Le Moustique Volume6 - 6¢édition ISSN 1704-9970 Juin 2003 en sont extraites et édictées TI savait, bien siir, que les hommes forts, ceux-ld mémes qui réalisent les plus grandes choses ou participent aux plus merveilleux exploits, aiment 4 dire que le monde se construit par le travail dans le courage et la ténacité, alors que le réve n'est qu'un océan dans lequel se noient toutes les volontés. Le bon sens semblait leur donner raison. Mais que faire quand le souci de la perfection paralyse la moindre des tentatives, que le réve devient le dernier refuge devant l'incompréhension générale ? Le réve est la drogue que l'on administre aux grands malades de l'action. Son mal ne lui laissait plus aucun espoir ; il ne pouvait plus que s‘intoxiquer de bonnes intentions, d'espérances inutiles. Au moins, il y avait la, dans cet espace vide offert d ses réves, un immense champ d'action pour la poursuite d'une perfection sans limite. Il appréciait l'art dans cette volonté de représenter avec la plus grande perfection possible ce quiil y avait de plus impossible a exprimer de cette partie la moins compréhensible de I'éme humaine. Et dans ce contexte, la musique lui paraissait le mode d'expression d la fois le plus précis et le plus complet. Parmi les instrumentistes de renommée, il y avait ceux qui se jetaient dans l'aréne en s'exhibant en public et en dissimulant leurs petites imperfections et leurs imperceptibles erreurs dans l'atmosphére d'enthousiasme que suscitait leur communion avec l'auditoire. Il y avait aussi ceux-ld, avec lesquels seuls il s'identifiait, qui utilisaient toute la technologie électronique a disposition pour composer et corriger une interprétation jusqu’d ce quelle fit parfaite et la seule quiils délivreraient au public. Pour lui, c’était devenu la seule approche concevable qui le tiendrait ainsi éloigné de la contagion par cette maladie quétait ‘approximation humaine. Autant il était incapable dans l‘action, autant il excellait dans le réve. Et ce réve, pour tre efficace, devait faire appel d certaines techniques qu'il lui fallait découvrir. Dans une certaine mesure, il était heureux qu'il soit né a une époque oui le développement de linformatique avait permis de mettre au monde ce monstre de potentiel qu’était la virtualité. Les jeux électroniques étaient, par exemple, un univers incroyable qui lui apportait l'oubli de ses problémes et la satisfaction la plus compléte d'une partie de ses aspirations, Il s'y donnait entigrement, méme si le temps a l'extérieur l'invitait 4 des occupations plus saines et, quand la partie tournait en sa défaveur, ii refusait de continuer, préférant la reprendre depuis le début. Si, dans un jeu de stratégie, ses forces qu'il avait admirablement composées et magistralement manipulées se trouvaient, d la suite d'une quelconque erreur de sa part ou d'un hasard malheureux, acculées 4 la perte, il ne cherchait pas a se dégager ou 4 retourner la situation. Il recommencait le méme jeu.autant de fois qu'il était nécessaire jusqu’d ce qu'il soit le vainqueur absolu, n'ayant subi aucune perte, l'adversaire ayant été écrasé d'une maniére totale. Certains affrontements pouvaient prendre plusieurs jours avant que la victoire fit parfaite et compléte. Journées pendant lesquelles il échappait complétement au monde qui l'entourait, allant jusqu’d en oublier le boire et le manger. De plus en plus, l'imagination venait au secours de l'étude, des exercices, de la culture ou de la répartie. Mais cette approche, elle-méme, ne pouvait plus le satisfaire. Si un jour, 4 l'école, et cela se présentait de plus‘en plus Tréquemment, un quelconque fort 4 bras venait 4 le prendre a partie, il prenait une attitude suffisante avec juste un rien d'arrogance, comme il lui semblait devoir faire dans ses réves. Alors, un poing sortait d'il ne savait oui, filait comme le-vent, et sa téte explosaient en mille étoiles, comme ses réves en mille morceaux. Sous I'humiliation, il fuyait alors, ravalant sa age avec un peu de sang qui lui coulait de la lévre. Il prenait alors pieinement conscience que l‘approche onirique n'était pas davantage une sinécure. Il aurait pu réver qu'il était plus fort et plus rapide, que depuis son plus jeune ge il s‘entrainait a développer ses muscles, 4 accélérer ses réflexes, d augmenter son endurance. Mais le « ce que j‘aurais di faire », méme dans ses songes, rarrivait plus d le contenter, ne permettait méme pas de le consoler. Ce succédané de réussite ne pouvait suffire d son sens de la perfection, ni l'aider dans ses aspirations au succés total. TI se mit alors a réver qu'il était seul 4 posséder un pouvoir exceptionnel. Une faculté tout a fait remarquable : un artifice électronique ingénieux qui lui permettait par la seule pression sur un bouton de ralentir le temps. Donc, plus besoin de conditionnement physique préalable. Il suffisait d'appuyer sur ce bouton 4 portée de main, peut-étre méme fixé directement sur le corps, et tous les gestes autour de lui ralentissaient, pouvaient méme s‘arréter, le temps qui lui était nécessaire dagir sans étre géné. Il devenait enfin imbattable et, de surcroft, sa vitesse relative de réaction, plus assurance que lui conférait la certitude de ne pas pouvoir échouer, le nimbait d'une auréole quasiment magique qui renforgait sa supériorité. Il s'imaginait dés lors dans la cour de récréation, au centre d'un groupe hostile. Le plus costaud de tous s‘approchant de lui en remontant les manches pendant que la foule se délecte a l'avance de la correction qu'on va lui infliger. ...Vous lirez la suite de « Tout n’a qu’un temps » dans le prochain Moustique. 15