Le Moustique Volume 5 - 2¢ édition ISSN 1496-8304 Février 2002 gravade, bravoure et bavardage.. Les Indiens racontent que ces pitons rocheux ont une histoire. lls les appellent «eghii eghii wheiil ». Je suis certain que mon accent indien n’est pas parmi les meilleurs, mais, au moins, m’en a-t-on donné la traduction : « celui qui suit son chemin sur les pas de son aimée ». Bon ! Ce n’est qu’une interprétation. On aurait pu dire, par exemple, qu’il court aprés sa petite amie. Mais il est vrai que ces deux masses rocheuses n’ont pas l’air de se déplacer bien vite. Méme quand les vagues viennent leur blanchir les pieds d’une mousse qui fuit et se déchire avec le vent et le ressac, le feuillage des arbres qui les recouvre frémit 4 peine. Je n’imagine pas trop bien non plus qui est la fille, qui est le gars ou qui court aprés qui. Si on les dépasse et qu’on les regarde en venant du nord, le premier piton a l’air de se pencher vers la plage comme s'il voulait s'y précipiter. ll a un arbre tout droit et dépouillé, en équilibre sur l’extréme bord de la saillie et qui a l'air de n’y avoir rien a faire. Une longue traine rocheuse prolonge le piton vers la mer ou il se perd dans un grand frémissement d’écume. On pourrait y reconnaitre un visage de jeune fille dont les longs cheveux noués ondoient au gré des vagues. Alors que le piton plus loin, au visage en couteau, hautain et impassible, semble plutdt l’ignorer. A moins qu’il ne joue le role du bel indifférent. Oui ! Peut-étre. En se forgant un peu. Moi je vois plutdt une baleine, le corps couvert de balanes, qui s’échoue sur la plage, la gueule ouverte ; alors qu’au loin, la proue menagante d’un paquebot s’appréte a couper l’animal en deux. Je l’ai remarqué déja : quand le sens poétique s’étiole et que je ne peux plus imaginer que des scénes dramatiques, c’est que je commence a avoir sérieusement faim. Ne m’a-t-on pas dit, il y a quelques jours, qu’il existait au prochain campement une petite gargote attenante a la réserve indienne ow l’on prépare de petits repas pour les marcheurs du sentier ? Cela s’appelle «Chez Monique», je crois. Cet emplacement s’est ouvert sans l’accord des autorités du parc. Les marcheurs se sont plaints d’ailleurs en disant que ce relais était une hérésie. Que cette idée était aux antipodes de l’esprit sain et sportif de cette randonnée magnifique. Les gens n’étaient pas ici pour se gaver de nourriture frelatée alors que la sobriété de la mer et de la forét devait suffire a leurs corps sains et a leurs esprits austéres. Ce serait tout de méme assez sympathique d’y aller ne serait-ce que pour s’essayer a une recette typiquement indienne. Que mangeraient-ils ces gens de la céte du Pacifique ? Du poisson pardi ! Une bien meilleure option que la queue de castor que je n’ai pas pu digérer chez les Hurons ni le pemmican chez les Algonquins. II est vrai que la cuisine indienne n’est pas trop gastronomique. Alors que Joseph Smith, le prophéte mormon, croyait les Indiens descendre des tribus perdues d’Israél, je ne serais pas surpris pour ma part qu’ils soient nés en Angleterre ou en Allemagne oi ils auraient appris 4 mal faire la cuisine. Je me souviens avoir naguére taté de ce fameux plat aztéque d’ Amérique centrale : les fourmis au chocolat, pardon, au «chocolatl». Dans l’ensemble, ce n’était pas trop mauvais, mais je n’ai pas pu avaler le chocolat.