Le Moustique Volume 5 - Coeur » me regardait. Il ne me comprenait strement pas, mais j’avais du plaisir a retrouver dans ses yeux une chaleur que je voulais croire humaine. - Tu veux que je te dise pourquoi j’ai décroché, lui ai-je demandé, une autre fois. Pourquoi j’ai abandonné une carriére qui, m’assurait mon pére, s’avérait brillante ? Mon pauvre pére ! Il n’a jamais rien compris a l’éternel insatisfait qu’étais son fils. La fortune, les bonnes relations, voila ce qu’il ambitionnait pour moi. Et j’ai tout laissé tomber. Par fatigue, par ennui. J’ai éte dégueulasse, faut bien le dire. Je suis parti sans un mot d’adieu. Mon pére, veuf et déja vieux, est resté tout seul. Je ne lui ai jamais écrit. Parce que j’avais tout de méme un peu honte, et peut-étre aussi parce que je ne voulais pas qu’on attente a ma liberté. Tu comprends ¢a, « Va-de-bon-coeur »? Je ne recevais naturellement aucune réponse, sauf que mon raton se mettait parfois sur ses pattes de derriére et dansait devant moi comme pour chasser les idées noires. Naturellement aussi, j’éclatais de rire avant de lui donner le bout de fromage quill avait lorgné tout au long de mon discours. L’été est venu et « Va-de-bon-coeur » somnolait. Moi, je regardais la ville se transformer sous un soleil qui chassait les nuages comme autant d’intrus. Tout a coup, « Va-de-bon-coeur » 4 ouvert un ceil. Ila agité sa frimousse de bandit pour mieux humer l’air avant de disparaitre derriére un bout de bois flotté ot l’attendait — je m’en suis vite rendu compte - un petit raton femelle. Je ne l’ai pas revu depuis. J’en ai du chagrin, et méme beaucoup. Mais pour me consoler, je me répete, chaque matin, alors 7° édition ISSN 1496-8304 Juillet 2002 que la ville se débarrasse de ses voiles de brume et que la mer se pique de diamants que peut-étre, que sdrement, « Va-de-bon- coeur » et famille seront a Spanish Bank, été prochain, pour voir de nouveau le jour se lever sur Vancouver. FIN Marguerite A. Primeau est née au nord- ouest d'Edmonton dans un village que l'on appelait autrefois Saint-Paul des Métis. C'est la qu'elle a passé sa jeunesse, c'est la qu'elle a fait ses débuts comme institutrice, et comme Gabrielle Roy, elle a fait bon usage de ce pays, de sa jeunesse. Plus tard, on la retrouve a l'Université de Alberta, ot elle fait des études supérieu- res de littérature frangaise qu'elle continue a Paris. Enfin, elle est revenue a |'Univer- sité de l'Alberta ot l'occasion lui est don- née de suivre un cours de « creation littéraire » sous la direction du professeur F.M. Salter qui a été le « précepteur » de plus d'un romancier anglophone, notamment W.O Mitchell et Rudy Wiebe. Elle appartient donc au cercle assez distingué des écrivains albertains qui, si régionalistes qu'ils puissent étre, ont revétu leurs horizons déja assez larges d'une signification universelle. E.D. Blodgett Université de |'Alberta Marguerite A. Primeau a déja publieé : Ol’ Man, OF Dog et l'enfant et autres nouvelles. Les Editions du Blé, 1995. Le Totem. Les Editions des Plaines, 1988. Sauvage-sauvageon. Les Editions des Plaines, 1984. Prix Champlain 1985. Maurice Dufault, sous-directeur. Les Editions des Plaines, 1983. 5