rm Novembre 1967 leur langue déguisent leur religion; il est moins évident qwils sont catholiques. Prenez par exemple le cas du Lt-Cdr. Hindle lorsqu’il est venu se joindre A une division navale dont je faisais déji partie. Le Commandant 1’ac- cueillit trés chaleureusement ave centhousiasme méme, mais lui demanda: “By the way, are you Anglican or United Church?” A sa grande sur- prise il s’est fait répondre qu’il avait affaire a un “papiste” et l’entrevue initiale a été coupée plutét rapidement, 4 ’amusement de mon ami qui m’a raconté cette petite aventure. C’est cette dualité qui nous permet rare- ment d’étre “one of the boys” avee nos com- patriotes anglais. On pourrait toujours s’arran- ger si on était francais et protestants ou anglais et catholiques, mais les deux! .. . Ca semble as- sez difficile de prétendre que nous sommes tous des “canadiens’’ tout court, sans préju- gés d’un bord ou de l’autre et de vivre ensem- ble en “jouant dans la méme cour.’’ Les Irlandais se font poser trés peu de questions sur la religion, car ce n’est pas écrit sur leur visage ni dans leur langage comme nous qui ne pouvons nous dissocier de cet as- pect de notre personnalité frangaise. Bien des orangistes (j’en connais) sont d’emblée contre le fait francais, simplement parce que e’est pris pour acquis que frangais et catho- lique vont toujours de pair. C’est pourquoi il nous est si naturel lorsqu’on parle de “fran- eais” d’inclure dans nos arguments le cé6té ca- tholique dont les francais sont automatique- ment colorés par l’élément anglais. Si tel est Vesprit du “cher ennemi’’, telle est notre atti- tude tout naturellement, par suggestion, car ce sont des questions jumelles sinon siamoises dans notre “probléme.” Bien entendu, nous avons nos torts et nos faiblesses nous aussi et ce ne serait pas éclairé ni large d’esprit si nous ne montrions qu’un cé6té de la médaille, si nous nous mettions une auréole sur la téte et des cornes sur celle des anglais. Vous excuserez done les occasions ou la vérité exige que j’admette et cite méme nos défaillances. La décence l’exige. Que de fois ai-je ressassé ces questions, sur bien des angles, méme en me mettant “dans la peau de l’autre’’ pour mieux comprendre ses sentiments et prétentions, son arrogance et sa sollicitude. Imaginez-vous par exemple qu’a bord du croiseur “Ontario” nous étions 65 mem- bres dans le carré des officiers avec cette pro- portion de 64 anglais et un seul frangais. J’é- tais bien apprécié par mes amis anglais du bord et nous nous accordions a la perfection. Pour eux j’étais le poivre et le sel dans la sou- pe, celuj qu’au cours des réceptions en pays étrangers on montrait du doigt en disant aux nationaux: “Nos canadiens-frangais, voila com- ment ils sont.’’? CA me donnait une grande fier- té certes, mais beaucoup de responsabilités aus- si, car aprés tout, 4 moi seul j’étais six millions de canadiens contre mes 64 copains qui se par- tageaient les autres douze millions du pays. Oh oui, c’était bien romantique, mais lugubre parfois car on devient harassé d’étre toujours un oiseau & part ou comme |’animal étrange du L?APPEL ee page 9 700, qui éveille la curiosité et une certaine ad- miration, mais qui n’est jamais “un de la gang”’ au sens complet de 1’expression. Je me souviendrai toujours de cette soirée magnifique en mer, alors que notre énorme masse de fer grise filait 4 belle allure vers VArgentine, aprés avoir quitté le détroit Ma- gellan, la terre des Pingouins, et les iles Folk- land dans l’Atlantique sud. L’océan était calme comme un lac, le ciel brillait de millions d’é- toiles avec la “croix du sud’’ prédominante dans le firmament, semblant inviter 4 la réve- rie, & la méditation. Comme tous les soirs en mer, nous étions en tenue tropicale du soir pour le diner, avions dé- gusté le cocktail quotidien (3 sous chacun) fait honneur au filet mignon arrosé d’une petite bouteille de chianti (50 sous), suivi d’un pous- se-eafé (cognac pour moi) au cours duquel nous circulions dans le carré des officiers pour jaser de mille et une choses, avant d’attaquer une partie de poker ou de bridge, ou voir un film sur le pont-arriére. Ce soir-la encore, com- me souvent d’ailleurs, la discussion tourna sur Québec, Duplessis, etc., sujets qui m’emmer- daient car j’en avais jusqu’au cou de ces dis- cussions éternelles et qui semblaient mener & rien. Je me suis done évadé sur le pont-arriére qui était désert 4 ce moment, pour aller me ré- fugier juste au bord de la poupe d’ot j’avais une vue directe, 4 quelques pieds seulement, du flots tumultueux qui surgissait de la propulsion de quatre hélices puissantes. Je me sentais bien seul ce soir-la; seul physiquement au beau milieu d’un océan et des milliers de pieds d’eau sous moi; seul sentimentalement, avec ma jolie femme A quelque 5,000 milles de distance; seul socialement aussi, car quoique j’entendais le bruit des verres qu’on trinquait dans le carré, je me trouvais tellement différent d’eux ce soir-la; de culture, de sens de humour, de ma- niéres, de pensées, de sujets de conversations ete.; je me sentais étranger 4 ces coutumes britanniques, a ces officiers, bons copains, mais qui me semblaient appartenir 4 un monde différent du mien. I] m’était tellement curieux que le sort m’ait placé, moi un petit gars de Québec, au bout du monde, loin du lieu de ma jeunesse, avec un lot “d’étrangers”, avec qui j’avais si peu en commun ... ce soir-la. O’est en des circonstances comme celles-ci qu’on pé- se bien 4 fond les vicissitudes de notre asso- ciation canadienne, du “mariage’’ de nos deux cultures, et qu’on ne peut combattre la sensa- tion d’étre un canadien errant, loin de son foyer, loin des siens, parcourant des pays é- trangers. Ca m’a fait chaud au coeur lorsque, replié sur moi-méme, “assis au bord de leau’’, je sentis soudainement une main se poser sur mon épaule et décou'vris le visage souriant et sympa- thique du Commandant en second (maintenant \’Amiral M. G. Stirling) qui me demanda gen- timent: “Feeling lonesome, Gaston?” Heureu- sement la pénombre l’empécha, je crois, de remarquer |’humidité de mes yeux qui trahis- sait les sentiments ... d’un canadien errant! (a suivre)