we ae tthe ttn TE ne a eT ne nO Ee } is Le Soleil de Colombie, vendredi 29 janvier 1988 - All VOYAGES [Suite de la semaine derniére] - Par Jean-Claude Boyer © Le lundi matin, mon séjour a Lausanne se termine déja. Mes aimables hétes me _ confient _ d’anciennes piéces de monnaie a donner en cadeau a mes neveux collectionneurs et me donnent un pinot noir du Valais (j'ai partagé avec eux le «braulio» que m’ont donné des amis italiens). Je les remercie comme Patrick lui- mémel’aurait fait, et échangeons nos adieux. Je reprends le train, cette fois pour le plus court trajet de mon tour du monde, Montreux que nous atteignons en quatre minutes exactement! Je laisse parler une Lausannoise loquace qui ne partage pas mon admiration pour la _ propreté légendaire de sa ville. «Cette _propreté nous égorge, nous, les payeurs de taxes, me répéte-t- elle au moment oi le train entre en gare. Aprés avoir déambulé dans quelques vieilles rues Pittoresques, je poursuis ma promenade sur les bords fleuris du lac Léman jusqu’au fameux chateau de Chillon (XIIIe siécle). Le billet d’entrée qu’on m’y remet est sans doute le plus -grand que j’ai jamais acheté; on ‘dirait une page de livre, avec itinéraire a suivre imprimé sur les deux cétés. Visite sans histoire... surchargée d'histoire. Cet aprés-midi 1a, je me retrouve au coeur du vieux Fribourg enveloppé d’épais brouillards. On dirait une immense scéne qu’envahiraient des nuages artificiels pour amplifier des effets de théatre. Je rencontre ici une Dominicaine, la un Bénédictin, vétus de leur bure, comme au moyen 4ge. Jaime cette atmosphére vapo- reuse, «mélange subtil de brume et de lumiére» semblable 4a celle du Grand Meaulnes. J’aime parcourir a pied, d’un endroit a Vautre, ce «Fribourg frisson- nant». Avant de retourner a la gare, je me laisse séduire par les vitraux de la cathédrale Saint- Nicolas (XIIle-X Vle siécles) , ou se marient les styles frangais et allemand. En attendant mon nouveau départ, pour Berne, je m’amuse a - fouiner dans les cartes postales. Mon attention est attirée par deux... priéres: «du chien» et «du chat». Elles sont illustrées d’un basset a l’air dolent et d’un _ magnifique angora gris, aux yeux | _ambre. * A mon arrivée dans la capitale suisse, je téléphone a un jeune couple rencontré en Irlande ily a deux mois: Hamid, Iranien moustachu, économiste, et Ingrid, infirmiére allemande. Ils me recoivent dans leur apparte- ment tout blanc comme un cheik, au son d'une musique iranienne. Mon oreille se prétant mal a ces mélodies orientales, Hamid a tét fait de les remplacer par des gigues irlandaises. Repasiranien, arrosé de vin espagnol. Je me sens pacha. Nous conversons en anglais, bien entendu. La jeune Allemande est également a l’aise en francais alors que |’Iranien maitrise, en plus de l’arabe, Récit d'un tour du monde l’allemand et l’italien. Dire que l’'apprentissage d’une seule lan- gue seconde parait impossible a tant de Nord-Américains! La soirée se termine dans un pub fameux, fondé en 1635, peu aprés Québec! Nous trinquons a la santé de nos trois pays et celtii de saint Patrick, en échangeant des propos sur nos cultures respectives, non sans nous étre d’abord rappelé notre randonnée en voiture dans le Connemara. Ingrid me parle de son nouvel emploi dans le service social, emploi qu'elle trouve encore plus «challenging» que sa profession d'infirmiére. Hamid, lui, laisse! parfois échapper des propos peu flatteurs sur son Iran natal. «L alcool y est prohibé», me dit-il entre deux bonnes gorgées de biére. «Le peuple itranien ne S'entvre que de musique milt- tatre» Pour ma part, je leur décris, entre autres, le temps des sucres et la péche aux petits poissons des chenaux. Tout a coup, explosion de joie de vivrel Une vingtaine de fétards se lévent en entrechoquant leurs verres et! scandant trés fort je ne sais quoi en allemand... Quelques heures plus tard, je me couche dans un grand lit douillet enveloppé dans les lueurs froides d'une veilleuse verte. = Nuit excellente, comme sous leffet du meilleur soporiphique. Mes deux amis se montrent de nouveau d’une gentillesse exqui- se. Avant mon retour ala gare, ils insistent pour que j’accepte bon nombre de francs suisses et une bouteille de vin espagnol, au millésime de 1971. (J’ai partagé avec eux le pinot noir que m’ont donné les Casanovas). Autres adieux et remerciements répétés. En attendant l’heure du départ, pour Innsbruck, je visite Berne, comme en 1979, cette fois a travers un grand éventail de cartes postales. J’en choisis deux humoristiques. L’une représente un morceau de gruyére découpé selon les contours de la Suisse; un de ses yeux s’exclame: «Cheese people!» («C'est nous ‘les spécialistes du fromagel!») ; l'autre, une «vache qui rit», grelot «grelottant», rose entre les dents, et cette formule laconique: «La Suisse? Vachement sympal» Les Alpes autrichiennes aux couleurs automnales_ défilent maintenant, majestueuses, sous un soleil éclatant. Précipices, tunnels, sommets enneigés, ruis- seaux tortueux, prés verdoyants, Maisons blanches aux facades . peintes comme des tableaux, clochers effilés ou en bulbe... Japercois l’hétel Mozart alors que j’écoute justement, avec mon baladeur, un divertimento du divin compositeur. C'est du Bach, ensuite, que je choisis d’écouter ; sa musique éléve l’ame bien au-dela des sommets de ce monde. Innsbruck apparait au pied de ses hautes montagnes. Sa vue me rappelle les Jeux Olympiques d’hiver de 1964 et 1976. Dés que je sors de la gare, je suis frappé par l’aspect endimanché de ce paradis du sportif a la vocation ~sont Au dela des Alpes presque exclusivement touristi- que. Arc de triomphe, nombreu- ses facades du XVIle siécle, église rococo, chapelle impériale (un prix d’entrée est exigé pour la visite: vingt-quatre statues de bronze plus grandes que nature entourent le tombeau_ de Maximilien I) , l’Inn, affluent du Danube, le «petit toit d’or» du XVe siécle... Le musée des Jeux ne semble ouvert que pour moi seul (il n’y a pas un chat). Je m/’attarde a des postes vidéos présentant Innsbruck et les meilleurs moments de ses Jeux, ainsi qu’a une impressionnante collection de médailles et de timbres commémoratifs.. En retournant a la gare, je m’arréte prendre un café-eau de vaisselle dans un McDonald dont les tables installées dans des... traineaux. Puis je monte, vanné mais ‘heureux, dans le train de nuit pour Paris. Au cours de ce périple, de Milan a Paris, a travers les Alpes italiennes, suisses et autrichien- nes, j'ai plus d’une fois fredonné en moi-méme, avec Trenet : «Mes jeunes années courent dans la montagne, courent dans les Sentiers pleins d’otseaux et de fleurs... Des lacs, des plaines, des montagnes et des bots, mes Souvenirs m’entrainent vers le ciel de chez mow. << Le billet d’entrée du chateau ressemble & une page de livre. Visite sans histoire... surchargée dhistoire » * La priére du chien dit ceci: Seigneur mon Maitre, dont je partage la destinée, ma fidélité n'est pas mesurée aux commodi- tés de ta demeure, ni a la patée que tu me réserves. Je garde ta maison comme la mienne, qu'elle soit de planches ou de marore. Je te suis ou tu veux, fais ce que tu m'ordonnes et tout est facile et agréable quand tu me montres de Vamitié. Car plus que les: biens que tu as ou que tu nas pas, plus que le confort que tu m ‘assures ou ne peux moffrir, fapprécie la caresse amicale de ta main et ton regard confiant. Montre-moi souvent que je compte un peu pour tot. Seigneur mon Maitre, qui es tout pour mot. La priére du chat n’est pas moins inspirée : A monami. N’oublie jamais: je ne suts pas ton jouet. Ne mienferme pas inutilement, je réve de liberté. Garde-moi du tapage, carj ‘aime la tranquillité. Fournts-moi des coussins doutl- lets, car mon sommeil est sacré. Souviens-tot que la gourmandise est mon péché mignon. Ne miaccable pas de _ caresses inuttles, je te ferat savoir quand elles me manquent. Mais ne m'abandonne jamais, car ta compagnie fait mon bonheur.