Sous les feux de la rampe a 24 ans L’air encore tout étonné des louanges dont il est l’ objet, Xavier Beauvois, le jeune réalisateur fran- gais de Nord, n’en revient pas lui- méme d’étre présent 4 Vancouver pour présenter son premier film. Car le réve n’en finit pas pour ce jeune homme de 24 ans qui sem- ble, en apparence, sortir 4 peine de Vadolescence. Scénariste, acteur, réalisa- teur 4 un Age ot la plupart des jeunes intéressés par une carriére dans le cinéma arrivent difficile- ment a mettre un pied dans cette profession trés fermée, Xavier Beauvois s’est déja vu décerner le Grand prix spécial du jury et le Grand prix de la critique interna- tionale au Festival de Montréal en 1991, ainsi que le prix du meilleur scénario au Festival de Namur, en Belgique. Un début en fanfare pour celui qui a appris ce métier sur le tas, en travaillant comme assistant auprés des metteurs en scéne Manuel Xavier Beauvois: acteur, scénariste et metteur en scéne 4 24 ans. de Oliveira et André Téchiné. Fort de son expérience et de ses références cinématographiques, Xavier Beauvois puise aussi son inspiration d’un sujet qu’il «con- nait personnellement», un drame familial engendré par l’alcoolisme. L’action se déroule dans une ville du nord de la France, 1a ot Xavier a grandi: «ce film comporte certai- nement une part autobiographique» reconnait-t-il. Nord, un film noir, noir, noir est cependant une oeuvre trés pudique, ot la violence est toujours suggérée, jamais vraiment montrée. Les disputes entre les per- sonnages se déroulenta travers une porte fermée, «un peu comme dans Ninotchka de Lubitsch» précise Xavier. Et le jeune réalisateur n’a pas voulu sacrifier au rite du happy end dans ce film a la fin dramatique: «les gens ne comprennent pas qu'un ‘film se termine mal, mais j'ai voulu faire une tragédie et il est normal que cela se termine mal» explique Xavier. Et Nord est effectivement une véritable tragédie, dont on sort littéralement «sonné». Si le film a été terminé fin aoit, -iln’est d’ailleurs pas encore sorti en France - l’aventure avait déja commencée bien avant. Il y a trois ans, Xavier envoie son scéna- rio 4 la Commission d’avance sur recettes, un organisme chargé de sélectionner deux ou trois scéna- rios parmi plusieurs centaines qui lui sont envoyés chaque année. Et la Commission retient celui de Xavier, avec ala clef une promesse d’avance sur recettes, d’un mon- tant de 500 000 $. «Du jour au lendemain, on devient quelqu’ un que l’ onregarde avec une certaine considération, alors que les mémes personnes me voyaient comme un moins que rien la veille» se sou- vient Xavier, amusé. Méme auréo- lé de ce prestige, il restait la diffi- culté principale: trouver un pro- ducteur. Et quelle ne fut pas la Surprise de certains de voir entrer dans leur bureau un jeune scénariste de...21 ans. Ce vérita- ble parcours du combattant aura duré plus de 2 ans, avant que le tournage du film puisse enfin dé- buter. Une belle histoire finale- ment, certes semée d’embiches, mais qui démontre avec brio que le talent et1’obstination sont toujours récompensés, méme pour un jeune issu d’une famille de parents ensei- gnants dans une petite ville de 10000 habitants et que rien ne prédesti- nait au départ pour entrer dans le monde du cinéma, par la grande porte. Renaud Hartzer Apres le Festival, le desert Rencontre avec la critique de cinéma Francoise Maupin , chargée de la sélection - Le Soleil de Colombie: Com- ment procéde-t-on pour sélection- ner des films pour un Festival comme celui-ci? - Francoise Maupin: C’est assez délicat. J’ai voulu une programma- tion écclectique, et évidemment tout le monde n’aimera pas tous les films. Un panachage de grosses productions, comme Uranus ou Docteur Petiot, et des films plus difficiles comme J’ entends plus la guitare. Ce ne serait pas dréle que d’amener uniquement des grosses machines! - Quel jugement portez-vous sur le cinéma francais d’aujourd’ hui? - C’est certainement |’ un des ciné- mas les plus vivants, les plus variés du monde. Comment voulez-vous comparer Luc Besson a Eric Roh- mer par exemple? Il y a aussi de trés mauvais films car la produc- tion n’ est pas assez resserrée, mais le cinéma francais est bien meilleur que celui de ses voisins en Europe. - I n’existe pourtant pas en France des films francais au Festival. de Festival du type de celui de Vancouver, généraliste et ouvert au public? - Ici les gens s’en mettent plein la . panse pendant quelques jours, car en-dehors du Festival, c’est le dé- sert, mis a part les productions américaines. A Paris, ot il passe 400 films par semaine, on aurait pas besoin d’un Festival comme celui-ci. Je verrais plutét des villes comme Marseille ou Lyon pour _accueillir un Festival comme celui de Vancouver. Le Festival de Cannes, lui, aune autre fonction: il est fait pour la profession, avec 12000 a 15000 personnes qui débarquent sur la Croisette pour quelques jours. - Votre métier consiste avant tout a écrire des critiques. Existe-t-il une «méthode» pour écrire une critique de film? - Il n’y a pas de recette. Dans un bon film, en général, tout est réus- si: c’est une mayonnaise qui prend. Eee cinéma est. un art référentiel.Ccritiquer un film, c’est donc d’abord un journalisme de culture. Il faut bien sir posséder des références cinématographiques, mais aussi dans d’autres domaines, de fagon 4 pouvoir rattacher les éléments les uns aux autres. Une critique qui, par exem- ple, dirait que l’interprétation est réussie, la photographie trés belle, etc. ne serait pas une critique inté- ressante. Il faut situer le film par rapporta son réalisateur et ses oeu- vres précédentes, par rapport aux autres metteurs en scéne, par rap- porta son pays, par rapport au ciné- mamondial. La discréte, parexem- ple, est un film tout ce qu’il y a de plus frangais, et qui se référe 4 un genre bien typique du cinéma fran- cais. Critique de film, c’est vrai- ment un métier passionnant, car le cinéma suit de trés prés la sociolo- gie d'un pays. Propos recueillis par Renaud Hartzer Le Soleil de Colombie Journey of Hope Journey of hope fait partie de ces films qui méritent d’étre diffusés a la télévision aux heures de grande écoute, non pas pour assurer des revenus publicitaires juteux au diffuseur, mais pour rai- sons humanitaires. Un film pour sensibiliser les esprits chagrins confortablement installés dans V’hémisphére nord a la question des réfugiés en provenance du Sud, un film pour briser la froideur d’un entrefilet dans la presse a propos d’un drame de lexil. Voila juste- ment le point de départ de ce film. Un matin d’octo- tention du ré- alisateur suisse Xavier Koller est attirée par un titre 4 la une d’un quotidien helvétique: «Drame d’une famille kurde dans les montagnes suisses». Le petit arti- cle de huit lignes commengait ainsi: «Seit Ali, un petit garcon de huit ans, est mort la nuit derniére dans les bras de son peére alors qu’ ils essayaient de franchir illégale- ment la frontiére suisse. Des pas- seurs de Milan avaient amené en voiture un groupe de 12 Kurdes turcs sur le versant italien des Alpes, et les avaient abandonné, sans guide, sur le chemin dange- reux et illégal vers la Suisse. Terrifié et souffrant du froid, le groupe a perdu son chemin». Pour redonner une dimen- sion humaine 4 la brutalité de cette information tragique, Xa- La mort d'un enfant conclut dra- bre 1988, l’at- matiquement le voyage vers I'es- poir d'une famille kurde. vier Koller va remonter tout le fil de I’histoire de cette famille kurde, depuis son départ de Turquie, jus- qu’a son arrivée dramatique en Suisse. L’épopée malheureuse de ces réfugiés prend alors une toute autre dimension. Journey of hope, qui a remporté cette année 1’Os- car du meilleur film étranger, remue bien des questions: 1’at- traction irrésistible des pays ri- ches sur les pays pauvres, encore accrue par les nouvelles de ceux qui ont réussi a s’installer dans cet eldorado; l’abandon déchi- rant de tout ce que les réfugiés pos- sédent dans leur pays pour payer leur voyage; la malhonnéteté et la cupidité des in- termédiaires et des passeurs sans scrupules; et enfin l’indifférence des pays oc- cidentaux. : La démonstration est réussie, mais elle reste, au mieux, honnéte. La réalisation manque singuliérement de souf- fle et le spectateur se prend par- fois 4 reprocher au metteur en scéne de ne pas avoir su insuffler davantage de lyrisme 4 certaines séquences, comme celles de la fuite éperdue dans la neige. Mais le sujet méritait a lui seul ce film, que Ia thése suffit 4 rendre indis- pensable. R.H. Journey of hope sera a nou- veau projeté 4 Vancouver, du 15 au 21 novembre, au cinéma Starlight. Delicatessen Film loufoque a l'état pur, Delicatessen n’est pas un film ov il faut chercher un quelconque message. On ne sait ni oi, ni 4 quelle époque, ni pourquoi, ni comment tout ce qui défile sur l’écran nous est servi. Mais sil’on rentre dans le jeu, quel délice que Delicatessen! Car ce film posséde une force incroyable, celle d’exister en lui-méme, sans que le spectateur n’en maitrise les tenants et les aboutissants. Bref, nous sommes transportés au milieu de nulle part, dans une société od tout semble manquer. L’histoire est difficilement raconta- ble, disons que le personnage central est le boucher du rez-de- chaussée, qui n’hésite pas 4 découper ses voisins pour remplir son étalage quand celui-ci est vide. Les deux réalisateurs, Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro, tous deux issus du milieu de la publicité et de la vidéo, livrent ici leur premier film, avec une avalanche impressionnante de trouvailles en tout genre, de gags visuels et d’effets comiques trés réussis. Delicates- sen est un film bourré d’innovations et constitue une exception bienvenue dans le cinéma frangais d’aujourd’hui, d’habitude peu enclin 4 donner dans le fantastique. R.H. Delicatessen sera présenté prochainement au cinéma Park Theatre. : Mercredi 16 octobre 1991