rythmes — endiablés! VOYAGES Le Soleil de Colombie, vendredi 16 septembre 1988 - 17 Par Jean-Claude Boyer Suite de la semaine derniére Dimanche 14 juillet. Le temps est splendide. Début de mon douziéme et dernier mois de voyage. Je prends d’abord le métro jusqu’a Suweon, puis un bus, avec... ceintures de sécurité, pour Minsokchon, le grand Village. Que dire, en peu de mots, de ce vaste musée a ciel ouvert? Il y a tant a voir! En vrac: grande variété de maisons de ferme, ateliers d’artisanat (céramique, poterie, paniers tressés, éven- tails, etc.), école «confucianis- te», temple bouddhiste, brasse- rie, mats totémiques, marché, forge, grande maison aristocra- ~ (prisonniers- | batiments pu- — tique, prison mannequins), blics divers... Tout est meublé a l’ancienne. Tout est plein de vie quotidienne ancestrale. Que l’on cultive les champs (instru- ments aratoires étonnants) ou récolte des légumes, que l’on | répare les toits ou batte avec | frénésie tambours et gongs — mauvais — esprits, que l'on fabrique du | charbon ou du papier, tout se | fait en costume traditionnel et a | pour chasser les la mode d’autrefois. En passant prés d’une grande ~ plate-forme remplie de gens | assis sur des tapis tressés tables’ basses, | j'entends parler frangais. Jy | pense, c’estle 14juillet.Onatédt | fait de m’inviter. Nous levons } nos verres: «Vive la France!» — J’apprends que |’un des trois | autour de Francais est un ex-détenu recherché parla police. Lorsque je m’appréte a prendre une photo, ilme fait promettre de ne jamais la faire passer dans un journal! Nous entonnons LA MARSEILLAISE avec passion. Le «criminel» en écorche la mélodie de sa voix rauque. Autour de nous, les Coréens semblent devenir encore plus joyeux, surtout celui-la qui fume avec contentement une pipe démesurément longue. Vive la France! Clic! Photo de deux bonnes grands-méres toutes de blanc vétues. Clic! Photo d’un pére avec bébé potelé sur le dos - en train de photographier son autre enfant. (Il me dit: « Thank you!») Clic! Un coupeur de friandises traditionnelles claquant grosse paire de ciseaux pour attirer les gourmands. Clic! Un tresseur de paniers se servant méme de ses orteils. Clic! Un enfant souriant, a cheval sur un banc, en train d’activer le feu d’une forge. Clic! Clic! Clic! Diseurs de bonne aventure; spécialistes de la calligraphie _ (quelle dextérité!); garconnet sur un poulain, la mine réjouie, fillette au visage d’ange; célébration d’un mariage en grande pompe... Autant d'ima- ges enregistrées. Le clou de ce grand spectacle’ champétre? La danse des. fermiers au théatre en plein air. Costumes multicolores et longs rubans fixés aux coiffures, fouettant |’air 4 chaque mouve- ment brusque de la téte. Quels Quelle fougue! Quels tourbillons de joiedevivre! Leclou, c'est aussi une. Récit d’un tour du monde Semaine a Séoul la danse du finambule: vingt minutes sur une corde raide a exécuter des acrobaties 4 vous couper le souffle. Dommage que je ne comprenne pas ses blagues. Agilité phénoménale! Paradis du photographe, ce superbe village folklorique est sans doutele plus fascinant que jaie visité - au Québec, en Alaska, a Hawai, ou ailleurs. C’est laune excellente initiation a la culture millénaire de la Corée. Quel que soit le caractére artificiel de ce genre d’attraction, jesuis enchanté de ma visite, envodté méme. Minsokchon, c’est la perpétua- tion vivante (et non statique) des Minsokchon avec enthousias- me, puis me mets ala recherche d’un bon «restaurant de trottoim. Deux Coréens attablés m'invitent ame joindrea eux. Ils moffrent leur vin. Je n’en prends qu’une petite tasse. Que c’est fort! Du vrai gin. L’un des deux lurons en boit pourtant comme si c’était de |’eau. Nous attaquons des plats japonais. Mes «h6tes» ont du mal a croire que je ne sois pas un fervent sportif. « Tout bon Coréen [male] est un passionné de sport», affirment-ils. «Les Jeux de Séoul, ce sera fantastique!... Nous sommes de bons vivants. Nous aimons boire, chanter, Le Pavillon Buyong-Jeong («quoi»?). valeurs ~ traditionnelles, |’ex- pression créatrice au service de la fierté nationale, le souci du détail et de I’harmonie, |’amour incommensurable du patrimoi- ne. Minsokchon, c’est le témoin vivant de la lutte héroique d’un petit pays - pris en souriciére entre la Chine et le Japon - pour conserver son identité cultu- -relle. En fin d’aprés-midi, je fais la connaissance de Terry, un fonctionnaire d’Edmonton. Il faisait partie du vol qui a failli exploser juste avant son atterrissage a Tokyo, il y a quelques semaines (voir article intitulé «‘Raid’ & Séoul»). Lorsqu’il a repris l’avion pour Séoul, les mesures de sécurité étaient si serrées qu'on a méme passé ses films aux rayons X. Il m’invite a aller prendre un verre dans sa chambre d’hétel, un beau soir. Retour aSéoul. Dans le métro, un bébé se montre familier avec tout le monde, sauf avec moi. La mére me fait signe que c’est sans doute dG €4ma moustache. ° (On n’en porte pas en Corée.) Des vendeurs de journaux circulent d’un wagon a I’autre. Je m’adresse a un touriste, un Ontarien marié a une Chilienne. ll me raconte que lors de leur mariage, sa bien-aimée a prononcé «awful» (affreux) au lieu de «lawful» (légitime)! (Apres tout, quelle différence?) Revenu al’auberge, je parle de escalader les montagnes...» IIs seplaignent delafermeturetrop hative des boites de nuit: «C est a cause de Ihabitude du couvre-feu [de minuit a 4 heures)», m’assurent-ils. Avant de nous quitter, le plus bavard miinvite chez lui. Je refuse, toujours a cause de cette paranoia contractée en Inde... Ma soirée se termine devant la télévision: LA MENAGERIE DE VERRE de Tennessee Williams, avec Katherine Kepburn. Capti- vant! Lorsque la tension atteint son paroxysme, je suis distrait par une Coréenne vétue en garcon: elle veut entrer dans un bar gai avec un ami Allemand. Avoir |’air masculin semble tout un défi pour elle: lunettes de soleil, cheveux tirés en arriére, blue-jean, absence de sourire, démarche décontractée... Le film terminé, je note dans mon journal cette réflexion d’un des spectateurs: «People go to the movies instead of moving». («Les gens: vont au cinéma au lieu de bouger» - le jeu de mots se perd en frangais.) Avant de _me retirer pour la nuit, brin de causette avec le propriétaire qui medemandemon age. Onmele : demande souvent en Corée. Je : suis porté a en conclure que : dans ce pays le respect d’autrui augmente avec |’age. Lelendemain, je me rends aun dernier rendez-vous aux Korean Airlines... En sortant de automatiquement | l'édifice, je suis frappé de stupeur... (voir l'article intitulé «‘Raid’a Séoul»). Retour au grand centre d’achat moderne pour observer les gens et me choisir des cartes postales tout en jouissant de |’air climatisé. Suit une promenade au hasard. Priére de regarder devant soi en marchant: les risques de «collision» entre piétons sont fréquents. Monte, descends; descends, monte. Passages surélevés, passages souterrains. Que d’escaliers! Je ne vois jamais personne traverser dans la circulation. Quelle propreté aussi! Il est étonnant qu’une ville aussi gigantesque en maintienne un tel standard. Clic! J’ai osé photographier deux Coréennes bien en chair marchant d’un bon pas, chacune portant sur la téte, sans méme y_ toucher, un paquet de dimensions invrai- semblables. Elles me font les gros yeux. Trop tard. Quelle chaleur! Je me rends mainte- nant a la chambre d’hétel de Terry, |’«Edmontonien», ot je passe une soirée fort agréable. Le 16juillet. Aujourd’hui je me lacoulerai douce. Mise a jour de mon journal, correspondance, chasse aux renseignements, visite d’un palais et d'une... banque. Une dizaine de jeunes Indiens et Bangladeshois, tous trés beaux, arrivent a l’auberge pour s’entasser dans une seule chambre. Je leur raconte mon aventure de «café drogué» en Inde. Ils n’en reviennent pas! L’cmbre du soir envahit peu a peu la cour intérieure. Souper a la pieuvre suivi d’une promena- de rafraichissante dans le quartier. J’entends un_haut- parleur «cracher» du Mireille Matthieu. puis du _ Enrico Macias. Fin de soirée reposante a regarder des émissions «peu intellectuelles» diffusées pour les troupes américaines station- nées dans le sud du pays. On m’apprend que demain sera jour férié (fete dela Constitution). Je prends la décision de me rendre a Kyongju, la ville-musée, puis a Pusan (450 km), la porte d’entrée traditionnelle des Ja- ponais en Corée. De retour dans ma chambre, je m’assieds sur le «matelas-par- terre» pour lire des extraits d'un guide récent et griffonner « Priére de regarder devant soi en marchant: les risques de collision entre piétons sont fréquents. Monte, descends ; descends, monte... Passages surélevés, passages souterrains. Que d’escaliers ! quelques détails dans mon journal: la Corée du Sud (Corée: «pays du matin calme») dépassera bientét les 40 millions d’habitants ; Séoul, qui signifie justement «capitale», est située sur les rives du fleuve Han, a 60 km de la mer de Chine; sa population (environ 7 millions) a augmentée de 80% au cours des 15 derniéres années; elle posséde quatre universités ; ses lignes de métro totalisent 82 kilométres. Le «hangul», qui a remplacé les caractéres chinois, est |’un des systémes d’écriture les plus simples et les plus efficaces du monde... Mes __ paupiéres s’alourdissent. Je m’endors en revoyant des scenes. de M*A*S*H, la populaire émis- sion américaine sur la guerre de Corée que j’avais I’habitude de regarder pour améliorer mon anglais, chaque jeu de mots ‘ saisi me paraissant une victoire.