Le Moustique CHAUMES DE CORDEVILLE Cordeville est une petite place tranquille en France ot les maisons sont trés vieilles, avec des toits de chaume. Cordeville posséde en tout, a peu prés une trentaine de ces maisons. Elle en est trés trés fiére car elles sont remplies de souvenirs et de plus, elles ne sont pas muettes. Elles parlent tout le temps. Leurs toits parlent de tempétes, de grands vents et d’enfants jouant a cache- cache. Leurs murs parlent des pierres qui furent apportées de la carriére, taillées et retaillées pour en faire des cloisons protégeant les paysans de toutes ces intempéries dont viennent de parler les toits. Evidemment, les murs auraient bien préféré qu’on ne les dote pas de fenétres. Pour eux ces fenétres ne font que rendre leurs structures fragiles alors, ils doivent toujours se tenir les uns sur les autres. Mais, que voulez-vous, les paysans adorent leurs fenétres et avec raison. Les fenétres sont vraiment les parties les plus bavardes des maisons de Cordeville. Elles racontent tout. Aucun secret ne leur échappe. Elles parlent de couples, de bébés et d’amants. Elles parlent de querelles, de baisers et de violence. Elles parlent de repas, de fétes, de noces. Elles parlent de mort, de maladies et de peur. Elles racontent aussi les rayons du soleil, les pluies fines et raides. Elles racontent les vents, les voisins, les chansons. Elles racontent les jardins... Les jardins de Cordeville sont des fabricants de vins. Ils donnent et donnent a grands coups de tonneaux des verres et des verres de vins rouges et blancs. Les jardins donnent aussi des fruits, poires, prunes, pommes jolies. Ils donnent dans leurs bras ouverts des potagers divers et des fleurs. Mais la! Les fleurs des jardins de Cordeville sont d’une beauté a toute épreuve. Les jardins sont si généreux, si heureux a Cordeville que méme les ruisseaux s’y aménent. Les ruisseaux coulent tout pres de ces 6tres généreux qui eux- mémes les regardent couler et jouissent de leurs caresses mouillées. Les eaux des ruisseaux de Cordeville, sont des Volume 6 - le édition ISSN 1704-9970 Cfetit conte de Ctuguette Bourgeois — Vancouver — eaux claires et sereines. Elles coulent légéres et apportent doucement dans leurs petits courants des poissons bien dodus qui se cétoient en songeant aux bedaines des gens qui les mangeront, le temps des péches venu. Le temps des péches est un temps étonnant car les paysans sont patients comme jamais. La péche les calme, la péche les rend méditatifs. La péche les rend silencieux et ils enfilent leurs hamegons avec art. L’art des péches a Cordeville est extraordinaire. Les gens viennent de partout pour voir tous ces paysans silencieux et sereins péchant des petits poissons dociles qui ne peuvent que réver aux entrailles chaudes qui les attendent. Cordeville a aussi des clétures. Elles longent les bords des ruisseaux. Parfois elles forment des clos pour les animaux. Les animaux sont beaux. Il y a des vaches, des brebis et des canards. Quelques oies, des chiens et des chats qui eux se proménent libres. Libres animaux de Cordeville. Libres animaux se promenant ga et la, allant voir les champs qui _ paissent tranquillement. Allant voir les arbres qui attendent gaiement qu’on leur fréle le tronc. Les arbres raffolent de se faire fréler le tronc. Ils jouissent aussi des amants a leurs pieds, des enfants qui les grimpent, des pique-niques qui se déroulent sous leurs doux feuillages et en retour, ils offrent de l’ombre et de la fraicheur a tous ceux qui se trouvent entre les rayons du soleil et eux. Tous peuvent en profiter et Cordeville aime ses arbres. Et les arbres sont amoureux des nuages qui passent et repassent dans un ciel presque toujours bleu. Les nuages apportent de l’ombre et de !’eau et les arbres en_ sont. tres reconnaissants. Parfois quelques nuages flanent tout en haut des arbres et ils se parlent de choses et d’autres. lls aiment réver a l'avenir et au passé mais ils jouissent du présent comme s'il n'y avait que ga. C’est un truc de nuages et d’arbres que de ne penser qu’au présent. Ils sont si habiles dans cette pratique que parfois ils dépassent les bornes de leurs vies terrestres et se retrouvent Janvier 2003 quelque part la ou les étres se rencontrent tous comme dans une grande famille. Les arbres de Cordeville ont des noms. . Ils s’appel- lent selon ceux qui les nomment. Dans une de ces chaumiéres, entourée de belles grandes vignes habitent trois belles grandes personnes qui nomment les arbres autour de leur maison: Delorme- Degrace-Demers-Denier-Devraie et Defoe. Vous |’avez bien deviné, il y a six arbres autour de leur maison. Tous les six sont des hétres. Les hétres aiment bien les gens qui habitent la chaumiére et ils se rencontrent souvent pour de longues discussions. Les hétres soutiennent que la terre est en train de devenir de plus en plus belle mais, les habitants de la chaumiére disent que Cordeville est un des seuls endroits ou il fait encore bon vivre et que la terre est en train de disparaitre ou de se détériorer sérieusement. Les habitants, les trois belles grandes personnes s'appellent Julie- Julien et Jules. Ils se pensent philosophes et ils le sont peut-étre mais qui donc va le savoir? Personne ne se pose cette question et alors ils se croient philosophes. Donc, Julie, pense qu’ils vont bientét étre obligés de porter des masques a gaz Car l’air des villes arrive en grande pompe et pollue de plus en plus. Elle souffre de sinusites et se voit obligée de prendre des médicaments parfois. Julien pour sa part pense que la terre est de plus en plus polluée car il ne peut plus voir de l'autre cété de la vallée, lorsqu’il atteint les sommets de Cordeville, car oui Cordeville en a plusieurs des sommets, et bien lorsqu’il les atteint, il ne peut plus voir Pautre cété de la vallée la ou habite son amie préférée, la douce Rose. Rose est une agente de bord et elle travaille dans les grands avions. Quand elle a des jours de congé Julien pouvait autrefois voir sa lumiére allumée. Mais, hélas maintenant, rien a faire, méme avec des jumelles, la lumiére est partie. Quant a Jules. 7