6, Le Soleil de Vancouver, 26 juin 1970 Au commencement était Félix Leclerc et ses souliers, vint Gilles Vignault et son pays d’hiver, et brusquement, gui— tare en bandoulitre et crinig— re rouge en auréole, Robert Charlebois: Lindbergh québécois tombé du ciel en blouson scin— tillant et butterlows noirs, Mais qui est au juste Robert Char— lebois, ce presque messie de toute une jeunesse avide et in— quiéte, ce grand—prétre du rock? n’roll qui a donné au joual, si— non ses lettres de noblesse, du moins une reconnaissance inter — nationale? Il est assi prés de moi, dans le grand salon cossu et vieillot des Monfette. les parents de Mouffe, C’est 1a qu*il habite pour le moment, dans une con— fortable maison de briques rou— ges, tout prés d'un pare aux arbres magnifiques, On l’imagine mal dans ce ca— dre familial, on le voit plutdt buvant de la biére avec Pélo et les copains, dans la pénombre bruyante de 1’Association Es— Ppagnole, ou grattant sa guitare aux petites heures du matin, en compagnie de ses musiciens, dans un sous—sol mal éclairé ou mon— te la fumée bleue de la mari, ou encore sautant les trottoirs de Montréal dans sa Volks, Un bref coup d’oeil sur sa car— riere, nous apprend qu'il est né le 25 juin 1944, sous le signe du Cancer, II fit ses débuts artis— tiques, si l’on peut dire, A lage de quatre ans en jouant le rd— le prophétique de Saint—Jean— Baptiste dans le défilé du m@— me nom, Fils atné d’une famille bourgeoise d’Ahuntsic, il fre— quenta nous dit—on, tous les col— leges classiques de la province de Quebec et tous les cours de rattrapage, I] s’inscrit aux cours de diction et de théAatre de Mme Jean—Louis Audet et de Marce} Sabourin, et enfin a 1’*6— cole Nationale de Théatre, qu’il fréquente pendant deux ans et demi, II joue ‘* Pantalon” avec la Roulotte des Parcs de Mon— treal sous la direction de Paul Buissoneau, tate de la comédie musicale dans ‘‘ Ne ratez pas l’espion’® et “ II passe a la in telethéatre Ti 2s { “D Sauvage”? ave Paul Blo : Malgre toute es activités, il tr e le temp je donner des récitals » Forum. le Centre recitals, le Forum, |! entre Yational de rt la Place des rts, La Butte 4 Mathieu et a peu pres toutes les bottes A hansons de la province reson— jue insolite, en— diablee, etrangement rythmique puis c’est 1’Olympia de doulou— reuse memotire, ol il a montre aux Parisiens surpris de quel bois il se ch Le cinéma ne different: ‘‘The Apple’? de P, mer et rent de sa musi lui est pas in— jul est pas |! Gerrytson, “Entre la "eau douce’? de Michel Brault “e Ju ju%a coeur’? de Jean— Pierre Lefebvre et enfin ‘A soir fait peur au monde” de Fran— Cet article est extrait d’une interview, accordé par Robert Charlebois, & une journaliste bien connue, A quatre ans, sa chevelure désormais célébre lui vaut d’incarner saint Jean-Baptiste. Vingt ans aprés, ila brale toutes les étapes. lla défié Paris et déifié le joual. llest devenu le symbole, pour les jeunes générations, d’un style ala mesure de la vaste Amérique. Hermine Beauregard, et publié dans la revue, ‘* Chalelaine*® de décembre 1969, gois Brault, font connattre sa téte de chérubin déchu 4 ceux que sa musique avait déja bou— leversés. Mais la musique demeure son mode d’expression favori; mu— sique de film ou de scene, Il lance comme auteur, composi— teur et interprete 5 micro—sil— lons et de nombreux 45 tours, Et pendant tout ce temps, il enfile comme des perles les prix les plus convoités. I] regoit d’abord le Prix spécial du Fes— tival du Disque 1965, le Trophée Qualité, pour le meilleur auteur compositeur au Festival du Dis— que de 1967, Le Grand Prix du Festival du Disque, le Premier Prix exsaequo au Festival Inter— national de Spa, en 1967, le Prix Mon Oeil, pour la chanson ‘‘lind— bergh’? au Festival du Disque 69 Il représente le Québec au Ga— la radiophonique, a Monte—Carlo en 67, Entre temps, il est choisi pour représenter le Qué— bec a l’Exposition d’Osaka, en septembre 1970, A 25 ans, Robert Charlebois ditGarou—le—Chien pour ses a— mis, a deja derritre lui une carrietre impressionnante, et de— vant lui, des projets inombrables, Mais qui est—il vraiment? Ot faut—il trouver les causes de son succes phénoménal , Dans sa famille? Dans son enfance?, Il est assis dans une minus— cule chaise de velours, ses lon— gues jambes filiformes dans des jeans de velour cdtelé, la bar— be mal rasée, Un gros chat gris et blanc ronronne au so— leil dans la fen@tre, L’épa— gneul qué@te une caresse, Ro— bert commence a parler avec une certaine hesitation ou une certaine méfiance, puis avec une ferveur grandissante, Peu a peu se dessine un Charlebois extr@émement attachant, que ses chansons et sa musique avaient laisse deviner, et qui tout a coup devient etrangement présent; les plaintes et les frustrations sou— vent inarticulees du peuple que— becois deviennent criantes de ve— rité, ** Au college Saint—Paul, j’e¢— tais le chanteur du college, le poete chansonnier, A cette @é— poque j’ai écrit plusieurs poe— mes dans le style< lassique, plu— sieurs chansons dont la premie— re Boulee, que quelques amis seulement connaissent, J’ai a— bandonneé le piano pour le rock’ n’roll, je trouvals que j’avais l’air d’un cave & jouer Rach. Elvis Presley, faisait rage 4 ce moment—la, A 16 ans, j’al ap— pris la guitare avec laméthode des accords chiffrés, J’aimais Marie—Josée Neuville, la collé— gienne de la chanson; j’ecri— vais des poemes tres Felix, J’étais un puriste, jfavais le joual €n HOrreur see “*Cfest en sortant de l’Ecole Nationale de Théftre, et c'est par reaction contre mes pro— fesseurs francais et européens que j'ai adopté le joual’’, Et Robert Charlebois continue, sans aucune tendresse 4 l’égard des Francais; ‘La premfere fois que je suis allé en France, j’au— rais voulu devenir Américain, Je ne peux accepter leur suf— fisance et leur ignorance, Sur cinquante Francais que j’ai ren— contrés pas un seul n’était al— lé a Londre . Moi, je me sen— tais plus chez moi 2 Londres qu’a Paris! L’auteur de Lingbergh estil sé— paratiste? Il s’en défend et pourtant, pour lui, l’avenir du Québec semble bien incertain, ** Je ne sais plus quoi penser* nous dit—ile Au début, j’ai mili— té dans le RIN, jty croisde moins en moins. Le francais est une langue dont on 4 honte aux E— tats—Unis, que 1’on n’utilise que dans les bars, De toute fagon prohétise—t—il, toutes les lan— gues sont appelées a disparaf— tre, Elles seront remplacées par des symboles mathématiques, déja les spécialistes utilisent ce genre de communication’, Mais déroutant, il déclare, ‘* Ga vaut quand méme la peine de continuer & parler joual; ga de— viendra a travers l’Amérique une langue de folklore que l’on con— tinuera 4 chanter,’? I] est contre la guerre; la vio— lence physique lui repugne; ‘'Je trouve ¢a ridicule et peine per— due de lancer des bouteilles de Coke” et il ajoute, désar mant; ‘*Qu'ls prennent plutdt des mi— traillettes’’, Il réfléchit longuement pour me declarer en plissant les yeux ‘* Je ne sais plus de quel cdté aller, Des fois , je suis & deux pouces de la mitraillette,’’ 1) semble également assez pessi— miste quand au sort de 1I"hu— manité; ‘* Les hippies, ga ne veut plus rien dire, I] yaau— tant de caves parmi eux, que dans la police, Au Québec, di— cl cing ans, il y aura des barri— cades dans les rues et des é— meutes, ¢a sera probablement les pauvres contre les riches J’aimerais mieux me suicider que de voir ca, la seule chose a faire, c’est Head for the val— ley’ seco’? Ce besoin d’évasion Charle— bois, l*’exprime bien clairement quand il dit; ‘* Tout ce que je voudrais faire, c’est voyager, me déplacer, et quand je parle de voyages, je ne veux pas dire seulement prendre de la dro— gue’? Parlant de cette dernié— re, il juge que la marijuana aus— si bien que l’alcool ou la ni— cotine, ¢a déprime. Avec le LSD, c’est le déblocage, ca dé— place l’échelle des valeurs. Si on est optimiste quand on le prend , ¢a décuple 1’optimiste si on est déprimé, ¢a augmente la depression, On prend du LSD par. gott du risque; c’est un peu une tentative de suici— de, c’est comme jouer A la rou— lette russe.*? Du bonheur, il dit; ‘ ga peut arriver seulement a la campa— gne. Moi je ne me souviens pas avoir été vraiment heureux dans ma vie, sauf peut—@étre quand j’étais petit et que je passais 1"eté au Lac Supérieur. Y’a bien des jours de Noél ot on a du fun, mais ga ne dure pas,..’? Robert Charlebois avoue croi— re de moins en moins a é— galité de hommes, D’aprés lui, les seules choses qui pour— raient sauver le monde sont la musique et la poésie, “A un moment donné, je croyais A l’a— mitié, j’y crois de moins en moins.’? Il me nomme pourtant quelques—uns de ses meilleurs amis; Jean—Guy Moreau, Claude Péloquin (‘on était tout pres l’un de Iautre’’), Robert Bar— beau, Pierre Arel, Luc Granger, ‘*Mais quand nos amis sont dans le pétrin et que ga ne nous em— peche pas de vivre, c'est gra— ve, On est tous des égoistes tout ce que l’on demande, c‘est de continuer & vivre dans son petit sac de peau,..”” Le femmes? Robert CHarle— bois déclare; ‘* Je les aimes trop, ¢a me perdra, J’aime @tre dans des endroits ot il y a des femmes, J‘aime leur sen— sibilité, leur instinct. Quand il y a trop d*hommes autour de moi, je freak, je panique,*? Dans le moment, avoue—t—il il croit au couple. ‘‘Mais pour cela il faut que le couple vive dans des circonstances propi— ces. Il ne faut pas qu*il ait faim il faut qu’il puisse bien Manger et bien dormir, Oui je crois dans le couple, mais & la seconde preSese. C%est l’an— goisse de la fin du monde qui rend les couples angoissés.* Décidément, Robert Charle— bois n’est pas toujours gai. Il se penche pour flatter l*épa— gneul, Il confie; ‘Je pense que je suis rendu pas mal vieux. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a des gens qui sont vieux a 35 ans et d’autres qui sont en— core jeunes a 60. Mais moi je vieillis, je sens que je perds ma folie, ma naivete mon é— nergie. J’ai peur de la mort je sais que j'ai beaucoup de chances de mourir, mais je sais aussi que j’ai beaucoup de chan— ces de m’en tirer, Je crois a la science; je crois 4 la rein— carnation, J’aimerais ga de— venir un goéland ou un poisson volant, pas uN rateoee’” Dieu? ‘‘ Comme tel, ga ne peut pas @tre autre chose que moi, Dieu, on vit dessus, 1a & la seconde, Mais je crois qu’il y a un cerveau supérieur qui assemble tout ce qu‘il y a de bon dans l*univers et qui s'en sert; il ne peut rien rater et c¥est ridicule pour les bi— pédes d’essayer de le combat— tre.’? Puis son pessimisme re— vient; ‘* Je crois que toute l’af— faire est un sauve—qui—peut ge— néral’’, Mouffe entre avec un bol de potage fumant, I] mange docile— ment sa soupe et continue, ‘‘en janvier, je vais avec Pierre Arel en Louisiane pour tourner un documentaire, Ceseraunparal— lele entre les Cayens de la—bas et les Franco—québécois. “fea m’intéresse; je voudrais trouver la note qui unisse 1*Amérique, qui irait de la Coraillére des Andes a la Terre de Baffin. Cette note, si Che Guevara, l’a— vait entendue, il serait encore vivant, Je crois qu’avec ma musique, j’ai trouvé cette note— 1a entre les Etats—Unis et le Québec, c'est un peu comme la note du sifflet pour attirer les canards, En Amérique du Sud, ils n’ont pas encore entendu la note qui devait les unir,...’” Un autre chien entre en trom— be dans la piece, doré égale— ment, le museau affectueux, mais n*’appartenant & aucune race ca— nine précise, Suite page 12, CHAR LEBOIS APPELEZ- Mol 8i vous désirez obtenir quelques idées sur l’assurance-vie argent remis. La police Sun Life Dotation fonds de sécurité protége votre famille jusqu’a ce que vous soyez Agé de 65 ans, puis vous rembourse toutes les primes plus les dividendes! MARCEL ST-DENIS #600 - 675 W. HASTINGS STVANCOUVER 2 Téléphone: Off, 681-5321 Abs, 926-5681 SUN LIFE DU CANADA ait syethe.