Le Moustique! ... Pacifique Volume6 - Pour lui, l'enfant n’avait plus sa place a I’école ; il entrevoyait, bien sr, le type d’éducation par laquelle remplacer celle qui n’avait pas pu faire de l’écolier un enfant normal, mais il préférait laisser le choix aux parents. ll était principalement concemé par la réaction de ses enseignants qui montraient de plus en plus de réticence a avoir ce gargon a probléme dans leur classe. Ceux-ci avaient un mal fou a conserver une certaine discipline dans les rangs tant les autres enfants étaient montés contre lui, ne lui pardonnant ni son comportement étrange, ni la difficulté a s’intégrer dans leur cercle. Ce n’était donc pas un renvoi de I’école qu’il préconisait, mais un changement complet du systeme d’éducation. Ce qui revenait au méme, mais lui évitait des mesures aux allures disciplinaires et, sans avoir a prendre de responsabilités, lui laissait entiérement le beau réle. * * * * * Personnellement, je ne partage pas cette maniére de voir. Si l’école a été pour moi, et ce, pendant un certain temps, un affreux cauchemar, je trouve, au contraire, que je me suis fort bien adapté a cette situation difficile. J’habite assez prés de I’établissement, dans une vieille maison qui a été, il y a presque un siécle de cela, la demeure d’un fermier vivant a l’extérieur de Victoria. Plut6t maraicher et producteur de fruits, il avait un 6norme terrain a la campagne. Terrain qu’il avait presque entiérement transformé en vergers et au milieu duquel se trouvait la maison. Petit a petit, avec "extension de la capitale, il a vendu a l’Etat des parcelles de son domaine. Une de ses opérations les plus fructueuses (si j’ose dire) a été de céder a bon prix une énorme surface de sa propriété pour la construction du premier aéroport de la ville. A présent que toute cette région est entiérement urbanisée et qu’un nouvel aéroport a été localisé prés de Sidney, mon école s’est installée dans l’ancienne aérogare du terrain d’aviation abandonné. Elle est au plus a trois ou quatre cents metres de chez moi. Et jen aime bien l’idée ! Savoir que dans la salle méme ou les cours sont donnés, il y avait naguére un équipage qui organisait son prochain vol ou, alors, une foule de passagers, excités et bruyants, qui réservaient leur place sur ce méme vol, tout en surveillant les enfants et leurs bagages, saluant ou embrassant ceux qui restent, un peu encombrants sur le moment, mais qu’on se promet de regretter dés le décollage. Dans les premiers temps, avant de me rendre 7e édition ISSN 1704 - 9970 Juillet 2003 a l’école, il m’arrivait de souhaiter ne jamais me réveiller et d’échapper ainsi a cette corvée insupportable. Mais les réves de voyage associés a ses batiments ont fini par m’attacher a ses murs. Je suis, du reste, un élément important de cet établissement. Les éleves se déchainent sur mon passage. C’est a celui de découvrir l’insulte la plus cinglante, la torture la plus cruelle, la correction la plus rude qui va le rendre célébre dans toute l’école pour une journée entiére. Mon départ créerait un vide insupportable. Sans compter que j’y ai appris a juger les gens pour ce qu’ils valent. C’est la que, finalement, j'ai compris combien ils étaient peu remarquables, arrogants, brutaux, blessants et incapables de viser a une quelconque perfection. C’est la, de la méme maniére, que j'ai construit ma propre estime et que j’ai retrouvé l'équilibre et une certaine sérénité. C’est la surtout que, pour y parvenir, j'ai appris 4 m’isoler de la foule, me réfugiant dans un réve riche de possibilités multiples. Enfin, c’est la que cette chose extraordinaire mest arrivée. Je savais n’étre pas comme les autres, et javais prévu que cela arriverait. Mais vous n’étes pas sans savoir comment sont les gens. Ils vous accordent si peu d’attention et sont si critiques de vos découver- tes qu’ils parviendraient a vous faire douter de vos convictions les plus intimes. Je le sentais venir et javais raison : cela s’est passé ! Ce n’était pas tout a fait net au début. Disons que je le ressentais imper- ceptiblement, sans avoir l’assurance de que cela se réalisait enfin. Aprés plusieurs jours, cette impression s'est renforcée, progressivement, mais nettement. Puis, j'ai tenté quelques expériences et la, cela ne faisait plus de doute, cela marchait : je contrélais enfin le temps. II ne m’était plus nécessaire d’en réver, je le réalisais, je 'appliquais et jen obtenais les résultats qui m’étaient si chers. C’en était fini de mes échecs, des rebuffades, du mépris. J’ai réussi tous mes examens, concours, interroga- tions. Il me fallait parfois arréter le temps pendant des heures (une fagon de parler bien entendu) pour courir jusque chez moi avec la feuille des questions a la main. Retrouver les livres, les chapitres qui cachaient les réponses. Les écrire sur la feuille d’interrogation et tout ramener a l’école. C’était amusant de courir dans les rues ot toutes les voitures étaient immobilisées, les vélos en équilibre sur deux roues, les piétons “attendant un feu qui n’arrétait pas d’étre rouge. De retour 4 mon pupitre, je relachais le temps et je déclarais fierement que javais déja terminé 15