Le Moustique Volume4 - 7° édition ISSN 1496-8304 Juillet 2001 Les guides indiens du parc ont alors construit des passerelles en bois de thuyas que l’on emprunte a grands pas. C’est inattendu, c’est presque imaginaire, une trouée confortable dans un univers chaotique, un trongon de voie royale dans un chemin de forgats. Mais alors, l’effet est épouvantable quand la passerelle s’arréte. Quand le sentier, moins marécageux, ne justifie plus ce soutien magnifique et que |’on retrouve alors la boue silencieuse ot: dorment les troncs et rondins entremélés comme les alligators dans les bayous au Sud. lly a des passages réellement difficiles. Non pas qu’ils soient périlleux ou impossibles, mais ils se succédent de plus en plus nombreux. La fatigue aidant et le découragement devant la difficulté, surtout aprés un long passage relativement plus facile, les font paraitre insurmontables. Ce sentier ne demande pas absolument une grande force mais la résistance du corps et, de l’esprit, la tenacité. Cependant la forme nous est revenue et si le pas, sur ces longues distances, se montre parfois un peu lourd, croquer un baton de chocolat a la protéine haute énergie, me fait retrouver l’agilite de mes vingt ans. Ce petit subterfuge marche et ce, absolument ! Au propre dailleurs, comme au figure. Et puis, j'ai les jambes longues qui me permettent de sauter plus facilement par-dessus les obstacles. Ma fille a davantage de peine et doit négocier habilement chaque passage pour éviter de s’enfoncer dans la sombre et inquiétante gadoue. Je prends alors l’habitude, chaque obstacle franchi, de l’attendre et de lui tendre mon baton pour l’aider a sauter. Ce segment du sentier est assez inconfortable et rares sont les marcheurs qui le franchissent sans s’enliser, une fois au moins, dans l’immonde fange. Je me sens bien. Nous progressons rapidement. Nous n’avons pas été rattrapées par le guide, malgré quelques arréts biscuits. Il fait beau et je me trouve trés bien a pouvoir encore étre galant maigré les circonstances. De surcroit, nous sommes parvenues a rester propre malgré la traitrise du sentier. Enfin, propre comme on peut l’étre dans ces conditions. Emporté par le plaisir et le bien étre, d’un bond prodigieux, je franchis une longue flaque pour me recevoir sur une souche que I’on apercoit a peine a fleur d’eau. Souche pas plus grande que ma semelle qui la cache entiérement. En équilibre sur la méme jambe, je me retourne pour attendre ma fille dont les yeux s’agrandissent a la vue du passage impossible. Elle regarde sur les cétés du sentier, mais aucun détour n’est permis. L’eau stagnante imbibe la terre et la végétation sur une grande surface. Le marécage est tout autour de nous et le sentier passe par le seul endroit ou de la terre hérissée de branches émerge quelque peu. Sar de moi, je lui dis de saisir le bout de ma longue canne et de sauter le plus loin possible ; je la rattraperai au moment ou elle touchera du pied cette méme souche qui m’a aidé. Pour ce faire, je dois moi- méme libérer la souche et il y a peu de points d’appuis secs et solides dans les parages. J’attends donc le choc dans la situation assez difficile de l’escrimeur en position de développement complet lors d’une attaque a la jambe. Cette pose est remarquable et méme assez belle quand on la voit pratiquée dans les salles d’escrime. Ici, dans cette forét humide, une jambe tendue derriére moi, l'autre fléchie devant, les cuisses écartées comme pour le grand écart, je la trouve assez inconfortable et surtout parfaitement ridicule. Mais il n’est pas dit que j'aurai abandonné ma fille dans cette forét primitive, de l'autre coté d’une simple flaque. Sachant surtout que le guide est encore de ce cété. Page 11 C.