Le Moustique Volume5 - 12°édition ISSN 1496-8304 Décembre 2002 est a la fois écrivain, philosophe et mathématicien. Ce nest pas un Pic de la Mirandole — qui pourrait |’étre encore a notre époque, alors que les connaissances s'abattent sur nous comme une impossible avalanche — il est au moins un esprit ouvert qui a compris que, dans ce monde aux dimensions multiples dans leque!l nous sommes apparus, toutes ces choses qui nous semblent aussi étrangement différentes que l'art, l’éthique et la science ne sont que les différentes facettes d’un concept qui nous apparaitrait unifié dans un monde supérieur. La progression de nos connaissances est telle a présent que le monde, qui avec le positivisme devait s’éclairer définitivement, voit soudain se fondre ses limites ancestrales, qu’éa présent la science vient souvent au secours de la philosophie, que la logique sert de colonne vertébrale a l'une et a l'autre, que la technique soutient les révolutions dans l'art, que l’on confond de plus en plus souvent l'un et l'autre et que certaines ceuvres que le snobisme nous commande d’adorer sont plus souvent des prouesses techniques plutét que l’expression d’un art le plus sensible. Michel Serres touche a tout, avec un art et une intelligence incontestable, parce qu'il sait qu’un philosophe ne peut expliquer les choses qu’en les plagant dans leur contexte plus général. La science de Descartes nous recommandait d’aller du plus complexe au plus divisé. Michel Serres nous recommande linverse ou, plus exactement, de mieux comprendre les choses en les observant de plus haut, en les embrassant toutes. Il est aussi surtout un humaniste par sa foi en homme et en ses découvertes et, cependant, ne s’écarte pas du siécle des lumiéres par son attachement a l’esprit encyclopédique, ni du social par sa volonté de vulgariser la connaissance. (Jean Lebatty) La césure des « sciences » et des « lettres » explique le recul de la compréhension des choses dans le monde moderne, ainsi que le triomphe du faux-semblant. (M. Serres, Propos recueillis par Alexis LACROIX) Revendiquant la diversité pour le philosophe, et plus généralement pour I'« honnéte homme » cultivé en ce qu'elle lui parait le signe méme de I'identité de chacun, Michel Serres aime évoquer la figure de l'arlequin habillé de piéces de tissu différentes ou encore celle du renard capable de passer partout. (Hachette, Encyclopédie Multimedia 1998) Le Tiers-instruit est ce petit chef-d'oeuvre écrit par un savant humble qui tente une esquisse de la connaissance totale par I'incitation au perfectionnement, a |'érudition, a la gymnastique du corps et de l'ame. "Aime l'autre qui engendre en toi l'esprit". Anthologie de I'apprentissage qui finira par s'anéantir au fur et 4 mesure de l'observation du monde et de son approfondissement. "Le but de I'instruction est la fin de I'instruction, c'est-a-dire I'invention". Dans la partie tierce du livre, l'auteur retrace dans sa propre existence, I'espace d'une page, la présence et I'absence du divin. (Réda Benkirane) Statues est par excellence le livre des fondations. Retour aux ancétres : la statue, I'idole, ou le cimetiére, recueils du sens obscur de I'existence. "Les statues précédent les langues". La pierre et la mort sont les “boites noires" des religions et des civilisations. "Le cadavre fut pour les hommes le premier objet". Eloge de la roche taillée et de l'argile d'ou s'origine et a laquelle retourne la cote d'Adam. "Le marteau équivaut a la chose martelée". Le texte cherche le grand secret des sous-sols, de |'Antiquité a I'age atomique, leur mythologie commune, du ventre de Baal a la fusée Challenger. "Les archives authentiques dorment dans la terre et non dans les bibliothéques. Dans le dur vraiment pesant”. (Réda Benkirane) Dans son Atlas, Michel Serres nous entraine une fois encore dans ses errances savantes et chaotiques. Destination : ces nouveaux mondes en gestation dans notre vie quotidienne. L'atlas fonctionne comme une sorte d'agenda ésotérique du troisiéme millénaire, pour ceux qui cherchent du recul a leurs voyages instantanés et a leurs objets nomades. L'individu contemporain, pressé par le systéme économique, stressé par un emploi du temps , parcourt le monde en l'ignorant. Le philosophe cherche a lui signifier les extensions ambivalentes du réel. Ses lecteurs connaissaient son culte du dieu messager Hermés, pour lui avoir voué un ouvrage en cing tomes étalé sur plus d'une décennie. La Communication est vécue chez Michel Serres comme une communion. Dans son dernier livre, on retrouve cette ferveur particuliére, oi la valeur d'échange consiste en |'Echange lui-méme. (Réda Benkirane). Le contrat naturel. Jusqu'a ce matin méme nous échappait la nature : petit carré de luzerne, concept abstrait, objet découpé par les sciences. Notre savoir ne saurait fonctionner sans ces découpages, il doit maintenant résoudre les problemes posés par leur intégration. La voici, aujourd'hui, nouvelle et fraiche, a I'état naissant ; globale, entiére et historiée sous les yeux de I'humanité entiére et globale ; théorique, bientét, quand les disciplines séparées voudront bien se fédérer ; tout de suite concréte et technique, puisque nos moyens d'intervention agissent sur elle qui,, en retour, agit sur nous. Combat, dialogue ou accord ? Dans le risque d'une lutte a mort, il faut prévoir un contrat. Espoir d'une vie commune, on voit naitre une Nature. 15