Le Moustique ! ... Pacifique Correspondance .....’’Et depuis... Lourdes, le 12 mai 2003 Autrefois, j'avais I'habitude d’écrire beaucoup de courrier — je passais pour la Sévigné de la famille - mais maintenant, ma main ne répond plus a mes pensées ...Pourtant, je tiens aujourd’hui a vous donner de mes nouvelles. D’ici environ deux mois - a condition que, jusque la, Dieu me préte vie — j’entrerai dans ma cent troisieme année: le temps passe, sans bien m’en rendre compte, je vis dans l’intemporel ! Dans cette Maison de Retraite ot: je suis actuellement hébergée, mes _ journées __ sont programmées quasi rituellement. C’est ce qui me donne se sentiment de vivre hors du temps. Je consulte trés fréquemment l'heure et le calendrier, histoire de me situer dans |’existence. D’abord, je dors beaucoup (environ dix-huit heures par jour) et formidablement bien ! En trois étapes : la nuit, un peu le matin et pour la sieste, je récupére, c’est bon. Et puis, il y a les repas. C’est Florence qui vient 4 chaque fois me faire manger, je ne peux plus le faire de moi-méme. Avant la premiére bouchée, je dis « J'ai pas faim !» (automatiquement) — Mais je mange tout de méme, car pour vivre, il faut bien manger. Et je tiens encore assez a la vie. Quoique j'aie tout a fait conscience que cela aura une fin. J’en parle souvent et trés sereinement. Menu stéréotypé: potage, puis une purée (plat de résistance du jour « mouliné ») — la moitié me suffit — ensuite le dessert, qui est ce que je préfére. Et pour finir le café (avec trois sucre). Pour boisson, de leau, on me refuse le vin — sous prétexte que cela ne me convient pas (heureusement Florence tient dans son sac un petit flacon de Porto, et clandestinement, elle m’en sert de temps en temps un petit fond de verre !) Au chapitre des distractions, il y a la télévision — depuis ma chambre ol se trouve mon poste personnel et depuis celui de la salle commune. Je lis aussi un peu les magazines, particuliérement Paris-Match (auquel je suis abonnée). Cela me met au courant de l’actualité de notre monde présent — Mais I “actualité ’, bof, c'est assez toujours pareil, toujours la guerre, avec des variantes, il est vrai, mais la guerre comme “fond de tableau ”. Volume 6 - 8¢ Edition ISSN 1704-9970 Aodat 2003 Dans ma petite enfance, il y a cent ans, on parlait déja beaucoup de “la guerre”, celle de “70» - franco-prusssienne — et de ses “casques a pointe”. Et depuis... Je prends aussi grand plaisir 4 contempler a travers la vitre le paysage, le jardin au premier plan, qui comence a se colorer de fleurs et de verdure sur les arbres, et derriére, la montagne, encore toute blanche sur les sommets et se couvrant sur ses flancs de jeune herbe verte. Quand il y a, au dessus, un ciel sans nuages bleu pur, jadmire et ne peut m’empécher de dire “Comme c'est beau, la montagne !” Et puis, il y a “les autres” — Rien que des vieilles, ridées, jaunatres, certaines ont la tremblote — et pour dire, cela manque un peu trop d’hommes. Quelques-uns, tout de méme, les fils de ces dames, venant visiter Maman, jeunes et solides gaillards pyrenéens — Quand je les vois passer, je les suis des yeux ... Cela me ravigote, indubitablement. Quant 4 moi, lorsque je me regarde dans la glace, je ne me trouve plus du tout ravissante, C’est outrage du temps ! Pourtant, Florence m’assure que j'ai conservé un teint frais et une mine toute rose. Et que pour une centenaire, je reste jolie .... Elle me dit méme que je devrais poser ma candidature au concours “Miss-France Centenaire” (si cela existe) — Elle a peut-étre raison. D’ailleurs, a la Salle 4 manger, a I’heure du repas, c'est le défilé, tous les convives tiennent d’abord a venir me saluer. J’ai, parait-il, un sourire charmeur (sur lequel on s’extasie !) Cela m’amuse, c'est vrai — mais bien que ce soit fort aimable, cela est un peu fastidieux. Le personnel de la Maison de Retraite est trés attentionné pour moi et m’entoure de beaucoup de gentillesse, les Aides-soignantes sont jeunes et charmantes. Un médecin me suit et vient réeguliérement : il me trouve par rapport a mon age, relativement “bien”. Mais je sens que je décline. ll m’a prescrit un arc-en-ciel de comprimés a prendre au début des repas. On me fait aussi des insufflations d’oxygéne (bouteilles en permanence dans ma chambre) — car je respire mal et parfois, pendant certaines périodes je haléte. J’y vois encore assez bien, mais ma surdité est presque totale, ma mémoire est devenue trés faible et se confond parfois avec mon imagination. Mes mains ne peuvent plus rien tenir et évidemment, je ne marche plus. Je suis perpétuellement attachée —soit au fauteuil, soit sur le lit. Au début, cela me rendait enragée, j'ai toujours aimé au cours de mon existence étre libre, mais maintenant, jy suis faite, bien que cela ne soit pas dréle d’étre continuellement ficelée Quand le beau temps le permettra. iirai faire des petits tours a l’extérieur. au