CAHIER SPECIAL PUBLIE PAR L’APFHQ — 7 SASKATCHEWAN Les francophones de la Saskatchewan auront connu en 1988 une des périodes les plus mouvementées de leur histoire. Enl’espace de quelques mois ils auront remporté des victoires et subit des re- vers importants. JEAN-PIERRE PICARD ET MICHELE FORTIN Dans le jugement Wimmer, en fé- vrier, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan accordait 4 la minori- té francophone le droit de gérer ses écoles. Dix jours plus tard, dans la cause Mercure, la Cour supréme recon- naissait au francais le statut de langue officielle en Saskatchewan. A la lueur de ces jugements, tous les espoirs étaient permis. L’euphorie fut bréve. En avril, le gouvernement provincial adoptait la Loi 02 faisant de la Saskat- chewan une province unilingue an- glaise. Un mois plus tard, la plus célébre institution fransaskoise, le Col- lége Mathieu, était détruit par les flammes. Trouver un reméde au genocide linguistique! Mais 1’élément dominant de 88 fut la signature d’une entente cadre entre le Secrétariat d’Etat et la communauté fransaskoise par laquelle le fédéral s’engageait @ investir $17 millions pour le développement de la commu- nauté fransaskoise. Une autre entente, entre le fédéral et le gouvernement de la Saskatchewan cette fois, voyait prés de $60 millions consacrés a aider la province a prendre ses responsabilités envers sa minorité. Paradoxalement, |’adoption de la Loi C-72 sur les langues officielles, en septembre 88, aura presque passé ina- pergue en Saskatchewan. L’attention des dirigeants fransaskois et de la po- pulation francophone a surtout été re- tenue par ces fameuses ententes cadres. L’argent n’étant plus un obstacle, verrait-on finalement le gouvernement provincial donner une suite concréte au jugement Wimmer? La communauté saurait-elle se servir de cette "manne" pour se fortifier et répondre 4 ses be- soins ou au contraire l’app&t du gain sonnerait-il le glas de l’unité entre les associations? Mais surtout est-ce que ces ententes répondraient au besoin le plus urgent; trouver un reméde au gé- nocide linguistique en Saskatchewan? Cependant, le fait que la Loi C-72 ait regu l’appui des trois grandes for- mations politiques fédérales - malgré l’existence d’irréductibles Rednecks - témoigne de |’attitude et de la volonté politique qui existe face au bilin- guisme, du moins au niveau fédéral. Le débat entourant son adoption a per- mis aux Canadiens de faire un examen de conscience collectif face 4 cette question. Finalement une question se pose: des ententes telles celles signées avec le fédéral, sont-elles plus utiles qu’une loi fédérale pour certaines communau- tés francophones en péril. Autrement dit, des priviléges valent-ils mieux que des droits? Dans le quotidien des Fran- saskois, il est certain que les ententes pourraient apporter des changements plus importants dans leurs communau- tés que la loi fédérale. La Loi C-72 aura tout de méme contribué & faire prendre une place ac- crue au frangais dans la province. Suite 4 une plainte d’un citoyen, des mesures ont été prises pour s’assurer que des services seraient offerts dans les deux langues officielles lors des Jeux du Canada a Saskatoon. Suite a des pressions du bureau régional du Commissariat aux langues officielles, une coordonatrice bilingue a été em- bauchée par l’administration des jeux et on est a la recherche de 300 béné- voles bilingues. De plus, certains problémes que connaissent les Fransaskois avec cer- taines institutions fédérales pourraient se voir solutionnés. Par exemple, les francophones de Prince Albert reven- diquent depuis des années un service bilingue au bureau de poste de cette ville. Avec la nouvelle législation, il sera possible, si la demande est jugée suffisante, de voir & ce que ceux-ci soient offerts. La nouvelle loi prévoit un apport financier du Secrétariat d’Etat pour la bilinguisation. Ceci pourra avoir des répercussions dans diverses institu- tions a travers la-province. Par exemple, le nouvel hépital de Gravelbourg en construction pourra obtenir de |’aide pour la mise en place d’un affichage bilingue, tout comme cela a été fait 4 l’h6pital de St-Boni- face. La nouvelle loi sur les langues offi- cielles contribuera sfirement 4 faire avancer le dossier du bilinguisme, mais le facteur clé demeure toujours la vo- lonté de la majorité de vouloir faire une place plus grande a sa minorité. C’est pourquoi parallélement 4 la mise en oeuvre de la Loi C-72 il faudra voir a une campagne d’ information et de sen- sibilisation dans les média. Cette cam- pagne a déja été amorcée dans les journaux francophones minoritaires, mais il faudra s’assurer que les media anglophones soient également utilisés. EN ONTARIO — atins Japmoecet Suite aux premiers signes de recon- naissance «officielle» de la légitimité dela communauté franco-ontarienne et de son droit 4 s’épanouir, une lueur d’espoir naquit chez ses chefs de file qui, jusque-la, agonisaient devant le taux galopant d’assimilation manifeste partout dans la province. JEAN MONGENAIS Il a cependant fallu encore beau- coup, beaucoup de patience. Et c’est avec raison que l’on a longtemps qua- lifié d’étapisme et de «progrés a compte-gouttes» le développement de cette reconnaissance. Mais s’il est vrai que les lois lin- guistiques ne changent pas les attitudes du jour au lendemain, il ne faut quand méme pas en diminuer l’impact. En Ontario, en tout cas, chaque pro- grés législatif dans ce domaine a pro- duit plus qu’un simple nouveau service ou nouveau mécanisme d’épanouisse- ment culturel. Il a fait croitre chez le Franco-ontarien, la Franco-ontarienne, le sentiment de légitimité et, partant, ceux de fierté et de conviction. Et il a provoqué le début d’une lente mais inévitable modification de 1’ attitude de V’ensemble de la population, mis a part les quelques il6ts de bigots qui existent encore mais dont la parole et 1’action sont alors autrement mises en lumiére! Ce fut les effets de la premiére Loi canadienne sur les Langues officielles. L’application de cette loi a produit des premiers progrés tangibles. Mais aussi, dans sa foulée, suivirent des in- jections beaucoup plus importantes de fonds fédéraux pour étendre les ré- seaux frangais de radio et de télévision de Radio-Canada, pour inciter le gou- vernement provincial 4 développer les services éducatifs 4 sa minorité de lan- gue officielle et éventuellement aider 4 mettre sur pied un service de télévision éducative qui diffuse maintenant en frangais quelque quinze heures par jour, sept jours par semaine. Et sil’on ne peut pas imputer direc- tement & cette loi d’autres progrés qui ont suivi, on ne peut pas non plus nier sa part d’influence 4 les susciter. Et, plus récemment, ils sont importants. Un systéme complet d’écoles pri- maires et secondaires frangaises est maintenant reconnu, et graduellement, les francophones en obtiennent le contréle absolu. L’automne dernier le premier conseil scolaire de langue francaise de la province fut élu dans la région d’Ottawa. Le francais a été reconnu langue officielle dans le systéme juridique on- tarien. C’est d’ailleurs le seul systéme au pays qui exige que le juge lui-méme puisse comprendre la langue de 1’accu- sé! La Chaine francaise de TVOntario peut étre captée par cable presque par- tout dans la province et l’on acommen- cé a installer un réseau de tours de transmission pour qu’on puisse y avoir accés sans devoir étre abonné a un sys- téme de c4blodiffusion. Dés novembre prochain, les ser- vices de tous les ministéres du gouver- nement ontarien seront disponibles en francais 4 chacun des bureaux chefs 4 Toronto ainsi que dans tous les bureaux régionaux desservant une vingtaine de régions ot les francophones se trou- vent en nombres importants. Et, phé- noméme assez intéressant, de plus en plus, les fonctionnaires responsables semblent se faire un honneur de pou- voir offrir des services en francais, alors qu’il n’y a pas tellement long- temps, c’était fait 4 contre-coeur pour ne pas dire de facon carrément désa- gréable! Ce n’est pas dire qu’absolument tout tourne en rond. (Et il faut sourire lorsque, surtout aprés les récents évé- nements dans la Belle Province, quel- qu’un suggére que les anglophones du Québec ne sont pas aussi bien traités que les francophones de l’Ontario!) Certains gens continuent 4 poser des obstables au contréle direct des écoles de langue frangaise par les Sec- tions de langue frangaise des conseils scolaires qui en sont responsables par- tout dans la province sauf dans la ré- gion de la capitale nationale. L’accés a l’éducation postsecon- daire en frangais est assez limité, méme si deux universités et certains colléges bilingues offrent un bon nombre de cours ou de programmes en cette lan- gue, qu’il existe un collége frangais de technologie agricole et d’alimentation, et qu’on prévoit l’ouverture d’un col- lége entiérement de langue francaise dans |’est de la province d’ici quelques années. Le réseau de TVOntario n’est pas encore accessible sans le cable, sauf le dimanche, dans la majorité des régions de la province. Le nouveau défi, vivre en francais Et il y a encore beaucoup 4 faire dans le domaine des services munici- paux qui sont ceux qui touchent la po- pulation de plus prés. Mais dans l’ensemble, comme on peut leconstater, de nombreux services sont disponibles en frangais, et moyen- nantun effort d’ organisation, il est pos- sible en grande partie de «vivre en frangais.» Les nouveaux défis sont de pro- mouvoir |’utilisation de tous ces ser- vices (car des habitudes de longue date ne se changent pas d’un revers de la main) et de faire élire ou nommer plus de francophones aux divers orga- nismes décisionnels afin d’assurer que l’on continue & reconnaitre et que |’on réponde de plus en plus aux besoins des francophones. Larévision de la Loi sur les langues officielles du gouvernement fédéral aura aussi sans doute ses effets. En Ontario, elle n’aura peut-étre pas un impact aussi marquant que le passage de sa premiére version, mais elle coin- cide avec le début d’une nouvelle ére pour les francophones dans cette pro- vince. Sue La population de l'Ontario compte 484 265* francophones *Langue apprise et comprise 4