Suite de la page 1 existence de la peine de mort dont l’effet supposé serait d’empécher les criminels d’u- tiliser leurs armes quand ils sont menacés d’arrestation. Cette croyance n’est-elle pas un leurre qui, tout compte fait, jouerait contre les poli- ciers? Un court passage de l'article de Normandeau et Akman le laisse croire: “N’est-il pas possible de pen- ser que lorsque les policiers considérent: (...) que la me- nace d’une exécution possible les protége, ils prennent moins de précautions ou provoquent plus facilement les criminels et les suspects, et ainsi les conséquences contraires a leurs attentes se produisent?” Cet “effet boomerang” peut se produire de plus d’une * facon. En 1976, au lendemain du vote en deuxiéme lecture du projet de loi C-84 visant a supprimer la peine capitale, le Sun de Toronto é€crivait dans son édition du 22 juin: “... la décision du Parlement d’aller a l’encontre des convictions instinctives des gens en abolis- sant la peine capitale aménera probablement la police a utiliser davantage ses armes a feu (...) Nous prédisons dés maintenant que dans,. l’ave- nir, lorsqu’un policier sera tué en service, ses confréres hési- teront beaucoup moins a tirer sur un suspect.” Propos d’une actualité encore toute chaude. Le hic de l’histoire, c’est que les criminels aussi hésiteront moins a tirer... Bref, si les prédictions du Sun sont exac- tes, le nombre de morts, dans la foulée des récents décés de six policiers ontariens et qué- bécois, ira en augmentant. L’escalade est peut-étre déja commencée... C'est peut-étre au pays de Margaret Thatcher, la dame de fer, que se trouve la solution. Non armés, les poli- ciers britanniques déplorent moins de morts que leurs confréres' américains (deux fois moins) ou canadiens (20% de moins) ... L’exemple britannique ne montre-t-il pas qu'il y a une sorte “d’€quili- bre” entre policiers et gens du milieu. Le probléme est celui- ci: Qui désarmera en pre- mier? Le paradoxe de linefficacite Alors qu'une contravention de 15$ réussit 4 dissuader la plupart des automobilistes de stationner leur véhicule dans un endroit interdit, il ap- parait étrange que la peine la plus terrible n’exerce aucun effet dissuasif. “Sauf pour les meurtres commis par des individus appartenant au crime organisé, l’effet intimi- dant, explique André Normandeau, joue quand il y a un élément rationnel dans ~ un délit. C’est rarament le cas dans les affaires de meurtre, ou |’émotion annihile la capa- cité de raisonner.” : : De l'ensemble des crimes ou Yon réussit 4 accuser une personne (un bon tiers, géné- ralement commis par des tueurs professionnels, échap- pe complétement a la SOlices: 10% environ sont prémédités, les autres étant des crimes dits passionnels. C’est donc quel- que 55% des victimes qui se rencontrent parmi les parents, connaissances et amis des délinquants. ' Quant aux circonstances en- tourant la perpétration des meurtres, se sont les querelles de ménage et de famille, les disputes entre amis, les crises © de jalousie ou de désespoir, etc. ‘“L’homicide victime un parent ou un ami, celui que commet un ivrogne durant une bataille ou un schizophréne au cours d’une période de dérégiement men- tal, sont tous, lit-on dans un document fédéral, des gestes posés spontanément, sans ré- dont est. tléchir, sous l’impulsion du moment. Lorsqu’il est cons- cient de ce fait, le délinquant ne pense a rien d’autre qu’a tuer. A aucun moment il ne songe a la peine qui l’attend ou aux conséquences de son acte.” Un policier, qui avait I’habi-~ tude de conduire des condam- nés a la prison ov ils devaient étre exécutés, a raconté, aprés avoir tué sa-femme, qu'il n’avait jamais pensé a la peine de mort. Il avait prémédité le meurtre de sa femme et ‘ne pensait 4 rien d’autre. Le criminologue Etienne DeGreef a consacré plusieurs recherches a l'étude du pro- cessus d’acte grave et a cette inhibition de l’esprit qui sem- ble l’accompagner. Trois éta- pes le marqueraient: la phase ou |'idée criminelle se présente ‘en quelque sorte indirecte- ment (phase d’acquiescement mitigé). Ce moment serait suivi de l’acquiescement for- mulé puis, enfin, de la crise au cours de laquelle le sujet passe a l’acte. Curieusement, tout ce pro- cessus serait placé sous le signe * de l'inhibition, tout se passant comme si le sujet possédait laptitude d’étre modifié sans s’en apercevoir. Lors des crimes passionnels, d'autres processus joueraient: lamant blessé revaloriserait, au détriment de la victime, certaines choses qu'il aurait délaissées - son moi, son argent et son temps, trop facilement donnés a l'autre qui, au fond, ne “méritait pas tant”. De plus, l’amant blessé “renoncerait” en quelque fa- con a la vie, ce qui lui permettrait, désormais intou- chable, de commettre son crime. Dans les cas ultimes, fréquents ces années-ci, le meurtrier se suicide. Fondées ou non, ces expli- cations tentent néanmoins de ~ rendre compte du fait que la mort ne fait pas partie du champ de vision de certains meurtriers avant la perpétra- tion du crime. Non pour dissuader, mais pour punir! Pourquoi certaines person- nes sont-elles a prior? et, en dépit d’études montrant que la peine capitale n’est pas dissuasive, favorables a ce chatiment? Dans une étude intitulée Les Canadiens et la peine de mort - Etude d’une attitude sociale, le crimino- logue Ezzat A. Fattah répond en partie a cette interro- gation. Les raisons, indique-t-il, pour justifier la peine de mort “peuvent se ranger sous deux grandes catégories: raisons d@ordre utilitaire et raisons d’ordre rétributif’ (puni- tion). Mais Fattah montre que beaucoup “continuent de masquer les véritables raisons de leur attitude derriére les arguments de prévention”. La preuve? Les partisans de la peine capitale en invoquent réguliérement l’aspect utili- taire, mais “56% continue- raient a étre favorables a la peine de mort, méme si on les convainquait de l’inutilité de celle-ci comme moyen de dissuasion”. ; ‘ Force est de constater qu'il existe un “penchant a la punition” dont on ne connait pas les causes profondes. Tout au plus peut-on recourir a des études comparant diverses va- riables socio-6conomiques et s'adonner a des analyses du genre Age, sexe, religion, éthnicité et attitude a l’égard -de la peine de mort. On peut - ainsi découvrir que les protes- tants sont, en général, moins partisans de la peine capitale que les catholiques. Poussée plus loin, l’analyse tente de pénétrer |’4me-. des Pete aasas La psychologie et a psychanalyse viennent alors a la rescousse des chercheurs. Freud est immédiatement ap- pelé a la barre. Et son témoi- gnage, dans les mots de Fattah, devient ceci: “Le désir de punir les autres et notamment le penchant a infliger une douleur physique révélent souvent chez 1 'indivi- du la présence de tendances sadiques inconscientes et le besoin d’un bouc émissaire, plutét qu'un désir rationnel de rétribution ou dintimida- tion.” La punition serait égale- ment populaire en raison des effets libérateurs qu'elle pro- cure. Les peines, particu- liérement celles exécutées en public, offriraient aux indivi- dus l’occasion de libérer leur agressivité refoulée. “C'est ainsi, indique Fattah en se reférant a une étude de lanthropologue J. Dollard, qu'une somme considérable de plaisirs et de jouissances morbides semble étre tirée des exécutions publiques. Les an- thropologues ont déja consta- té que, dans les _ sociétés primitives, les indigénes assis- tent aux exécutions et sacrifi- ces avec un plaisir presque sanguinaire et semblent reti- rer aussi beaucoup de plaisir de l’observation d’actes posés au nom de la justice.” Cette attitude ne se rencon- tre pas que chez les indigénes. La derniére exécution publi- que a avoir eu lieu a Versailles en 1961 a été une véritable féte populaire... _ Une vertu d’élimination Mais on aurait tort de croire que les partisans de la peine capitale sont des “bétes assoif- fées de sang et animées d’une _volonté vengeresse”. C'est au nom d'une plus grande justice et d’un effort de rationalité que la peine de mort est proposée. Participant en juin 1979 a un débat organisé par I’heb- domadaire L’Express, Michéle-Laure Rassat, profes- seur de droit pénal, décla- rait: “Le systéme du main- tien a sur le systéme purement abolitionniste l’avantage de ne pas éliminer tout recours pos- sible 4 la peine de mort en présence de personnalités cri- minelles exceptionnelles. Dans la perspective qui est la mienne, il pourrait s’agir d'une exécution tous les cing ou six ans, ou peut-étre moins (...) Le réle dissuasif n’est »,.certes pas a négliger, mais, en * ce qui me concerne, sa vertu d’élimination me parait beau- coup plus fondamentale.” Dans. quels cas cette vertu pourrait-elle se manifester? Dans ceux de “délinquants irrécupérables qu’on ne peut pas prendre le risque de garder en prison. II s’agit de cas rarissimes. C’est une don- née tragique, mais indiscuta- ble. Dire le contraire, c’est de la démagogie pure et simple”. Cette opinion est également celle d’André Nadon, de la Fédération des policiers du Québec, un organisme re- groupant les 4 300 membres des corps municipaux de po- lice, a l’exclusion de ceux de la Communauté urbaine de Montréal. “Certains individus ont irrémédiablement rompu ~ le pacte social et tuent de facon préméditée. Pour la société, la peine capitale est un moyen de légitime dé- fense.” Vieux débat, nouveau vote. “Alors on s’engueule. Les grands principes revolent des deux cétés. Faut utiliser des mots qui ne sont pas beaux, comme le pardon, la pitié... Javoue que je suis un peu tanné. Le débat m’enflamme moins qu’avant. Il tourne en rond, autour des mémes argu- ments, depuis la nuit des temps.” Ces quelques mots du philo- sophe-journaliste _ Pierre Foglia n'auront probablement aucun écho. Selon les décla- rations de plusieurs ministre fédéraux, dont Elmer Mackay, le Solliciteur géné- ral, il devrait y avoir un vote libre sur la question a la Chambre des communes. On notera cependant que le mes- sage inaugural du nouveau gouvernement est resté muet sur cette question. Ce qu’on Sait, c'est qu'il n’y aura pas de référendum, car le premier ministre Mulroney considére qu'il revient aux “députés de trancher des questions de cette nature”. La politique étant souvent l’art d’esquiver l’inévitable, il y a une forte probabilité que le Premier ministre, un aboli- tionniste, renvoie le débat rejoindre la potence, aux oubliettes. Pour remplacer la peine capitale Commémorant 4a sa_fa- con la prise de la Bastille, le Parlement canadien adoptait, le'14 juillet 1976, le projet de loi C-84 sup- primant la peine capitale. Au terme d'une apre ba- taille menée par le Sollici- teur général Warren Allmand et le Premier ministre Pierre E. Trudeau, les abolitionnis- tes l’emportérent par seule- ment six voix de majorité (130 contre 124). Le cabi- net libéral et la majorité des libéraux ont appuyé le projet de loi ainsi que, dans l’opposition, tous les membres du Nouveau par- ti démocratique. Les dépu- tés conservateurs votérent majoritairement contre, a l’exception de leur chef, Joe Clark, et de quelques “colombes” du parti. Depuis lors, quiconque commet un meurtre pré- médité, un meurtre d’un agent de police ou d’une personne travaillant dans une priscn, un meurtre concomittant a un viol ou a une tentative de viol, est “coupable d’un acte crimi- nel et doit étre condamné a l’emprisonnement a perpé- tuité”. Dans les faits, le bénéfice d’une libération conditionnelle pour les condamnations a perpétui- té est subordonné, “a l’ac- complissement d’au moins 25 ans de la peine”. Dans les cas d’assassinats de personnes non spécifique- ment mentionnées (meur- tres dits du deuxiéme de- gré: par exemple, celui d’un propriétaire de maga- sin 4 l’occasion d’un hold- up qui tourne mal), la peine purgée doit étre d’au moins 10 ans. C’est le jury (qui a un pouvoir de recommandation) et, fina- lement, le juge qui déter- minent par ordonnance le nombre minimal d’années (maximum 25 ans) que le coupable devra_ purger avant de bénéficier d'une libération conditionnelle. Voici une liste des princi- paux pays du monde occi- dental dont les lois ex- cluent ou prévoient la peine de mort. Elle a été - dressée a partir d’informa- tions dont disposait Amnis- tie Internationale au $1 aoat 1982. Pays abolitionnistes Autriche Colombie Danemark - Finlande ee Allemagne Fédérale France Islande Luxembourg Pays-Bas Norvége . Le Soleil de Colombie, vendredi 22 février 1985 —5 La peine dont on ne revient pas" ia ag Italie uéde Es Vénézuéla Ree: ij Brésil Suisse Canada Royaume-Uni Pays non abolitionnistes 2 Belgique Allemande Bolivie a Chili Roumanie Gre Tchécoslovaquie Hongrie U.R.S.S. Irlande Yougoslavie Pologne Etats-Unis République Démocratique 38 états sur 50 Pour la peine de mort 1. Un argument de sens commun fondé sur la nature humaine nous dit que, dans certains cas particuliérement, la peine capitale exerce un effet dissuasif qu’aucun autre chatiment ne peut produire. 2. Quand un meurtre est commis, il est évident que la peine capitale n’a pas exercé son dissuasif, mais cela ne veut pas dire qu'elle n’a pas empéché bien d'autres per- sonnes de commettre un meurtre. 3. La peine de mort a au. moins un effet préventif en ce qu'elle protége la société con- tre un deuxiéme délit de la partdu méme criminel qui, s’il n'est pas exécuté, pourrait plus tard étre relaché ou s‘échapper. La peine de mort s'appuie donc sur le principe de l’auto-défense. 4. La peine de mort est le seul chatiment juste pour le plus grave des crimes et la seule peine capable de racheter un crime impardonnable. . 5. La peine de mort protége la police en ce qu'un criminel qui veut échapper 4a l’arres- tation craindrait beaucoup moins les conséquences du recours aux armes a feu ou a la violence en l’absence de peine capitale. 6. L’opinion publique au Canada est nettement en fa- veur de la peine capitale, laquelle ne devrait pas étre abolie contre le gré de la majorité des citoyens cana- diens. 7. La peine capitale, exécutée sans brutalité, est moins cruelle que l’emprisonnement a perpétuité. 8. Le chatiment infligé pour un crime grave devrait donner une idée juste de la répu- gnance qu'il inspire a la majorité des gens et, en fin de compte, un chatiment se justi- fie, non par sa valeur: de dissuasion, mais parce qu'il constitue la condamnation ca- tégorique d’un crime la -eollectivité; 4ce point de vue, certains meurtres exigent la condamnation la plus abso- lue: la peine de mort. 9. La peine capitale est peut-étre le seul moyen effi- cace d’empécher un détenu a perpétuité de s'en prendre a la vie d’un autre détenu ou d’un geriicn. 0. La peine de mort est le seul juste chatiment pour le meurtre. Un autre argument souvent invoqué par les partisans de la peine de mort est le prix élevé que coiite aux contribuables la détention a vie des cri- minels. Contre la peine de mort 1. La peine de mort n’a pas lVeffet AS dissuasion qu’on lui attribue et les statistiques prouvent que son abolition n’entraine aucune augmenta- tion du crime. Par consé- _ quent, la peine capitale perd sa justification traditionnelle fondamentale. 2. La loi du talion (oeil pour oeil, dent pour dent) est désuéte. Une exécution est une sorte de meurtre judi- ciaire ou légal. Et l’existence de la peine de mort avilit la justice. 8. La. peine de mort est discriminatoire. Elle ne s'ap- plique pas également aux riches et aux pauvres, car ils ne peuvent engager les mémes ~ avocats et n’ont-pas les mémes chances d’échapper au chati- ment. En Floride, de 1930 a 19638, sur 36 individus décla- rés coupables de viol et exécu- tés, 35 étaient des noirs. 4. Il est invraisemblable que la menace de la peine capitale empéche les meurtres commis sous l'impulsion du moment ou par les personnes anor- males. Lorsque le meurtre est prémédité, le meurtrier compte d’ordinaire échapper a l’arrestation au lieu de songer aux conséquences de son acte. 5. Les personnes trouvées coupables de meurtre ne sont pas plus portées 4 la violence dans les pénitenciers ou aprés leur mise en liberté que n'importe quel autre genre de prisonnier; ils y sont méme moins portés. 6. Ceux qui ont le plus besoin d’étre dissuadés = appar- tiennent 4 des organisations criminelles et jouissent ainsi d’une immunité presque com- léte. . Il existe un risque réel d’exécuter un innocent. 8. L’Etat devrait donner l'exemple en reconnaissant que la vie humaine est sacrée et qu'il est mal de tuer. 9. En supprimant un citoyen, l’Etat n’efface pas le crime, il ne fait que le répéter. — 10. On ne fait pas subir a l’auteur de crimes un traite- ment semblable a celui qu'il a infligé 4 sa victime: on ne livre pas l’auteur d'un viol aux attaques d'un sos are sexuel et on ne fait pas briler la maison d’un incendiaire. C’est-pourtant le sort réservé au meurtrier, qui est puni par 1a ov. il a péché. Le meurtre constitue le seul cas d’applica- tion intégrale de la loi du talion: une vie pour une vie. Plutét que de combattre le crime, la société a décidé de détruite la criminel comme si elle pouvait éliminer la cause en anéantissant l’effet. 1. Les arguments présentés ict sont tirés de deux études fédérales: La petne capitale - Documentation sur son objet et sa valeur [1965] et La ne de mort - Données nouvelles: 1965-1972 [1972]. Comme on peut le constater, seule la formulation des argu- ments [ modifiée —— peu par Justice] a pris de lage... pins,