite est moins exigé: a Ya faculté de Pharmacie de VUniversité de Montreal, dont un administrateur s ’indigne en privé de recevoir de plus en plus de demandes d’inscription a la fa- culté de ‘“Farmacie”. En sciences sociales, ol les professeurs — que ce soit au niveau du cégep ou de Yuniversité — ont depuis longtemps renoncé a tenir compte de la qua- lité du francais dans les travaux écrits de leurs étudiants... mais qui constatent quand meme que le contenu et la forme sont indissocia- bles, et qu’un bon travail est géné- ralement assez bien écrit. En Droit, ou les professeurs consta- tent que leurs récentes fournées d’étudiants ont énormément de dif- ficultés a lire des textes longs et un peu arides, et encore plus a ré- diger leurs examens. “Je fais des fautes a toutes les lignes...” Sur l’enseignement du francais a tous les niveaux du systéme sco- laire (l’élémentaire, le secondaire et le collégial), nous avons fait en- quéte, rencontré des dizaines d’en- seignants, d’animateurs pédagogi- ques, de parents, d’éleves et d’étu- diants, des responsables du minis- tére et des commissions scolaires... et exception faite de quelques re- _ marques spontanées de professeurs excédés, qui ne cachaient pas leur désabusement total, les seuls qui n’ont pas cherché a trouver mille et une justifications aux probleémes réels de l’enseignement du francais sont les parents (dont les réactions vont d'un scepticisme prudent a l'indignation) et les étudiants, qui, eux, admettent avec simplicité quils ne savent, a toutes fins uti- les, ni lire ni écrire, et quis’en in- quiétent de plus en plus a mesure qu’ils se rapprochent du marché du travail ou des études supérieures. _.Plusieurs professetr§ de'francais du collégial avotent que len's -étu diants leur demandent des cours de rattrapage en grammaire. Au cégep Maisonneuve, par exemple, huit étudiants qui veulent entrer en Droit ont demandé des cours sup- plémentaires susceptibles de colma- ter au moins quelques-unes des im- menses bréches laissées dans leur formation antérieure. Micheline, 20 ans, finissante du cégep, concentration lettres, qui se cherche un emploi (documentaliste? Vendeuse? Elle ne sait pas): “Ca me panique d’avoir a écrire une let- — -ledramedelen es parents inquiets, des éléves a tre, je Sais que je fais des fautes a toutes les. lignes.” Claire, 16 ans, secondaire V: “Savoir écrire, oui, je pense que c’est important... pas tellement histoire des fautes d’orthographes, mais savoir construire ses phrases pour étre compris... Remarque qu’a l’école (c’est. une grosse poly- valente d’un quartier huppé), tout le monde fait des fautes, tu devrais voir le style des directives internes rédigées par -l’administration, et puis les lettres aux parents... — On aimerait ¢a connaitre des choses comme la racine des mots, reprend Nathalie, 13 ans, comment tu dis ca, ‘‘étymologie’”’? Ma soeur, elle, elle veut prendre le latin l’an prochain. — Ca donne rien, dit Michel, 14 ans, j’ai fait ca l’an dernier. — Tu sais, au fond, dit le groupe en choeur, on travaille juste pour les points, mais on sait qu’on n’ap- prend pas grand-chose, et qu’on perd son temps. Mais que se passe-t-il; dans. ces classes de francais ? Nous allons tenter d’en donner un apercu, ni- veau par niveau. @ L‘inflation verbale : Comme pour masquer cette pau- vreté culturelle qui se dégage du systeme, on emploie de grands mots, et l'on s’étourdit avec de grandes notions savantes: En 4e année, l'enfant rédige des “romans” et fait de la ‘“‘recher- che”, au secondaire III, il élabore des ‘“‘scénarios” ou des ‘‘édito- riaux’’, au collégial, il plonge sans préparation suffisante dans J’uni- vers hermétique de la semiologie . . . Pendant tout ce temps, l’éleve n’aura meme pas appris les régles élémentaires de la langue écrite, et aura trés peu lu. Aux paliers supérieurs (cu ni- veau de -la recherche et de l’ani- mation pédagogique et chez les fonctionnaires du ministére), on se - gargarise de mots, on se réfugie derriére I’hermétisme de la techno- cratie, et lon pense davantage a faire des graphiques -et des plans somptueux qu’a réévaluer la pure et simple réalité concréte. : ® La manie des gadgets : Comme dans les autres domaines de Venseignement, le ministére a lancé le courant selon lequel la beauté et la modernité de l’équipe- ment matériel compte davantage que le contenu méme de l’enseigne- ment et les ressources humaines. I! se dépense beaucoup d’argent — des millions — en gadgets inutiles, en appareils audio-visuels qu’on uti- lise a tort et a travers. ® Le chauvinisme: Faute d’identité réelle et faute de véritable projet collectif, le Québec a “le meilleur systeme d’enseigne- ment au monde’: on fait peu Wemprunts aux autres pays franco- phones — méme pas pour les ma- nuels. On préfére traduire de’ l’a- méricain. Tout — les méthodes, le materiel didactique, les eahiers d’exercice, et méme, éventuellement, les livres de grammaire — devrait étre cela, on libérera provisoirement cela, on liberera provisoirement des enseignants de leur tache nor- male, et ils devront se transfor- mer, du jour au lendemain, en ani- mateurs, en auteurs de manuels, ete. Car il semble que le Québec n’appartienne plus, au chapitre de a ee a la francophonie mon- iale. Autre manifestation du chauvi- nisme: le rejet, dans bien des mi- lieux enseignants, de la littérature étrangére, et notamment de la lit- terature francaise. Envers la France, c’est la vieille relation amour-haine qui se perpétue, le Québec se comportant envers sa meére-patrie 4 la maniere d’un ado- lescent qui déteste sa mére parce qu'il n’est pas autonome. @ La-dégradation de la formation générale: ‘C’est surtout, on le sait, a tra- vers les cours de francais que s’ac- quiert ce que l’on appelle “‘la for- mation générale”, c’est-a-dire le sens de la logique et de la rigueur, le sens critique, la capacité de s’in- former, et certains éléments de connaissance qui sont nécessaires pour vivre et comprendre un peu plus pleinement. En francais comme dans d’autres matiéres, l’éleve est maintenant soumis a une série de ‘‘flashes’”’, il apprend par bribes, dans !’éparpil- lement le plus complet, sans acqué- rir les moyens de faire des liens entre les choses. Plutét qu'un outil de formation de Vesprit, l’école est devenue dans une large mesure une sorte de télé-journal. . C’est dahs ce courant que s’in- scrivent, par exemple, |l’abolition des programmes structur’; en - Québec? L’important, cle frangais, i’engouement f~ dio-visuel, et l’absence de~ mensions historique’ dan gnement de la littérature. duit des gens qui non ~ n’ont pas de “culture { mais qui sont aussi pas: déracinés de leur propre '— qui, ‘n’ayant jamais eu,‘ degré que ce soit, le sen” toire, devront inventer dé~ Yavenir du Québee a rien, sinon de leurs proj tions ou “‘feelings’’. Face a cela, les intelle milieu scolaire ont tout t de réponses. Ce sont des qui ‘peuvent faire reéflé, voici. i—La crise de l’orthogré en parle depuis 1880! .” n'est pas pire qu’avant, — cris d’alarme qu’ont Sl) ment lancés tant de genél” l'on parle encore frangals, — 2— Ecrire, ca deviendr en plus un métier spécia” aura des gens .qui auront — dautres qui les écriront. mettre l'accent sur écrite, si la majorité des auront pas besoin dans vail? - 3La langue change. P- latin, qui a peu a peu aC sance a d'autres langues.” voir la langue frangals€ une chose fixe et immual la langue change partout, ne changerait-elle pas voir communiquer. 4— C’est la méme ch Il y a partout une cri gnement de la langue mi et a plus forte raison une la langue écrite. Part France, aux Etats-Uni Pourquoi ferions-nous exce’