LeMoustique Voluge3_.,6"" édition Juin 2000 Chroniques Victoriennes Je me suis souvent demandé pourquoi les Victoriens étaient tant attachés a leur passé britannique. Etait-ce lié a une situation historique, a un phénoméne social quelconque? Possible. Le pére d'Emily Carr, connue pour quelques écrits a odeur de terroir et d'huiles a "indienneries" nabis, avait fait fortune en Californie et espérait trés fort étre accepté dans la "haute" londonienne. L'argent n'ayant pas tout le pouvoir qu'il posséde a présent, il s'en est retourné en Amérique du Nord, penaud, mais toujours trés profondément britannique. Un compromis raisonnable entre ses aspirations les plus folles et la réalité (qui passe pour étre toujours plus triste) avait été de choisir le Canada, définitivement plus anglais que les Etats-Unis. Et, dans cet immense territoire, la Colombie britannique était ce qui se rapprochait le mieux de la Californie en ce qui regarde les intéréts économiques et les avantages climatiques. Etant de ceux qui avaient déja réussi, il était inutile d'aller se perdre dans les foréts inextricables de Vancouver qui n'existait pas encore ou de la vallée du Fraser ; Victoria s'imposait tout naturellement. Victoria serait donc une ville d'Anglais, exilés et nostalgiques. Et quel meilleur endroit pour pleurer une patrie insulaire qu'une autre fle, moins grande peut-étre, mais avec toutefois l'avantage d'un climat sub-méditerraneen. A moins que ce ne soit l'inverse. Que de se retrouver a vivre sur une ile, les Victoriens aient acquis un comportement qui caractériserait quiconque vit dans un monde isolé, par la mer, du reste de la terre. Il est vrai que les Victoriens (et méme les Anglais) ne sont encore que des animaux dont les instincts les plus paléo-encéphaliques suivent des régles strictes. Prenez n'importe quel mammifére, plus ou moins prédateur, qui établit sa petite famille sur un nouveau territoire, ce dernier est immanquablement divisé en trois zones distinctes. Une aire étroite autour du terrier, la zone prohibée, ot son agressivité ne trouve d'équivalant auprés d'aucun envahisseur ; un territoire plus grand, circonscrit au précédent, son territoire de chasse, ot les confrontations tournent le plus souvent en défaveur des intrus. Au-dela se trouve le domaine de l'exploration ou l'animal (ou l'Anglais), confronté 4 un ennemi potentiel, effectuera une retraite digne dans un silence hautain. Mais quand la taniére est une ile, zone prohibée et territoire de chasse se confondent et le reste du monde devient hostile, au mieux, étrange. Tout cela est logique et aisé 4 entendre, mais il y a une grande différence entre comprendre et ressentir. On peut facilement imaginer combien il est pénible d'étre perdu. La meilleure maniére d'en percevoir toute la signification, c'est de se perdre soi-méme. Je ne percois jamais mieux combien Victoria est isolée qu'en prenant le ferry pour Vancouver. Pour les petites gens comme moi, le ferry, c'est notre porte de l'aventure. Sans lui, nous nous enfoncerions dans notre coquille. ... Suite en page 23