8 Le Soleil de Colombie, Vendredi 22 septembre 1978 Le livre Naaman .. Depuis 1973, Antoine Naa- man dirige, dans la ville de Sherbrooke, qu'il qualifie de “Carrefour des ALF” (entendre “Auteurs de langue frangaise”’), une maison d’édition qui porte son nom et qui, s'il faut tenir compte du volume de’ ses pu- blications, prospére conforta- blement. Les éditions Naaman ont en effet publié quelque 61 titres au cours de leurs quatre premiéres années de fonction- nement et la seule liste de pro- duction d’avril 1978, dont Le livre d‘ici recevait récemment les principaux ouvrages, com- porte 22 nouveaux titres répar- tis en six collections diffé- rentes: Anthologies, Création, Etudes, Pour tous, Prix litté- raires et English Series. Que monsieur Naaman ait réussi a faire de sa maison un véritable carrefour de la franco- phonie rapprochant les quelque deux cent millions de parlant- francais répartis dans le monde et & favoriser, selon ses objec- tifs, le dialogue universel, cela ne fait aucun doute si on cons- tate que des 17 livres qui nous sont parvenus récemment, six _ sont dds & des auteurs québé- cois, trois a des écrivains d’Afri- que noire, deux & des haitiens, deux & des francais, deux & des franco-ontariens, un a un al- gérien et un a un vietnamien. Voici la liste de ces 17 ou- vrages que nous avons parcou- rus a votre intention. Dans la collection ‘Pour ARRIVEE AU CANADA [Suite] Et un accord fut enfin signé entre eux, accord qui fut souvent remis en cause par les gouvernants cana- diens ou plutét par leurs sous-ordres, officiers, sol- dats, ou représentants. La vision changeait car nous traversions maintenant les terres du Manitoba, de- venues les belles terres a blé, puis celles de la Sas- katchewan, vastes étendues uniformément plates, sans arbres, la Grande Prairie, ot’ les troupeaux d'innombra-. bles bisons avaient marq profondément leurs em- preintes dans le sol, sur les pistes qui les conduisaient vers les salinés qu’ils ai- maient. Aujourd’hui encore on peut les voir, la ot la charrue n’a pas passé. Et il n'est pas rare, nous disait un vieux du pays, de trouver des carcasses et les cornes de ces puissants ani- maux, maintenant en voie de disparition. En effet, les Indiens d’abord, les Blanc ensuite, avec leurs armes plus perfectionnées, ont dé- truit sans retenue et par milliers ses bétes dont ils ne prélevaient que la belle toi- son laineuse, la bosse et la langue, morceaux de choix, laissant sur le sol des mon- ceaux de viande dont se délectaient les coyottes. Les troupeaux qui restent sont, soit dans les parcs natio- naux, soit encore en liberté tous”, D’un sexe & I’autre d’Hubert Wallot, psychiatre québécois de 33 ans: un excel- lent traité faisant preuve d'une ouverture d’esprit peu com- mune face, en particulier, au phénoméne de I’homosexua- lité en relevant fort clairement les multiples aspects de la dé- termination du sexe chez I'in- dividu. Dans la collection ‘“Antholo- gies”, Anthologie du roman haitien (1859-1956) de Ghis- laine Rey, une haitienne de 60 ans: découverte d'un mondemdques culturel riche et nouveau pour nous qui commence avec la parution, & Paris, en 1859, du premier roman haitien en lan- gue francaise, ‘’Stella’’, ceuvre posthume d’un jeune écrivain, histoire allégorique d’un es- clave et de ses fils racontant les péripéties des révoltes et de la guerre qui devaient aboutir & l'indépendance du pays. La collection “Etudes”, nous offre d’abord une excellente biographie, due a René Dionne, professeur & l'Université d’Ot- tawa, d’Antoine Gérin-La- joie, homme de lettres. Néa Yamachiche en 1824 et mort a Ottawa en 1882, Gérin-Lajoie offre l'image du littérateur qué- bécois typique du XIXe siécle et il est au Moins une de ses ceu- vres que nul n’ignore, cette chanson qu'il écrivit en 1842, a \'€ge de 14 ans, aprés avoir vu passer sur le St-Laurent, devant Nicolet od il était réthoricien au dans l'extréme nord de |’Al- berta ot se trouvent au moins deux bandes assez importantes dont l'une ap- partient a un métis. Il est maintenant absolument_ in- terdit de les tuer, sauf dans le cas de nécessité vitale ou urgente. Le rail toujours vers louest, tout droit, laissant apercevoir des terres mieux cultivées, esaimées le long de la voie, villages parais- sant prospéres par la proxi- mité de moyen de locomo- tion, terres splendides du blé qui poussait 1a sans ‘besoin d’engrais ou de rota- tion. A chaque petite station, des silos a grains, «les élé- vateurs», dressés comme des tours, attestaient la ri- chesse du pays. On n’avait guére l'impression d'une ter- re de défrichement, car ceux ui avaient eu la chance de s'établir les premiers dans cette région, a la suite du rail, n’avaient pas eu a faire les gros et durs travaux des laboureurs des bois. Mais il y avait, la comme ailleurs, le revers de la médaille. En effet, dans de nombreux points de cette région l'eau potable était trés rare, étant souvent salpétrée, et vraiment odieu- se a boire. Pas d’arbres, souvent sur des milles et des milles, et il n’y avait d'ombre que celle de son propre corps ou des poteaux télégraphiques. E- par Jacques Larue-Langlois séminaire, le navire transpor- tant les déportés de la rebellion de 1837-38, ‘‘Un Canadien errant”. Dans la méme -collection, Jingiri J. Achiriga, un gha- néen de 35 ans, professeur & l'université nationale de son pays, nous offre La révolte des romanciers noirs de langue francaise oU nous dé- couvrons les Rimbauds et les Lautréamonts d’Afrique noire se rebellant contre les usages littéraires, sociaux, métaphysi- et religieux regus des colons blancs et dont les cha- pitre principaux ont titres: “La mulatresse”, “La négrification du blanc”, “Une vie de boy”, “Le christianisme imposé” et “Un Nagre a Paris”. Une réédition dans la collec- tion “Littératures”: Littéra- ture maghrébienne de lan- gue frangaise de Jean Dé- jeux, raconte la naissance de cette littérature de Tunisie, d‘Algérie et du Maroc, qui re- monte aux années 1945-50 et dont les auteurs les plus con- nus sont I’algérien Kateb Ya- cine et le tunisien Albert Memmi: une brique mais fort intéressante en ce qu'elle im- plique les littérateurs arabo- berbéres ou juifs dans les luttes de libération de leurs pays res- pectifs. Dernier-né de la collection “Etudes”, Lafontaine dans ses contes (profil de I'hom- med’aprés ses confidences) videmment l'homme a su corriger la nature et le colon astucieux a su créer autour de ses habitations des zones de verdure, comme des ‘0a- sis, et, avec les progrés de la technique, aller chercher l'eau pure des profondeurs. A mesure que le convoi grignotait, inlassable, les milles de la Saskatchewan, l'aspect changeait; la terre se soulevait peu a peu en légers vallonnements, cou- pés de bosquets et de petites rivieres, et aprés l'unifor- mité on ressentait comme un soulagement. Enfin, aprés avoir traver- sé des villes déja assez im- portantes, Brandon, Regina, apercu sur les trottoirs de quelques petites stations des Indiens vendant de la paco- tille (mocassins, colliers de verroterie...) et venant sans doute des proches réserves; apres avoir changé plusieurs fois d’heure puisque, depuis notre débarquement, nous étions passés de l'Eastern Time au Central Time, puis au Mountain Time, nous arrivimes 4 Edmonton. ARRIVEE A EDMONTON Edmonton, l'ancien «Fort des Prairies», notre derniére escale avant de rejoindre le Grand Nord... C’était un des premiers jours de décembre 1910. Edmonton était, quel- ques années seulement a- vant cette époque, un gros poste de traite de fourrures, du québécois Gilles E. de La- fontaine, professeur a I'UQTR, consiste en une relecture des contes dits immoraux du grand fabuliste recourant au freu- disme, 4 Desmond Morris et & Wilhem Reich et faisant ressor- tir 'actualité de ces ceuvres en termes de genre populaire comme l'est la chanson mo- derne diffusée par les média. Enfin, 11 volumes ressortent & la collection ‘Création’, six romans, deux récits et trois recueils de poésie: L’amour oui, laguerrenon de la québécoise d'origine haitienne Liliane Dévieux-De- houx, a valu & son auteur le Prix littéraire des Caraibes 1977. Sur une trame événe- mentielle reliée & la guerre du Vietnam, elle y peint la situa- tion existentielle dramatique du colonisé. Grand-Louis l’innocent est en fait une réédition du prix Fémina de 1927 qui valut la gloire & son auteur, Marie Le Franc, une bretonne devenue Québécoise. _ La mort du bon cété est un authentique roman policier daa la plume du frangais Robert Urbanel, 50 ans, qui fut jadis fonctionnaire en Afrique du Nord et qui vit aujourd’hui dans I'lle d’'Emeraude, une des perles des Antilles frangaises. Le fils de la baleine, déja traduit en allemand, est écrit par son pére vietnamien de 69 ans, Cung Giu Nguyén; dont la situé sur les bords de la riviere Saskatchevan. Puis l’émigration, ayant peu a peu gagné vers l'ouest, sui- vant cette force attractive qui marque les migrations ou les peuplements, et les pionniers regardant tou- jours plus loin vers ces terres du nord, jalouses gardiennes de ces richesses qui avaient hanté leur imagi- nation (métaux précieux, fourrures...), il leur fallait le tremplin d’ot leurs réves pourraient prendre le grand départ et devenir réalités. Et c'est ainsi qu’Edmonton devint la porte ouverte toute ‘large vers les immensités nordiques et un centre de ravitaillement qui prospéra au point qu’a notre arrivée a Edmonton comptait prés de cinquante mille habitants. En outre, les terres si- tuées aux alentours, et jus- qu’a vingt ou vingt-cing mil- les, s’étaient révélées ferti- les et faciles 4 mettre en culture, et cet apport de colons, producteurs de grains, de bétail, et naturel- lement consommateurs, a- vait considérablement aidé le développement de la ville. Cette derniére, toute neu- ve, s’étendait par des rues et des avenues rectilignes, se coupant toutes 4 angles droits; les avenues dont la principale, la Jasper, de l’est Ad iCiicce AICI sce AW iCicce MIC 00 AICI. A ICI-0 AICI. AICI oo _au carrefour de la francophonie langue pure et élégante lui a déja valu d’étre comparé a Jean Giono par Daniel Rops. Jour- naliste et professeur d’univer- sité, ce respectable monsieur vit toujours au Vietnam. Danielle Beaulieu, une qué- bécoise de 31 ans qui a vécu deux ans et demi au Rwanda, a commis pour sa part, Il neige sur les frangipaniers, un roman kaléidoscopique ot qua- tre femmes blanches s’ennuient dans une petite ville d'Afrique Centrale. Le déboussolé, tel est Je titre du roman d’Abdoul Dou- kouré, un africain de 25 ans, étudiant a l'Université de Sher- brooke. Son héros, un Noir nouvellement arrivé a Paris, est partagé entre sa fascination pour l’occident et ses racines profondément ancrées dans la culture de son pays d'origine. Avec Pierrot, la lune et le fou, Pierre Meunier, 23 ans, licencié en psychologie de ‘Université de Sherbrooke, en est a son quatriéme livre. Il s'agit d'une fantaisie poétique sur le theme du “fou de vivre”. Deux cinéastes & qui !’écri- ture ne répugne pas ont par ail- leurs produit ensemble, aprés une rencontre fortuite daris les couloirs de l'ONF, Les pro- blémes du diable, un récit fantastique dont les auteurs sont Pierre Gaudette, maskou- tain de 26 ans et Akaly Kaba, malien de 42 ans. a l'ouest, les rues du nord au sud. Tout se trouvait sur place, comme dans une de nos villes du vieux continent, et sans aucun doute, avec plus de confort: beaux et grands hotels, magasins, banques importantes, administra- tions diverses. cinémas. Les terrains, divisés en lots a batir, faisaient l’ob- jet d’une spéculation effré- née, et des fortunes se fai- saient chaque jour. Nous ne savions pas ol descendre, dans cette ville inconnue de nous: un cana- dien, rencontré sur le quai, voyant notre embarras, nous indiqua aimablement plu- sieurs noms d’hotels, en nous recommandant spécia- lement celui qu’il fréquen- tait lui-méme: le «Cécil H6- tel», au tarif abordable et intéressant pour notre bour- se que nous ne voulions pas trop écorner. Nous allames donc au «Cécil», tout en bois natu- rellement, situé prés de la Jasper, au bord de trot- toirs en madriers. comme ceux des westerns: hall as- sez vaste, au grand comp-— toir de réception, fauteuils de cuir et crachoirs de cuivre, et l'inévitable bar, le long duquel cinquante assoif- fés pouvaient aisément se mettre a l'abreuvoir... Prix: une piastre cinquante par jour, la piastre étant le nom du dollar canadien, employé par les autochtones, et se divisant elle-méme en demi (fifty) et en quart (quar- Notons pour terminer trois recueils de poésie de bonne te- neur et, chacun en son genre, capables de procurer d‘excel- lents moments aux amateurs du genre. En premier lieu, Fleurs de sang, le fruit organique d’un penseur poéte qui écrit des vers sur sa propre lancée et, dans le style traditionnel, le fait trés bien. L’auteur en est Gus- tave Labbé, un quinquagénaire québécois qui enseigne pré- sentement les lettres francaises al'Université Concordia. La poésie est morte, elle a été rongée par les vers, est en fait un splendide blasphéme poétique et culturel de la part d'un Francais qui enseigne sa langue au Maroc, Jean-René Farrayre et qui n’hésite pas a déclarer, entre autre: “La seule poésie c'est le roman, la nou- velle, le sonnet, l’ode, l'apho- risme, la vie ou rien”. Chant solaire suivi de Vers ce logocentre consiste en une ceuvre de recherche afin de trouver une langue “‘méta-tra- ductrice des réalités hautement primitives” & laquelle se livre avec un certain brio Alexandre L. Amprimoz, 30 ans, né & Rome, ayant fait ses études en France et enseignant a |’Uni- versité de Windsor, en Ontario. Somme toute, une production, fort abondante dont certaines ceuvres valent sQrement que l'on souhaite longue vie aux éditions Naaman. ter). Le prix était raisonna- ble et le patron, voyant que nous venions «du vieux pays», nous avait offert une petite réduction, avec une tournée au bar. A cette époque, de nou- veaux arrivants étaient tout de suite le point de mire des habitués, et surtout quand on savait qu’ils venaient de «l'autre bord», qu’ils étaient en somme des «greens» com- me on les appelaient com- plaisamment; des greens, des «verts», des bons a plumer. Les reporters de jour- naux, toujours a l’affat, ve- naient relever les noms des arrivants dans les hétels, les interviewaient quand, com- me nous, ils étaient étran- gers, posaient des questions sur les projets, les inten- tions, brodaient sur le tout. Aussi, dés le lendemain, nous recevions la visite d’a- ~ gents d'affaires et démar- cheurs venant nous proposer des lots de terrains a batir, ou méme des fermes dans la région. Peut-étre eussions-nous été bien inspirés de placer quelques centaines de dol- lars sur ces lotissements qui, d’un mois 4 l'autre, pre- naient souvent une plus- value, assez importante. Mais e’était 1a, spéculation d'un pays auquel nous n'é- tions pas encore faits, et que nous considérions comme at- trape-nigauds. _ [A SUIVRE}