jd SBA Boge x ifr petted ecg 28 Bog a Pig . saat ‘<>. aaa 4 A Clockwork Orange “K Clockwork Orange” de Stanley Kubrick - Un futur possible. En avance sur notre temps par Luc Perreault A CLOCKWORK. ORANGE ‘de Stanley Kubrick LE FILM s’ouvre sur un oeil inquié- tant. Un oeil orné: de faux-cils regar- dant droit.4 travers l’objectif. La ca- méra_ recule. L’autre oeil apparait, naturel cette fois. Le contraste. entre ces deux yeux suffit pourtant 4 com- muniquer un sentiment de mystére.et d’étrangeté. Tout au long de cette oeuvre remarquable, le spectateur se: trouve ainsi ballotté entre l’artifice parvenu au summum de la sophistifi- cation et l’expression la plus crue d'une humanité sans fard. Le cinéma- spectacle trouve en- Stanley- Kubrick son plus farouche défenseur. Le titre a quelque chose de dérou- tant. Il est a Vimage du film. “A Clockwork Orange” pourrait se tra- duire par “une orange mécanique’’. L’écrivain Anthony Burgess s’insur- geait dans le roman de science-fiction qui a inspiré Kubrick contre tout ce qui chez l’homme tend a le tranfor- mer en une belle. mécanique froide et sans ame. Transposant a l’écran cette préoccupation, Kubrick a conservé Vessentiel du roman, situant l’action dans un futur immédiat. La thése développée est fort ingé- nieuse. Elle pourrait se résumer en une phrase: on ne fait pas ce qu’on veut avec l’homme mais ce qu’on - peut. Alex, jeune homme sans scru- pule, se laisse aller avec des amis a des crimes ot l’érotismte et le sa- disme se mélent inextricablement. Ar- rété pour l’assassinat d’une femme, il sera condamné a une. longue déten- tion. Mais’ la Ghance joue en sa fa- veur: se portant -volontaire pour une experience de réhabilitation,, il obtient sa libération apres un conditionnement destiné a le dégotiter de ce qu’il af- fectionnait auparavant (y compris la 9e de Beethoven). Aprés une tentative de suicide qui émeut l’opinion publi- que. Alex revient a la vie et découvre qu’il est redevenu celui qu’il était au début. Plutét qu’une mécanique. pavlo- vienne, le. monstre sy mpathique pourra réver 4 de nouveaux crimes. bien convaincu cette fois que la So- ciété le laissera en paix. On éprouve en voyant ce film un frisson- a la fois d’ordre moral et es- thétique. Kubrick moraliste cherche depuis ‘Doctor Strangelove” 4 mettre Vhumanité en gardé contre les périls qui la guettent. Que cé soit par la me- nace d’une déflagration nucléaire, la promesse d’une mutation de. Vespéce humaine ou annonce d'une dégrada- tion des valeurs morales, les trois derniers films de ce réalisateur amé- ricain constituent autant d’approches différentes ,de ce futur dans lequel nous sommes deja engagés. En met- tant l'accent dans “A Clockwork Orange” sur -les consequences possi- bles -du laisser-aller des générations montantes, Kubrick nous fait entrevoir un cauchemar qui n’a rien a envier a celui de la bombe nucléaire. La so- -ciété de demain ne sera pas nécessai- rement peuplée de maniaques sexuels et de criminels de droit.commun en liberté, mais: on ne peut s’empécher de redouter un éclatement des normes qui maintiennent actuellement Je com- portement social a l’intérieur d'une li- mite de sécurité acceptable a la ma- jorité. Dans le langage alarmiste pro- pre aux auteurs de science-fiction, Ku- brick décrit un futur possible qui ne se réalisera pas nécessairement. Le ~ cauchemar qu’il dépeint n’en posséde pas moins tous les caractéres du réa- lisme le plus convaincant. La chose surprend d’autant plus que le film a éte complétement tourné en studios, exception faite de quelques extérieurs. C’est ici qu’entre en ligne de compte le pouvoir de fascination de Kubrick. Destinée avant tout aun large public, son oeuvre fait appel a . toutes les ressources du cinéma-spec- tacle. Avant d’étre une réflexion sur Ja société. de demain, ‘‘A Clockwork Orange” se veut une féte pour l’oeil et une fascination pour l’oreille. Rien n’y est laissé au hasard, depuis le choix des angles de la caméra jusqu’a la richesse d’une piste sonore dans la- quelle la musique se trouve parfaite- ment intégrée a l’action, le tout lié par un montage extrémement rapide et précis qui fait oublier (a quelques instants prés) la durée pourtant res- pectable du film, soit 137 minutes. “A Clockwork Orange’ est l’oeuvre d'un virtuose. On y sent une maitrise que bien peu pourraient revendiquer. Oeuvre touffue. et dense, violente et bruyante, véhiculée dans ine langue souvent indéchiffrable (un anglais ar- gotique débité avec l’accent du Mid- land et agrémenté de mots latins ou russes ‘anglicisés), elle marque une . nouvelle étape dans Ja carriére pour- ‘tant déja bien remplie d’un cinéaste wn peu en avance sur notre temps. -La violence américaine Du cote américain, deux films atti- rent Jattention pour le moment, “Dirty Harry” et “Straw Dogs’. Est-ce une coincidence si ces deux oeuvres accordent a la violence une place de ~ choix? Dans “Dirty Harry”, on a droit a un excellent numéro d'acteur de la part de Clint Eastwood. II in- carne le role d’un professionnel de la police‘a qui !’on confie les taches les plus ingrates: ramener au bercail un candidat au suicide, arréter un mania- que sexuel... I] n'y met pas plus d’ar- deur qu’il ne faut mais, bien sur, il réussit a tout coup. Et, comme la biere, ca plait a tout coup. On a beau trouver Ja fable grossiére, elle est ef- ficace. Dans “Straw Dogs’, Sam Peckin- paw (dont le goat pour la violence est connu depuis “The Wild Bunch’’) nous entraine en Grande-Bretagne dans le foyer trés vieillot et douillet d’un Américain (incarne par Dustin Hoff- ‘man). La jeune Anglaise qu’il a ma- riée ne faisant pas cachette de ses at- ' traits, notre héros se trouve bientot en bute a la jalousie de tous les males du village. Dans la scéne fi- nale, d’une violence épouvantable, on assistera a une espéce de réglement de comptes qui dépasse en horreur tout ce que Peckinpaw avait fait jus- qu’ici. On peut toutefois se demander si toute cette violence se justifie du point de vue dramatique. En poursui- vant dans cette ligne, le réalisateur américain. n’aura bient6t plus rien a* envier au Grand guignrol.- Du cété du cinéma européen autre que frangais, il convient de signaler quelques films de valeur. Si “Trojan Women” de Michel Cacoyannis fait tres théatral, axé surtout sur les per- formances de quatre grandes actrices (Bujold, Iréne Papas, Vanessa Red- grave et Katharine Hepburn), par contre un film comme “The Garden of the Finzi Contini’” du prolifique Vit- torio de Sica. nous réconcilie un peu avec cet artisan de la premiere heure du néo-réalisme italien. Confronté avec le theme de la per- sécution nazie d’une famille de la haute bourgeoisie israélite de Ferrare, de Sica sait trouver les arguments hu- manistes appropries pour communi- quer le drame de ses protagonistes, meme si.a la fin on s’apercoit qu'il n’a pas perdu cette habitude néfaste de flatter un peu trop la corde sensi- . ble. du spectateur. La noblesse du sujet compense ici pour Vexcés de sensiblerie. Enfin, comment parler en deux mots d’un film aussi complexe que “W.R. — The Mysteries of -the Orga- nism’? de Dusatt Makavejev? Tout s’y meéle, depuis un documentaire .sur les derniéres années de la vie du psycha- nalyste Wilhelm Reich, jusqu’a une in- trigue romancée qui a pour vedettes une suffragette yougoslave et un pati- neur de fantaisie sovictique, sans ou- blier un documentaire sur |’influence de Reich dans la vie américaine, le tout entreeoupé d’extraits de films pornos, d’anciennes bandes stalinien- nes, d’une seance de moulage de pénis, etc... L'intention était louable de compo- ser un collage en hommage‘ a Reich. Mais la question. qui se pose, c’est de savoir si ce film permet de mieux comprendre qui fut Reich et en quoi son oeuvre aujourd’hui mérite d’étre étudiée. Sur ces deux points malheu- reusement, Makavejev échoue lamer- tablement: En mettant l’accent sur les aspects les moins défendables de la pensee de Reich, en particulier sa théorie loufoque de l’orgone, il contri- bue a répandre aux yeux du grand public l’opinion deja beaucoup trop ré- pandue que l’oeuvre de Reich est le resultat d’une pensée dérangee. Il mé- citait -peut-étre un meilleur sort. . / LE SOLEIL, 3 MARS 1972, XV