LE REVERBERE Baar La petite fille de Monsieur Linh - Roman par Philippe Claudel Un roman qui fait l’éloge de Vamitié entre deux vieillards. Deux hommes seuls qui ont perdu femmes et enfant et qui cultivent jour a jour une amitié qui naitra dans le regard et la présence de l’un et de autre, dans la communication au moyen de leur langue que V’autre ne parle guére et ne comprend point. Pourtant, le rapprochement entre deux hom-~- mes de cultures différentes — l’un est asiatique, ’au~ tre est occidental — s’amorce, s’épanouit et démentit toutes les théories qhi imposent des divergences en- tre les cultures des sociétés humaines, voire une hos- tilité légendaire dans Vhistoire des peuples. Monsieur Linh — ou Tao-lai — prénom qu’il donne lorsqu’il se présente a son ami occidental Bark — est un réfugié qui fuit son pays ravagé par les guerres, pays ou est allé se battre Bark, malgré sa volonté, dans une premiére guerre. On peut deviner qu'il s’agit du Vietnam. L’auteur se garde d’en donner le moindre signe. Son village mis a sac et a feu, Monsieur Linh réussit a se sauver avec sa petite fille, Sang diu — Sans Dieu, dira Monsieur Bark — la fille de son fils et de sa belle-fille, morts tous les deux. La petite fille, un bébé calme agé de quelques semai- nes seulement, est le trésor unique qui reste pour un vieillard éprouvé par le destin fatal qui s’est abattu sur son village et a emporté ses habitants. Monsieur Linh réussit a s’occuper de sa petite fille, a la langer, a la nourrir et 4 macher pour elle deux ou trois bouchées de riz, a lui donner son biberon et a la serrer avec tendresse sur sa poitrine pour l’accompa-~ gner dans tous ses déplacements. Il semble que Pauteur veut montrer que homme est aussi doué que la femme pour élever son enfant et démentir ainsi le vieil adage du pére gauche et maladroit que la nature a privé de douceur et de tendresse dans ce domaine. Philippe Claudel réussit un tour de force dans Pécriture de ce roman. II n’y a aucune date, aucune 10 JUILLET-AOUT 2006 VERS 2010 indication sur l’origine des deux personnages. Nous ne connaissons ni leur pays respectif, ni leur langue, ni la ville ott ils se sont rencontrés a la suite du sé~ jour des réfugiés arrivés par bateau dans un grand port maritime. Bref, il s’agit d’une histoire univer- selle aussi bien dans le temps que dans l’espace géo- graphique. Le mot-clé Bonjour que Monsieur Linh a appris, seul mot du nouveau vocabulaire, pourrait étre une traduction vers le francais de toute autre langue, tout comme pourrait l’étre la chanson que le vieil homme chante 4a sa petite fille; chanson trans- mise de meére en fille et dont il se rappelle par coeur, lui, le vieil homme. « Toujours il y a le matin Toujours revient la lumiére Toujours il y a un lendemain Un jour, c’est toi qui sera mére.» Une image saisissante, reprise par l’éditeur en quatriéme page couverture, associe le passé et Vavenir, le passé du vieillard et ’avenir de l’enfant dans les termes suivants : « Debout a la poupe du bateau, il voit s’éloigner son pays, celui de ses ancétres et de ses morts, tandis que dans ses bras, l’enfant dort... » Ecrivains de talent, Philippe Claudel, né en 1962, a publié quinze a vingt livres, allant du roman au récit, de la nouvelle a la chronique illustrée. En 2003, son roman Les 4mes grises s’est mérité le prix Renaudot, le prix littéraire des lectrices l’année suivante, consacré meilleur livre de 2003 par le magazine Lire et traduit maintenant dans vingt-deux pays. Son nouveau livre refléte fort bien les qualités littéraires de auteur. age Philippe Claudel, La petite fille de Monsieur Linh, roman ; Paris, Editions Stock, 2005, 162 pages. Simon Henchiri