10 Le Soleil de Colombie, Vendredi 3 Mars 1978 ‘SE REINO ae renee pete rang eran oe STERN TRS 30 P’TITES MINUTES avec Florian Carriére (Deuxiéme partie) L’Ordre de Jacques Cartier Enrésumé|’OJC avait une vocation plutét nationale. Evidemment, mais nous avions quand méme des struc- tures régionales et provinciales qui nous permettaient d’influencer la vie municipale et scolaire, de la méme facon que nous encouragions certains fonctionnaires dans la fonc- tion publique fédeérale. A occasion, nous nous mélions d’élections en favori- sant des candidats francophones, ou nous faisions pression pour la nomination de tel curé! L’ordre était une sorte d’entreprise de ressources hu- maines? Absolument. Ces ressources étaient volontaires et tou- jours disponibles. Clubs Richelieu et jeunesse Aviez-vous des liens trés étroits avec les corps in- termédiaires? Oui, mais dans un sens particulier. La Société Richelieu a été fondée par l’Ordre, pour combler le manque de clubs sociaux francophones. Les autres clubs n’étaient pas anti-catholiques, mais acatholi- ques. On a réalisé que ce genre d’organisme correspondait a un besoin de regroupement des francophones, a des fins autres que culturelles et politiques. Cette Société a créé les clubs que nous connaissons au- jourd’hui, mais ceux-ci n’ont pas nécessairement été mis sur pied par des membres de l’OJC. Le réle de ‘‘la Patente”’ n’était que d’en mousser |’idée et d’encourager tel chef de file a agir en ce sens. Je dois mentionner que nous sommes trés satisfaits de ces clubs, qui répondent au réle que nous voulions qu’ils aient: permettre aux francophones de se réunir, et fournir des fonds a la jeunesse dans le besoin. Les clubs Richelieu représentent probablement la manifestation la plus éclatante de l’encouragement apporté aux jeunes tout au cours de l’existence del’Ordre. Les jeunes avaient-ils droit de parole au sein de “la Patente”’? Oui. Nous avions des cellules de jeunes dans les univer- sités d’Ottawa, de Laval... Des gars comme Drapeau, Johnson, en faisaient notamment partie. Nous avons aussi appuyé la création d’organismes de jeunes. - De fait, Ordre de Jacques-Cartier n’était pas réservé A une soi-disant élite intellectuelle. A Ottawa, par exemple, on comptait aussi bien des avocats, que des médecins, des fonctionnaires et des ouvriers dans une méme cellule pa- roissiale. Il y avait quand méme des membres dits isolés. Il fallait accepter le fait que certains hauts fonctionnaires ne devaient pas s’identifier, s’afficher publiquement comme militants. Ils ne participaient pas aux assemblées, leur nom ne paraissait pas sur nos listes, et c’est la chancellerie qui faisait directement affaire avec eux. Existe-t-il présentement des organismes dont les objectifs correspondent a ceux de l’Ordre de Jacques Cartier? L’Ordre a marqué la génération actuelle. Elle a donné le départ, et les objectifs poursuivis par la plupart des organismes francophones sont dans la ligne de ceux que poursuivait ‘‘la Patente.”’ Je dirais méme qu’aujourd’hui ces objectifs sont sou- vent développés davantage parce que les temps ont changé. Par exemple, les Franco-ontariens exigent un systéme d’éducation paralléle a celui des anglophones. Dans le temps, l’Ordre ne pouvait que s’efforcer d’obtenir un bon systéme primaire parce que ]’éducation en frangais n’était pas un droit reconnu par le Parlement; il avait plutét lallure d’un privilege glissé dans les réglements du ministére ontarien de l’Education. On ne pouvait exiger en 1910 ce qu’on exige au- jourd’hui! t ; On pourrait peut-étre dire que l’Ordre est mort de vieillesse A cause de |’évolution momentanée de la société occiden- tale? L’Ordre de Jacques Cartier a éclaté pour un motif fon- damental. A un moment donné, les objectifs des Canadiens francais a travers le pays ont cessé d’étre les mémes. C’est peut-étre le méme phénomene qu’on percoit de nos jours en tentant de prévenir l’éclatement de la Confédération. Est-ce que l’Ordre n’a pas subi finalement les mémes épreuves qui laissent la Confédération a court de souffle? Au Québec, il y avait toujours eu un sentiment de na- tionalisme partageé par l’ensemble des francophones, et le Québec appuyait aussi les minorités dans leurs revendica- tions. | A cette époque, il y avait encore beaucoup de liens familiaux entre les gens du Québec et ceux des autres pro- vinces, parce que l’émigration était encore assez récente. Quand ¢a fait déja deux ou trois générations qu’on a quitté le Québec, les liens se distendent, comme c’est !e cas chez les Franco-américains. Par-dessus tout ¢a, est arrivée la poussée nationaliste-séparatiste, et les autres fran- cophones ne |’ont pas ‘“‘prisée’’. Ils se voyaient mal se défendre seuls a travers le reste du Canada, et cette situa- tion a créé une scission qui a signé l’arrét de mort de.1’Or- dre. Québec, Rome et Ottawa Il ne faudrait donc pas dissocier.l’action sociale de l’action politique de l’OJC. Est-ce a dire que “la Patente” a déja favorisé des candidats lors d’élections provinciales ou fédérales? Ce n’est pas un secret; l’Ordre a beaucoup travaillé en faveur de Maurice Duplessis, au Québec, parce qu’il laissait entendre qu’il était nationaliste. Un exemple concret de l’intervention de l’Ordre au Québec? Son drapeau! C’était notre drapeau que nous avions proposé. Si le Québec a des fleurs de lis aujourd’hui, c’est qu’on a enlevé le Sacré-Coeur qui paraissait sur notre drapeau et on a redressé la fleur de lis. Ce qui a donné le par Guy O’Bomsawin fleurdelisé. L’Ordre a aussi beaucoup travaillé en faveur du Bloc populaire, un parti politique dans lequel André Laurendeau (dela Commission Laurendeau-Dunton) a milité. On a agi ainsi parce qu’on voyait que le nationalisme préché par Duplessis ne correspondait pas tout a fait au genre de nationalisme que nous concevions. A un moment donné, !’Ordre a aussi travaillé pour les libéraux du Québec, mais au niveau fédéral. L’affaire du plébiscite de la Conscription avait toutefois fait virer le vent de bord pendant la guerre de 1939, parce que ‘‘la Patente’’ était d’accord pour que les francophones aillent défendre |’Angleterre. Les fonds ont-ils déja servi a faire campagne? Non, je ne crois pas. On pouvait toutefois demander aux membres de dé- clencher une campagne financiére en faveur du candidat de notre choix. Vous avez aussi mentionné que ces fonds pouvaient servir a aller 4 Rome. Est-ce que |’Ordre faisait des affaires ex- térieures? Oui. L’Ordre avait ce qu’on appelle un fonds VADMA, qui était un fonds constitué de dons faits en dehors des cotisations réguliéres. Ce fonds était essentiellement pour nous assurer une représentation 4 Rome, au sujet de la nomination des évé- ques. Cette initiative était née a la suite du Congrés eucharistique de 1910, lorsque l’archevéque de West- minster, en Angleterre, avait émis l’opinion que, pour le bien de la foi catholique en Amérique du Nord, tous les catholiques devaient parler anglais. ‘‘Ca ferait l’unité.”’ C’est la que Henri Bourassa est intervenu et a fait un de ses plus beaux discours improvisés. SUITE A LA PAGE 15 (Photo “Le Droit") (Ces textes sont fournis par le Secretariat d Etat)