Livres = Le nouveau roman de Marguerite Duras La chambre obscure de I'ecriture Aprés L’amant de la Chine Du Nord (1991), Marguerite Duras aborde la douleur de la mémoire de I’holocauste juif au travers de deux histoires d’amour. Avec Yann Andréa Steiner, i/ est aussi question des limites d’une écriture bloquée par la souffrance. Marguerite Duras exualité, amour et mort. S Marguerite Duras manie, ~F une nouvelle fois, dans son dernier roman, ces thémes porteurs de son oeuvre. Sexualité profondément liée a la vérité de l’échange fondamental qui existe dés la naissance entre l’homme et la femme. Amour et mort, comme deux échos et deux réponses a l’écriture durassienne, “puisque Von écrit toujours sur la fin du monde et sur lamort del’amour”. Son oeuvre reste donc celle de l’essentiel, de cette rupture unique qui porte les étres au-dela d’eux- mémes. Cette renaissance ne s’accomplira que par la souffrance. La douleur devient Vimpossible 4 dire. Elle est la mémoire inaltérable de ce que fut et de ce qui restera toujours, le meurtre sans appel qu’est le crime nazi. A partirde la, de ce silence, de ce sang, nait le dernier roman de Marguerite Duras, Yann Andréa Steiner, histoire d’un amour a la trame narrative fragmentée mais toujours lige a une mémoire unique. Marguerite Duras situe d’emblée le récit: “C’était en - V’été 80. Il y a douze ans”, Cette époque la est essentielle. En effet, la briéveté et la violence de cet été poussent les protagonistes du roman a leurs extrémes. Seule Theodora Kats se situe hors du temps. Elle représente ce temps premier de |’écriture inachevée, ce roman que Duras avoue ne pas avoir pu écrire. Theodora Kats marque le silence dans le roman, Yann Andréa Steiner elle en est le ¢ question- iter in=e n= { incessant. Elle se crée au travers d’une présence fantasmatique sur le quai d’une_ gare, dans l’attente insoutenable des enfants juifs et des trains des dé- portés. Appari- tion de cette femme, de sa présence ja- mais atteinte si ce n’est dans le souvenir de ses robes dont la blancheur "< S’oppose a la mutilationdesa vie. Le. souvenir de cette blan- cheursera repris comme untempo par l’auteur. C’est par l’inter- médiaire de cette femme énigma- tique que Yann Andréa Steiner désire rencontrer Marguerite Duras. Car Theodora Kats symbolise le pourquoi, fondement de toute écriture, ainsi que la peur de la destruction de cette écriture méme. C’est par cette peur que Yann Andréa Steiner rejoint Marguerite Duras dans ce qu’elle nomme “la chambre obscure de l’écriture, du récit, de la déportation et de l’amour”. Un récit dans le récit A partir de cette rencontre, Marguerite Duras change de théme pour s’intéresser 4 celui des enfants des colonies. Eux- aussi, comme Steiner, sont avides de récit et d’écriture. Ils tueront, au sens symbolique, celle qui ne leur racontera pas la fin d’une histoire. Car toute interruption dans un récit constitue pour eux une trahison: “Alors, tu vas raconter oui ou non ton histoire, sinon on te tue”. De ce récit dans le récit nait un second dédoublement: l’histoire d’amourentre unenfant, David, et la jeune monitrice, Jeanne Goldberg. Une histoire que partagent Yann Andrea Steiner et Marguerite Duras dans la chambre noire. L’enfant a la méme exigence, le méme désirque Yann Andréa Steiner. Son innocence initiale se double d’une com- préhensioninstinctive de l’amour, d’une envie similaire de mourir, de disparaitre dans la mer. La jeune fille, comme Marguerite Duras, est |’initiatrice, celle qui raconte, la mémoire permanente. Elle répond au cride la souffrance du meurtre juif. Leuramourestun amour qui attend la mort: “J/ S’agissait d’un amour qui atten- dait la mort sans la provoquer, infiniment plus violent que s’il Veut fait a travers le désir”. L’amour est le risque de mort permanent, symboliquement représenté par la _ mer, omniprésente dans le récit. L’enfant marche vers elle et il a peurpour la jeune fille lorsqu’elle s*y~bargne, -La~-mer=incarne l’ensevelissement, Vengloutissement, le retour a la mére initiale (“Blanche du lait d’une mére baleine blessée aux mamelles”) et préfigure la purification et le départ. Cette histoire d’amour se cl6t symboli- quement sur une descente au ventre initial et 4 la source. Marguerite Duras, elle, reste enfermée dans cette chambre noire du mystére et de la révélation parl’écriture, al’ image de la piéce obscure de développement photographique. C’est la fin du. récit, l’espace blanc de la douleur dans lequel il nous faudra un jour lire, nous aussi. Et rentrer, a nouveau, dans la douleur perma- nente de l’holocauste juif. Isabelle Madeleine Yann Andréa Steiner, de Marguerite Duras. Ed. P.O.L. 138 Pages. De lap au pinceau Liauteure Pernelle Sévy, de Port Alberni dans I'fle de Vancouver, a troquésa plume d'écrivaine pour les pinceaux de maitre peintre. Ses oeuvres sont exposés au 3061, 8éme avenue a Port Alberni. Lartiste d'origine francaise expose ses créations les plus récentes en plus de quelques autres qui constitutent, en quelquesorte, une rétrospective deson oeuvre. Une trentaine de piéces et deux tapisseries remplissent la salle d'exposition. Pour information, 724-3412. lume Suggestions Ces livres sont disponibles chez Manhattan Books, rue Robson | REFERENCE t Le Petit Larousse illustré 1993 Signe infaillible de l’arrivée de l’automne, la nouvelle €diton du Petit (présde5 kilos et 2000 pages!) Larousse s’enrichit de toutes les informations indispensables pour comprendre le monde: mots nouveaux, personnalités et év€nements qui ont marqué notre actualité, cartographie entiérement mise a jour. La seule partie diminuée est celle des pages roses...signe des temps? Editions Larousse. 54,95$. HISTOIRE E Histoire des femmes en Occident: le XXéme siécle, sous la direction de Francoise Thébaud Incontestablement, la viedes femmes a changé et l’égalité sexuelle a progressé au XXéme siécle, sous la pression bien sir des féministes, grace aussi aux progrés techniques, a la maitrise féminine de la féconditéeta une plus grande participation des femmes a la vie sociale - mais non sans résistance etdéplacementdes discriminations. Avec ce cinquiéme et dernier tome de ce travail monumental de Georges Duby et Michelle Perrot, I’histoire tend ici la Main aux autres Sciences -humaines, sans épuiser le champ du possible, ni parler de fagon univoque. Du moins espére-t-on montrer la valeur scientifique d’une approche sexuée de l’histoire et inviter a la réflexion sur les enjeux de notre temps. Plon. 78,50$. Coffret 5 tomes 357,95 | POLARS } Lavoix,de Matsumo Seicho Crimes parfaits, petits meurtres Sans importance dans le Japon de tous les jours: faits divers nourris de petits | malheurs quotidiens, de jalousies mesquines ou de peurs imaginaires qui finissent par devenir réalité. Employés __ ordinaires, fonctionnaires veules, maitres-chanteurs, amoureux dégus ou représentants de | commerce sont les héros banals - victimes ou criminels -deces récits. Matsumoto nous entraine méticuleusementdans le sillage de ces assassins de tous les jours de la société japonaise, dans des trains, dans les rues de Tokyo ou de petites villes de province traditionnelles. Aprés Tokyo Express et Le vase de sable, un choix des meilleurs récits policiers du “Simenon japonais”. Philippe Picquier. 26,95$ Mortellecérémonie,de James Melville Survenu au beau milieu du décorum sourcilleux d’une cérémonie du thé, le meurtre du Grand Maitre bouleverse le rituel de cette tradition séculaire. Chargé de la délicate enquéte sur cette mort sacrilége, lecommissaire Otani découvre, derriére les paravents de la plus grande politesse, un étrange ballet - trés japonais - ou, sur fond de frasques amoureuses et de chantage politique, certains nostalgiques du passé ne reculent devant rien, pas méme le meurtre, pour préserver une apparence de respectabilit€é. Un Suspense ov |”humour, luxure et modernité se conjuguent pour décaperl’image “lisse” et policée d’un Japon enfermé dans ses traditions. Ecrite par un ancien diplomate britannique, la troisiémed’ une série d’enquétes inédites du commissaire Otani. Elles constituent une introduction irremplagable 4 |’intimité du Japon contemporain. Philippe Ricquier. 26,95$ L’homme a la fenétre, de Mattotti & Ambrosi Qualifié de “roman dessiné” et de “roman graphique” (traduction textuelle de anglais “graphic novel” par opposition 4 “comics”, qui ne fait pas sérieux), ce livre est tout simplement une B.D. Seul 4 sa fenétre, un homme voit Sa ville et sa vie se transformer sous seS yeux. Ramassant les bribes de l’une, les souvenirs de |’autre, il va les assembler dans ses sculptures pour prendre un nouveau départ. Une histoire d’amour, un voyage initiatique etune plongée dans la création. Albin Michel. 31,55$ Marc Fournier Le Soleil de Colombie Vendredi 7 aoit. 1992