6— Le Soleil de Colombie, vendredi 9 ao@t 1985 Le Sahel en danger Suite de la page 1 sécheresse fut de réduire le potentiel agricole de la région, de rompre l’équilibre alimen- taire, et de transformer ces pays d’exportateurs en nets importateurs de produits ali- mentaires. Lueur d’espoir: les pluies reprirent en 1975 et 1976. Mais, depuis 1977, la pluvio- métrie de la zone sahélienne n’a cessé de diminuer. La situation s'est considérable- ment aggravée depuis 1980, et le spectre d’une catastrophe alimentaire menace directe- ment les populations du Sahel. Dix années de mauvaises récoltes ont, en effet, empéché ces pays de se constituer des réserves. De plus, la séche- resse, en maintenant sa présence, a asséché les cours d'eau et forcé a l'exil des dizaines de milliers de Sahéliens. Les grands déséquilibres L’une des principales causes de la situation que doit af- fronter le Sahel réside dans Vexplosion démographique de la région. L’ensemble des pays sahéliens ont une croissance démographique de prés de 3 p. 100. C’est donc dire que leur population double tous les 30 ans ou presque! En 1961, la population totale du Sahel s'‘élevait 4 19 millions, en 1981 elle était de 30 millions. On prévoit qu'elle sera de 50 millions et plus en l’an 2000, alors que la capacité portante de la région, selon certaines études, serait d’environ 20 millions. La Banque mondiale prévoit déja que la région ‘a nourrir au mieux que la moitié de sa population, si elle ne peut compter que sur ses propres ressources et si l'environnement continue de se détériorer. L’accroissement démogra- phique sans précédent pro- voque également une explo- sion urbaine qui contribue a aggraver le probléme alimen- taire. En moyenne, la popula- tion des villes augmente de prés de 10 p. 100 par année. Les prévisions pour l’an 2000 estiment déja qu’entre 25 et 50 p- 100 de la _ population sahélienne vivra en milieu urbain. Ouagadougou, la ca- pitale du Burkina Faso a vu sa population tripler depuis 1961; la population de Niamey, la capitale du Niger, et celle de Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, ont plus que quadruplé en 20 ans! Cette urbanisation accélérée résulte en partie des inégalités’ entre les conditions de vie et de travail des zones rurales et: urbaines. D’ou l’urgence de nouvelles politiques rurales permettant d’améliorer le ni- veau de vie et les conditions de travail des paysans. Les données proprement cli- matiques sont indispensables a la compréhension des phéno- _taires et nomades. Les trou- ménes qui menacent le Sahel. Dans l’ensemble de la région, la pluviométrie, depuis 1968, malgré quelques exceptions, est en baisse. En 1983, le déficit des pluies variait de 20 p. 100 au Niger a 90 p. 100 en Mauritanie par rapport a une moyenne établie sur 30 ans. Autre exemple: le fleuve Sénégal enregistrait en 1983 une chute des deux tiers de son débit normal. Le méme phé - noméne afflige également le fleuve Niger. Ce fleuve, consi- déré comme le chateau d'eau d'Afrique de l’Quest est pres- que a sec. Les météorologues s'interrogent sur les causes de ces profondes perturbations. De-tels déficits pluviométri- ques provoquent l’apparition de phénoménes qui tous jouent au détriment des cultures. On observe, l’abaissement sinon l’asséchement total des eaux souterraines qui alimentent les sources, essentielles aux popu- lations rurales. Le long des fleuves, l’absence des crues réduit le rendement des cul- tures vivriéres. Enfin, les défi- cits pluviométriques entrat- nent les remontées salines. La faiblesse du débit des fleuves et les cétes plates de. 1’Afrique permettent, en effet, a la mer. de pénétrer loin a l'intérieur des terres et d’y déposer le sel marin. En 1983, le fleuve Sénégal a enregistré une re- montée saline d’environ 300 km Un élevage bloqué Le surpaturage est égale- ment responsable du déséqui- libre €écologique au Sahel. L’élevage est une activité éco- nomique essentielle des pays de la région. Durement tou- chés par la sécheresse d’il ya 10 ans, les troupeaux se sont depuis progressivement _re- constitués. Mais depuis 1980, la sécheresse a considérable- ment réduit les espaces de paturage et le délicat €quilibre entre le bétail et la végéta- tion est de nouveau rompu. Lors de la derniére sécheresse, les nomades se sont concentrés et méme fixés autour des points d’eau, provoquant ainsi un piétinement des sols déja desséchés et les stérilisant. L'accroissement de la charge animale a, de plus, provoqué la disparition de certaines plantes vivacés qui fixent les sols. Aujourd’hui avec le re- tour de la s€cheresse, les animaux migrent vers le sud, provoquant 4 certaines occa- sions des heurts importants entre les populations séden- peaux divaguent, se dispersent’ et asséchent souvent les points d'eau. Les gouvernements es- saient depuis plusieurs années de trouver une solution adé- quate a ce probléme. Production déficitaire Pour la troisiéme année consécutive, la production cé- - sertiques. 3 ee 2 réaliére a baissé dramatique- ment. La dégradation du climat et du sol est telle que la chute enregistrée dépasse le million de tonnes pour les huit. pays du Sahel. Le déficit alimentaire du Mali pour l’année en cours est évalué a plus de 350,000 tonnes; celui du Niger a plus de 280,000 tonnes; celui du Burkina Faso a plus de 150,000 tonnes. En 1984, la Mauritanie a produit moins de 10 p. 100 de ses besoins en céréales. De plus en plus, les pays sahéliens se voient contraints de recourir aux importations pour satis- faire leurs besoins alimen- taires. Leur situation écono- mique précaire les oblige cependant 4 importer moins que le volume nécessaire, provoquant ainsi une pénurie alimentaire dans les zones déficitaires. Une forét en péril La forét joue un réle essentiel dans les pays sahéliens: ® elle est un élément indispen- sable a l’€quilibre des écosys- témes agricoles et pastoraux; et @ elle contribue 4a 1’alimenta- tion des animaux et des hommes en prévenant |’éro- sion et la progression des dunes. Malgré cette importance, de lourdes menaces planent sur la pérennité de cette ressource, entre autres, parce que la forét constitue la principale source d’énergie de la région: selon les pays, entre 60 et 90 p. 100 de l’énergie consommée pro- vient du bois. Le bois est, en effet, indispensable a ces po- pulations pour la cuisson et le chauffage la nuit dans les zones désertiques et semi-dé- En 1980, on estimait que le bois couvrait 88 p. 100 des besoins énergétiques du Niger, 93 p. 100 de ceux du Mali, 94 p- 100 de ceux du Burkina Faso et 95 p. 100 de ceux du Sénégal. Certains pays du Sahel ont déja atteint le point de rupture des stocks, ow la consommation de bois dépasse la capacité de reconstitution des foréts. La situation re- quiert des mesures énergiques car le déboisement incontrélé conduit a une disparition des espéces ligneuses, favorise la dégradation des sols et leur aridité et modifie méme la climatologie locale. Le probléme ne _ s’arréte toutefois pas 1a. Des relevés satellites indiquent que le désert gagne 200,000 hectares nets par année. Le déboise- ment intensif pratiqué au début autour des grandes agglomérations, s'est rapi- dement étendu 4 l'ensemble ‘du milieu rural. Selon la Banque mondiale, il convien- drait de multiplier par 15 les efforts de reboisement au sud du Sahara si l’on veut rétablir un quelconque €quilibre. Les projections quant a l’avenir de cett€ ressource ne sont guére rassurantes: on prévoit, en effet, que la consommation de bois en milieu rural doublera d'ici l’an 2000. Celle des villes triplera. La situation est d’au- tant plus sérieuse que le déboisement est un phéno- méne qui s’accélére rapide- ment. A partir d’un certain seuil critique, il prend une vitesse foudroyante et conduit vite a un dénuement total. Seule une intervention énergi- que, déclenchée a _ bréve échéance, permettra de réta- blir un quelconque équilibre. Une ressource indispensable: l’eau La maitrise de l’eau au Sahel est un préacquis a _ toute solution au probléme du dé- boisement et de la déserti- fication. Cette eau existe a trois niveaux (pluviale, en surface et souterraine) et se retrouve en quantité variable d’un endroit a l’autre. A) Les eaux pluviales. Le Mali, le Niger, et le Burkina Faso recoivent en temps nor- mal une bonne quantité d’eau. ~ Il tombe en général autant de précipitations sur le Burkina ea Se ORE Faso qu’en France annuelle- ment. Mais le probléme ne se trouve pas tant dans la quanti- téd’eau qui tombe que dans la facon avec iaquelle cette eau se distribue dans l’espace et dans le temps. Il peut pleuvoir abondamment mais sur une partie du territoire seulement. De plus, il ne pleut que quelques mois par année; aussi la disponibilité en. eau est-elle irréguliére. La maitrise de l’eau représente d’ailleurs une des préoccupations ma- jeures des population sahélien- nes. B) Les eaux de surface. Les eaux de surface se retrouvent dans les cours d’eau, dans les lacs et les mares. Les principaux cours d’eau du Sahel, le Niger, le Sénégal et la Volta noire, se caracté- risent tous par une_baisse constante de leur niveau de crue.” + ‘ ; : La situation des lacs n’est guére meilleure. Les lacs du Mali ont tous connu une baisse importante de leur niveau. Certains sont déja 4 sec. Au Niger, le niveau du lac Tchad est tellement bas que l’eau ne touche plus au pays. C) Les eaux souterraines. Les nappes d’eau souterraines varient énormément en pro- fondeur et en étendue. La connaissance de ces ressources en eau s'est beaucoup amé- liorée, ces 20 derniéres années, de sorte que l’on posséde maintenant un apercu plus réaliste de-ce qui est disponi- ble. On connait I’existence de vastes nappes souterraines. Des nappes d’eau en quantité suffisante pour subvenir aux besoins des populations villa- geoises. Ce que l'on ignore, c'est la quantité d’eau qui s’y puise annuellement, la quanti- t€ d’eau que l'on peut y prélever et enfin, l’évolution du niveau d’eau de ces nappes. Le Comité permanent inter- Etats de lutte contre la séche- resse dans le Sahel et le Club de Sahel étudient la situation. La connaissance de ces ressources et de leur €volution est €vi- demment indispensable 4 la mise en place de programmes d’envergure sur l’hydraulique au Sahel. Demande en hausse Compte tenu des exigences de la population, du bétail et de l’agriculture, la demande en eau est appelée 4 augmen- ter rapidement dans les pro- chaines années, alors que présentement seulement 25 p. 100 des besoins sont satisfaits. Un taux nettement insuffisant qui commande des investisse- ments €normes pour atteindre l’objectif minimal d’une con- sommation moyenne de 20 litres par personne, par jour. Méme s’ils ont doublé entre 1978 et 1982, ces investisse- ments sont, en réalité, trés modestes et ne représentent actuellement que1,8p.100de | Vensemble des engagements de — l’'assistance globale au Sahel. Pour atteindre l’objectif de 60,000 points d’eau d'ici l’an 2000, laide internationale doit envisager des investisse- ments massifs. N.B. L semaine prochaine nous verrons l’état de dévelop- pement des pays du Sahel et leurs perspectives d’avenir. [Revue de l’ACDI, juin 1985] Un homme extraordinaire Suite de la page 5 de conscience, le public, com- me une vengeance personnel- le. On parla d’exil, non, il avait choisi de quitter la France... tout de méme |’é- loignement a duré 19 années, et pourtant, Louis-Napoléon signa un décret expulsant 66 rebelles politiciens, Hugo compris, et alors... Léonie Thévenot, ex-Biard manifesta l’intention de re- 'joindre Hugo, il la dissuada, mais assura le cété financier. Elle mourut 28 ans plus tard. S.M. Léopold ler, roi des Belges, hésita d’abord, puis accorda a Hugo, un permis de séjour de trois mois seulement. Ayant publié a Londres son virulent “Napoléon, le petit”, le gouvernement Belge, le pria de quitter la pays, avec son fils Charles. Foule considérable au quai, Alexandre Dumas, pré- sent, aux cris “Vive Victor Hugo”. Exila Jersey Le 5 aodt 1852, l‘homme du siécle avec sa petite famille, se trouvaient a Jersey, la plus grande des Iles Anglo- Normandes, capitale Saint- Hélier. Adéle (fille de V.H.), disait: Jersey est un morceau dela France, qui a été volé par l’Angleterre. Jersey est main- tenant francais, mais légale- ment anglais. Y a-t-il quel- qu'un, jadis, qui aurait dit la méme chose au sujet du Canada ou du Québec? Son projet: couvrir la France par des milliers et des milliers de ballons portant son pam- phlet “Napoléon le petit”: pamphlet traduit en anglais, allemand, italien, espagnol, des éditions pour les deux amériques, d’autres pour des destinations allant de Londres a Calcutta, de Lima a Québec. Il était féroce notre “Homme du siécle”. Un visionnaire A Jersey, Victor Hugo ex- prima ses vues sur l'Europe, une fédération: il faut une guerre finale, Charles de Gaulle l’aurait dit un siécle plus tard. Il en parla avec un représentant de la Prusse, sa projection “Les Etats-Unis d'Europe”, en filigramme la France sur le monde. Aprés chaque repas, il buvait du vin a la future République An- glaise et a celle des Etats-Unis d'Europe, qui seront sur la carte avant six ans. A Jersey, V.H. publia et lut en public une lettre contenant des propos violents, présentant la Reine Victoria, comme patronant un conspirateur et un parjure, Napoléon III. Résultat, les autorités britan- niques priérent l’homme iras- cible d’aller se faire voir ailleurs. En 1855, Victor Hugo et sa famille se trouvent 4 Guerne- sey, une autre des Iles Anglo- Normandes, moins peuplée que Jersey, donc un auditoire plus restreint, capitale Saint- Pierre. La publication de son oeuvre “Les contemplations” lui permit d’acquérir une belle demeure “Hauteville House”... Il fut critiqué, propriétaire il devenait le vassal de la Reine d’Angleterre parce qu'il devait lui payer le “droit de poulage” deux poules par an... Ceci ne l’empécha pas de demeurer assis lorsqu’on entonnait le “God save the Queen”. Le retour La particularité de Guerne- sey, une société hiérarchisée, entre les “soixante” et les “quarante’”’, les premiers l’aris- tocratie locale, les seconds considérés inacceptables... on a ajouté par dérision, les “vingt” et les “rien du tout”. V.H. a-t-il été classé dans cette derniére catégorie? Lui, un homme qui ne s’exprime qu’en francais, ne va pas a confesse, anglophobe jusqu’au bout des ongles, pas. de respect pour la Reine? La publication des “Miséra- bles” en 1862, lui rapporta 240,000 francs, plus 60,000 pour les droits de traduction. Le 15 aodt 1859, la féte de. Napoléon III, amnistie géné- rale, Victor Hugo refuse de rentrer en France, il restera hors de son pays, encore onze années. 2