Le Moustique Volume 2 - _ 8" édition _Aoait_ 1999 Page Sur le trottoir, 4 gauche, un groupe de manifestants entoure un corps dans une position grotesque, au pied d'un escalier. I] est mort, c'est sir ! On me fait signe d'arréter. Ils sont tous armés de gourdins. J'accélére. Je mets la siréne en marche. Tout le monde sursaute dans l'ambulance. Elle est incroyablement bruyante et prés de déclencher la panique parmi tous les occupants du véhicule. On roule bon train, il n'y a pas trop de mouvement dans la rue. On passera peut- étre sans problémes. Ils sont 1a ! Des milliers. Le méme enfer que tout a l'heure. Fous, hurlant, ils grouillent a la maniére d'un gigantesque mouvement brownien. Ils nous ont vus. Comment faire autrement: on arrive vers eux comme l'éclair, avec un bruit infernal. Déja des cailloux volent vers nous. Je fonce ? Je freine ? Une force incroyable me tord les entrailles. J'en ai presque l'envie de vomir. Quel imbécile je fais de m'étre laissé entrainer dans cette aventure rocambolesque. Ce n'est pas possible 4 mon Age ! Je suis sensé étre une personne posée. II n'y a plus moyen de reculer; on est dans le bain ! Je ralenti l'ambulance alors que je branche le haut parleur. Un fragment de parpaing vient frapper le bord du pare-brise, sur le montant soutenant le rétroviseur. Sous le choc, le projectile a éclaté en poussiére, mais le carreau a tenu. Je passe les essuie-glaces pour y voir plus clair. Je hurle dans le micro. -On a un blessé 4 bord ! Un blessé grave ! On doit l'emmener a I'hépital ! S'il vous plait, laisser nous passer. On a un blessé grave a bord. On est a l'arrét, 4 présent. Un foule énorme devant nous qui commence tout doucement 4 nous envelopper. Des projectiles tombent sur la voiture avec des coups sourds qui la font trembler. Dans quelques secondes, on sera encerclés. On ne pourra plus reculer sans écraser du monde. Que fait-on ? On fait marche arriére, on fonce ou on palabre ? Je ressens soudain une douleur aigué dans la bras droit. J'ai peur, je me demande si on nous tire dessus. C'est seulement la femme & mes cotés qui, me tenant le bras, y a enfoncé les ongles. C'est fou. II ne faut surtout pas paniquer. Tout en continuant de crier dans le haut parleur, j'avance tout doucement dans la foule lente a s'écarter et jouvre le carreau A ma gauche. Je penche la téte a l'extérieur; je m'adresse directement & la foule. - Ceci est une ambulance. On a un blessé & bord. Laissez nous passer. Dans la foule, quelques tétes se penchent, curieuses, vers le hublot a l'arriére du véhicule. IIs regardent le grand noir affalé sur la civiére et son bras qui pend ballant. Incroyable ! Un homme grand et jeune fait un signe et les gens se déplacent pour laisser le passage alors que des pierres tombent encore sur l'ambulance. On avance a une lenteur exaspérante. Mes doigts sont blanchis aux jointures tellement je suis crispé sur le volant. Avec une voix qui déja éraille, je continue de cracher les mémes mots dans le micro. On sent la foule, hésitante, osciller entre céder la place a l'ambulance et la prendre d'assaut pour assouvir une rage dont on ne saisit plus la raison. Il suffirait d'un seul moment de faiblesse, d'un peu de malchance et tout bascule dans l'horreur. Une pierre qui brise un carreau, une simple coupure, un peu de sang qui coule et ce serait le carnage. La chance ou la malchance sont toujours