L'habit ne fait pas le moine. Une nouvelle humoristique de Marie-Elizabeth Taggart Illustrations de Jean-Paul Vinay 1 était une fois une dame qui vivait a Montréal, une ville du Canada, et qui recut un jour un appel téléphonique qui lui causa immédiatement beau- coup d'anxiété. L'hdépital régional de Scuol, en Suisse, l'appelait pour lui dire que son mari venait d'avoir une crise cardiaque et qu'il était aux soins intensifs. Son mari, un linguiste réputé, était en année sabbatique dans ce petit village pour apprendre le romanche, quatrieme langue officielle de la Suisse. I] aimait bien cette langue, la culture des gens qui la parlaient encore, et avait prévu d'éditer un dictionnaire francais romanche pendant son année de congé universitaire. A la suite de cette nouvelle, cette dame prit immédiatement l'avion pour la Suisse. Ayant atterri a Zurich, elle savait qu'elle devait prendre plusieurs trains pour arriver a Scuol. Sur le quai de cette gare, dix trains ronronnaient, préts a _partir, et elle ne savait pas comment identifier celui qu'il fallait prendre en premier, les affiches de départs et d'arrivées étant toutes écrites en allemand. Elle arréta un chef de gare, galonné et enrubanné comme un arbre de Noél, et lui demanda le plus poliment possible lequel des trains il fallait prendre pour se rendre a Scuol. Elle le lui demanda en frangais, puis en anglais, ne sachant pas l'allemand. Le chef de gare ne lu répondait que par la méme phrase scandée sur un mode crescendo, a savoir: "Sprechen Sie Deutsch!" La dame essaya tant bien que mal de faire comprendre a ce fonctionnaire qu'elle ne parlait pas allemand. En désespoir de cause, elle répétait sa question quant au train pour Scuol en frangais, en anglais, en espagnol et méme en 1 ere partie italien. Mais le chef de gare, comme un disque rayé, lui ordonnait toujours de parler en allemand. A ce moment-la, un homme maigre s'approcha du couple. Il portait un vieil imperméable sale d'ou plusieurs bouteilles montraient leurs bouchons par les poches. Cet homme, dans un fran¢ais impeccable, s'adressa a la dame en ces termes: "Permettez-moi, madame, je peux vous indiquer les trains a prendre pour arriver a Scuol. Je connais parfaitement cette destination parce que je passe ma vie dans les gares et dans les trains." La dame, soulagée d'entendre sa langue maternelle, souligna qu'elle savait qu'il fallait prendre trois trains pour se rendre a Scuol, mais par lequel fallait-il commencer Seigneur! L'homme-maigre lui donna le bras et lui dit: "Pour cinq francs suisses, je serais votre guide. Suivez-moi..." Tout en pensant qu'il était un peu dangereux de suivre un étranger, elle pensa que la situation de santé de son mari l'obligeait a prendre des risques. Elle se dit aussi avec un peu d'humour: "A mon age je ne suis plus de la premiére fraicheur et avec toute cette foule je pourrais toujours lancer un contre ut de détresse si cela devenait nécessaire." Elle donna donc cinq francs suisses, l'équiva- lent de cinq dollars ca- nadiens, a l'homme- maigre-au-vieil-imper- méable et le suivit vers le troisieme parmi les dix trains ronronnants. Le train s'ébranla_ et