Le Moustique Edition No 7 Mai 1998

Ne me dites pas que vous n 'étes pas au courant de l'existence du Monarque; vous n'ignorez pas qu'il s'agit
d'un papillon nord américain dont les migrations en masse, entre le Canada et le Mexique font le bonheur des
riverains et des biologistes, ainsi que l'émerveillement des enfants. Leur passage a Pointe Pelée, sur la rive Nord
du lac Erié, est un véritable enchantement. Les chénes sauvages s'y couvrent d'une parure frémissante; le ciel
brasille, comme constellé d'innombrables flocons d'une neige dorée. La vie éclate en mille fragments colorés.
Triomphale, elle exulte, subjuguant la forét; arrogant exubérance d'un printemps animal.

Pas tellement loin de 1a, sur l'ile Manitoulin, en bordure de la Baie Géorgienne, nous nous amusions, mes
enfants et moi, a les voir se métamorphoser de chenille replétes et voraces en graciles créatures voletantes. Et
voraces, ces grosses chenilles rubanées, elles le sont sans doute aucun ! Elles se nourrissent d'une plante soyeuse,
assez charnue, a petites fleurs cireuses rosatres en cymes ombelliformes qui répond au nom assez peu romantique
d'Asclépias. Les anglophones I'appellent «Mi/kweed», nom vernaculaire que l'on traduit localement par laiteron
ou herbe a lait. En effet, blessés, cette plante saigne un latex blanchatre, au goiit caustique et brilant, considéré
comme poison pour le bétail et les humains. De méme que pour les oiseaux ! Ce poison qui n'affecte pas les
chenilles, se transmet au papillon et, l'un comme l'autre, a leur tour vénéneux, sont épargnés par les oiseaux qui,
a leurs dépens, ont appris a s'en méfier. Sans prédateur, le "Monarque" peut donc se multiplier en quantité et,
littéralement, submerger la nature. Cette protection est a ce point efficace que certaines espéces de papillons,
totalement etrangeres au monarque, n'hésitent pas a adopter leur apparence et leur couleur pour se protéger de
leurs mémes ennemis. Les savants appellent mimétisme ce camouflage dissuasif d'une rare efficacité.

J'ai souvent rencontré ce type de mimétisme spectaculaire a l'occasion de promenades avec ma fille et de
chasses aux insectes dans les savanes des hauts plateaux, partagés par le Zaire (Congo) et la Zambie. Un véritable
paradis des papillons, principalement des Charaxés dont on ne cesse, encore a présent, de découvrir de nouvelles
variétés, le plus souvent d'un beau bleu cobalt sombre. Mais je ne me souviens pas avoir croisé de plantes
s'apparentant aux Asc/épias et qui auraient servi de nourriture aux chenilles de n'importe lequel de ces papillons.
Il est vrai qu'aucun membre de l'importante famille des Asclépiadacées, comptant pres de 350 genres, n'est
représenté dans le sud du continent africain.

Par contre dans le Sahel, au Nord de L'A frique noire, régions semi-désertiques ot les papillons sont rares,
pousse en abondance un arbuste a écorce épaisse, liégeuse, portant des fleurs presque identiques a /'Asclépias. En
fait, les fleurs sont verdatres a violacées. Mais leur aspect de bouton archaique, conféré par une "corona" formée
de cing pétales retournées, supportant un sceptre central, est si caractéristique que le doute n'est pas permis. Cet
arbuste d'ailleurs, si on l'écorche, laisse s'écouler un suc abondant, acre et laiteux, utilisé comme poison a fléches
par les indigénes. On le trouve sur les iles du Cap Vert et du Sénégal jusqu'en Ethiopie. II est décrit également en
Arabie, jusqu'au Pakistan et l'Inde. Le nom francais qui lui a été donné est celui d'arbre a soie du Sénégal" II est
vrai que, riche en fibres, il connait beaucoup d'utilisation en Afrique, de la méme maniére que certains Indiens
d'Amérique du Nord qui extraient les fibres de /'Asclépias et s'en servent comme bourre pour leurs coussins et
matelas.

Cet arbre se nomme aussi pommier de Sodome, car il est affublé de grands fruits verts 4 pulpe épaisse et
spongieuse d'apparence suggestive. Son nom scientifique, " Calotropis procera" (calatrope: qui recherche la
chaleur), espéce appartenant a la famille des Asclépiadacées, a également servi 4 nommer une substance
extrémement toxique pour le cceur, la calotropine, qui, avec la calactine et la calotoxine, compose le latex.

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