i ate Bis ee em ee * ee ae 8— Le Soleil de Colombie, vendredi 22 juin 1984 Edition Les auteurs sans droits I ly a un mythe qui veut que Var- tiste, avec un grand A, soit a |’abri des besoins du commun des mortels. Pour lui, il n’y aurait que les’ majuscu- les: Amour, la Gloire, la Souffrance, cette derniére étant considérée comme la plus précieuse, puisque source premiére de création. Beethoven n’était-il pas sourd, Modigliani fauché comme les blés, Balzac criblé de dettes? Heureusement, ces considérations quel- que peu sadiques commencent a s’estom- per. Et, aujourd’hui, on reconnait volon- tiers le droit pour les créateurs 4 un revenu décent. Mais de 1a a dire que c’est chose faite... Le droit d’auteur: quelques points de repére Un créateur posséde sur sa production _ artistique un droit d’auteur, c’est-a-dire le droit exclusif de reproduire son oeu- Jean Provencher: une expérience pertinente Jean Provencher a publié sept ouvrages chez quatre éditeurs différents. A bien des égards, son histoire pourrait servir d’exemple dans un manuel sur les écueils, les embiiches et les piéges qui guettent l’écrivain, une fois qu’il a déposé sa plume. Entre la faillite d’un éditeur, les mena- ces d’un second et les mésententes avec un.collaborateur, Provencher a passé des années a courir aprés la reconnaissance de ses droits. Frais émoulu du département d’histoire de lVuniversité Laval, Provencher est approché en 1968 par un groupe d’auteurs-éditeurs pour collaborer a la rédaction d’un livre d’histoire du Qué- bec. On lui confierait le tiers de la tache. Accepterait-il la somme de 500 $? vérifier le montant de la facture. Le pire dans ce type de contrat c’est l’absence de moyens de contréle de la part de l’écrivain. » Fatigué de se promener «comme un cru- cifié» et aprés plusieurs déboires de ce genre, il se décide 4 consulter un avo-_ cat. Résultat: un contrat qui ne laisse pas les droits aller 4 la dérive et qui établit des mécanismes de contréle 4 chaque étape de la vie économique du livre; il prévoit également des conventions avec jes collaborateurs et des facons de les faire respecter. «On n’est pas des signeux de papiers, commente l’historien. Moins tu signes mieux tu te porteras, disaient nos grands- méres. La thése de mon avocat, c’est inverse: tu évites la guerre quand les choses sont claires. ». Mieux armé et mieux protégé, Proven- cher n’est pas encore 4 |’abri de tout Sur le coup, tl aurait signén aperee quot. Un RUQESSEUT vre. Ce droit, qui a ses fondements dans des conventions internationales , est sanctionné par une loi canadienne admi- nistrée par Consommation et Corpora- tions Canada. Un auteur peut cependant céder ses droits. La loi stipule qu’il doit le faire par écrit, ce qui lui donne une meilleure protection, mais malheureusement ce n’est pas toujours le cas dans la prati- que. Le titulaire est donc le seul a pou- voir autoriser une autre personne a dif- fuser loeuvre, notamment par la publi- cation, la représentation, la traduction ou la radio-télécommunication. La loi impose par ailleurs certaines obli- gations aux. utilisateurs de l’oeuvre. Lorsque nous écoutons, par exemple, une chanson de Gilles Vigneault 4 Ja radio, nous sommes des milliers 4 pro- fiter du fruit de son travail. Mais le pre- mier utilisateur, c’est la station de radio elle-méme. C’est donc a elle que l’auteur-compositeur réclamera ses rede- vances, par l’intermédiaire de la CAPAC (Association des auteurs-compositeurs et éditeurs du Canada).Cette société se charge de percevoir, au nom des auteurs, les montants liés aux droits de reproduc- tion ou de diffusion des oeuvres, pour jes redistribuer ensuite 4 ses adhérents, dans ce cas des musiciens et des auteurs- compositeurs. Mais tous les créateurs de produits intel- lectuels ne possédent pas une telle asso- ciation pour administrer leurs droits. Pre- . nons le cas d’un jeune écrivain. Le coeur battant, il arrive chez un éditeur, son pre- mier manuscrit sous le bras. Aprés lec- ture, celui-ci accepte de le publier,en échange de quoi l’auteur devra lui céder la totalité de ses droits. Comme c’est Pusage, l’auteur retirera 10% des ven- tes au détail. Les mois passent; 1’écri- vain attend en vain des ee de son éditeur. «II m’a fallu me présenter une chaine & la main au bureau de mon premier, et seul, éditeur pour obtenir mon di», rela- tait le romancier André Mathieu dans un’ auto-portrait pour la revue Lettres Qué- bécoises (été 1982). Tous les auteurs lésés ne vont pas jusqu’a cette extrémité. Mais les différends entre auteurs et édi-_ teurs prennent parfois des perce étonnantes. ¢ sation massive de l’oeuvre, l’auteur et le titulaire des droits ne retireront stric- tement rien. Or, aux termes de la loi, cette reproduc- tion «clandestine», a l’instar des disques pirates enregistrés sans l’autorisation du créateur, constitue une violation du droit d’auteur et est passible de poursuites Aucun cas de ce genre n’a encore été porté a |’attention des cours de justice canadiennes; mais il semble bien que le pas décisif soit sur le point d’étre fran- chi dans le champ de 1’audio-visuel. A la recherche de modéles En pleine révolution technologique, V’heure est aux remises en question. Le développement de |’informatique et des banques de données, la prolifération des gadgets audio-visuels ainsi que la renta- bilisation croissante des industries cul- ~ turelles viennent bouleverser d’anciens concepts comme celui de la reproduction mécanique. De part et d’autre, on tente de s’adapter au changement: le gouver- nement fédéral songe a dépoussiérer sa vieille loi, pendant que le Québec com- mence a manifester un certain intérét pour ce champ culturel. Dans un cas comme dans |’autre, on peut dire que ce n’est pas trop tot. Mais pour guider leur action, de quoi s’inspireront les intendants de la politi- que et les concocteurs de réglements? On voit déja les francophiles se tourner avec admiration du cété de «la mére des arts — et des lettres». Mais l’exemple francais constitue-t-il vraiment un modéle? «Je ne pense pas que la France soit a Pavant-garde dans ce ‘domaine, répond Victor Nabhan. Il y a d’autres pays qui vont beaucoup plus loin. L’Allemagne - fédérale, par exemple, qui a institué une taxe a méme le prix de vente des casset- tes et autres instruments modernes de Vincite @négocier et il obtiendra 1% sur le total des ventes... Sur le coup, il aurait signé n’importe quoi. Mais un professeur lui parle du droit d’auteur et l’incite 4 négocier. Fina- lement, il obtiendra 1% sur le total des ventes. Ces timides pourparlers auront des effets substantiels. Etant donné le — tirage important des manuels scolaires, Provencher touchera en tout 25 000 $ _ pour sa contribution, au lieu du 500 $ initial. Réparti sur 15 ans, cela ne fait pas de mensualités extravagantes et, avec plus d’expérience, le jeune auteur aurait sans doute pu tirer davantage de ce contrat. Quelques années plus tard, Provencher arrive chez un éditeur important avec une biographie de René Lévesque. Onest en 1973; l’ouvrage arrive juste au bon moment. Au Québec, 30 000 exemplai- res seront vendus. Une maison de _ Toronto achéte les droits de traduction. La version anglaise sortira €galement en livre de poche. «Ont *appelle un matin, et on t’annonce: Bonne nouvelle, on vient de signer avec Toronto», dit Jean Provencher. L’auteur _ qui a cédé ses droits n’est pas partie a la signature de la transaction. Qu’il soit -d’accord ou non avec le fait que 1’édi- teur grossisse ses ventes avec The making of a separist, il n’aura pas son - mot a dire. Quant au nombre d’exem- plaires vendus, allez savoir! «Je n’irai tout de méme pas voir ’imprimeur pour — détournement de ses droits. Supposons que sa biographie de René Lévesque figure au programme d’un cours de sciences politiques a l’université et que, pour faciliter la tache a ses étudiants, le professeur remette 4 chacun, comme cela se fait couramment, un exemplaire du texte de l’auteur: 270 pages diment pho- tocopiées (ce que regoit en moyenne cha- : que Ctudiant par ‘ann€e). De cette utili- reproduction. L’argent ainsi récolté aboutit directement dans les caisses des sociétés de perception des droits d’au- teur. Pareille mesure n’existe pas en France. Cependant, on peut toujours s’inspirer de la France en ce qui:concerne le droit moral. Car il existe dans ce pays une longue tradition pro-culturelle de res- pect des auteurs et de valorisation de l’intellect.» Cette article a été tiré de larevue Justice Magazine». internationale». La médecine sans drapeau Plusieurs centaines de ‘médecins francais ont cons- tamment la trousse de secours sur l’épaule et le billet d’avion en poche pour se rendre sur les points chauds de la pla- néte. Ils sont regroupés dans trois organisations : Médecins sans frontiéres», «Médecins du monde» et «Aide médicale Toutes ces organisations sont d'origine francaise et fonctionnent de ~ maniére originale par rapport aux autres organismes médi- caux internationaux. Ce sont des «commandos» de méde- cins, jeunes pour la _plu- part, qui n/hésitent pas a braver les interdits gouver- nementaux et les frontiéres militaires. C'est d’ailleurs 4 cause de ces interdits qu’elle sont nées. En 1968, beaucoup de jeunes — médecins répondent a l’appel de la Croix rouge pour aller au Biafra (Nigéria). Décus par la Croix rouge qui se résignait 4 demander une autorisation au gouvernement nigérian pour chacune de ses interventions, ils fondent a leur retour en France le «Comité de lutte contre le génocide au Biaffra», qui donnera naissance en 1971 a «Médecins sans; frontiéres». Les commandos de «Méde- cins_ sans _ frontiéres», de «Médecins du Monde» et d’«Aide médicale internatio-. ~ nale», toutes deux fondées dans le sillage de leur ainée, sont formées d’uniquement de médecins (toute l’administra- tion centrale est assurée par les membres qui se relayent entre deux missions), et entendent pouvoir intervenir rapidement et selon leur juge- ment 14 o& on a besoin d’eux. — Malgré les deux concurren- tes, «Médecins sans frontiéres» _reste la plus grosse des trois. Elle a envoyé 3 000 médecins et infirmiére en mission de 1971 4 1983 et a été pré- sente sur la plupart des fronts : Vietnam, Cambodge, | Bengla Desh, Jordanie, Angola, Liban, Tchad ... Le principe de stricte neutralité. est absolu dans l'organisa- tion et la charte prévoit que le secret professionnel doit étre maintenu. Autrement dit, les médecins ne doivent pas par- ler de ce qu’ils ont vu. C'est _ autour de ce dernier point que «Médecins sans frontiéres» a éclaté en 1979 pour donné naissance notamment a «Aide médicale internationale» dont les membres pensent qu'il est important de témoigner dans certains cas.