VOLUME 5, NUMERO 6 Nathalie Wulfert, une page d’histoire oubliée PAGE 9 | Robert Momer Maurice Paléologue, ambassadeur auprés de la Cour impériale de Rus- sie, dit d’elle, lorsqu’il la vit pour la premiére fois :« Un ravissement pour les yeux. Elle est tout charme et distinction. Ses yeux de velours rehaussent les traits purs de son vi- sage. Chacun de ses gestes sont empreints de dignité et de grace. Elle est née pour étre reine.» Nathalie Wulfert avait vu le jour a Perovo, le 22 juin 1880, ville cos- sue de la banlieue de Moscou. Eit- elle deviné que, devenue adoles- cente, la nymphe qu’elle était, se transformerait en un joli papillon marqué par le destin, elle n’etit pris son envol. Ambitieuse, assoiffée d’honneurs, |’Histoire 1|’attendait. Elle y entra et en paya le prix. Dans la vingtaine, alors qu’elle assistait a un concert, elle fit la connaissance d’un pianiste de talent, Sergei Ma- montov disciple de Rachmaninov et ami de Chaliapine. Aprés de cour- tes fiangailles, Nathalie épousa Ser- gei qui était un homme charmant mais rangé, préférant 1’intimité de son foyer et la compagnie de sa jeune femme au théatre Bolschoi, ou il se produisait souvent. Confi- née a la maison, pour tromper son ennui, Nathalie prit l’habitude de sortir seule, confiant la garde de sa fille Tata 4 une gouvernante. Au cours d’une sortie Nathalie ren- contra Wladimir Wulfert, officier de la garde de l’empereur Nicolas II : le Cuirassier Bleu. Wladimir n’était pas un total inconnu, pour elle. Tous deux s’étaient déja ren- contrés lorsqu’ils étaient enfants. Les retrouvailles furent joyeuses. Waldimir fit la cour a Nathalie qui vit en lui Vhomme idéal qui répon- drait 4 ses aspirations. Voulant en finir avec son mari, en revenant d’assister 4 une parade militaire, Nathalie lui annonga qu’elle le quittait et, sans plus attendre, de- manda le divorce. Le divorce prononcé, Nathalie se remaria peu apres. Wladimir, en raison de son grade - il était officier supérieur - était regu partout dans la société moscovite. Lors de bals ou de réceptions, la jeune femme, d’une incomparable beauté, attirait les regards de tous. On enviait le mari qui commit l’irréparable er- reur de présenter sa jeune épouse au Grand Duc Michel Alexandro- vich, frére du tsar Nicolas II. Ce fut le coup de foudre. Le Grand Duc tomba éperdument amoureux de Nathalie et lui fit, dés leur ren- contre, une cour éperdue. Nathalie céda aux avances du Grand Duc et se débarrassa de son second mari, devenu encombrant. La conduite des amants fit scandale. On traita Nathalie de « pécheresse et de cri- minelle » et le duc de « malade mental ». Se sentant persécutés, tous deux partirent pour I’Italie pour y abriter leur amour, et ensuite s’installérent 4 Cannes, le temps que passe l’orage. Bien qu’ils se fissent toujours discrets, 1’Opel grise dans laquelle prenaient place Michel et sa compagne, quand ils se déplacaient, attirait générale- ment une meute de journalistes dont les reportages parvenaient jus- qu’a Moscou. L’empereur, fou de rage, interdit au couple de rentrer en Russie. L’affaire ne s’arréta pas la. Le mari trompé provoqua son rival en duel auquel le Grand Duc ne donna suite, en raison de son rang. Pour le calmer, Wladimir se vit offrir 200 000 roubles en dédommagement, plus un poste important au sein du gouvernement. Les choses en resté- rent la. Remis de son chagrin, Wla- dimir eut la bonne fortune de ren- contrer une fort jolie femme qu’il épousa et lui donna trois enfants. Ironie du sort, l’>homme odieuse- ment trompé qu’il avait été connut, le reste de sa vie, une félicité que lui aurait envié, des années plus tard, celle qui l’avait abandonné, sur un coup de téte. En revenant d’une promenade sur la Céte d’Azur, Nathalie annonga a son amant qu’elle était enceinte. Le Grand Duc, qui avait promis a son frére de ne pas épouser sa mai- tresse, revint sur sa parole. Rentré secrétement en Russie, le couple, au cours d’une cérémonie intime, devint mari et femme. Par la suite, afin de ne pas provoquer la colére de l’impératrice Alexandra, femme autoritaire, irascible, superstitieuse et étroite d’esprit, Nathalie et son mari décidérent de se fixer en An- gleterre ot ils furent bien accueillis, malgré les réserves de la famille royale, qui voyait d’un mauvais ceil un Romanov s’installer dans le pays. Fortuné, le Grand duc acheta un immense domaine a Knebworth, dans le Hertfordshire. Nathalie, de- venue Natasha, vécut, le temps qu’elle séjourna a Knebworth, un conte de fée qui prit brusquement fin le 1% aoat 1914 : l’Allemagne venait de déclarer la guerre a la Russie, suite a l’assassinat de l’ar- chiduc Frangois-Joseph, a Sarajevo. Dés qu'il apprit la nouvelle le Grand Duc revint en Russie, ac- compagné de Natasha, de Georges - enfant né de leur union - et de Tata. La famille s’établit 4 St. Peters- bourg, le temps que le Michel, qui avait fait carriére dans l’armée, re- coive son affectation. Le Grand Duc, rentré dans les bonnes graces de la Cour, fut nommé major géné- ral et prit le commandement d’un régiment d’élite. L’armée russe, A suivre p. 8