Un vent de plus en plus fort secouait les hautes frondaisons. Des rafales furieuses agitaient les branches dans tous les sens, s’éloignaient, reve- naient ala charge. Mon cerveau percevait ce tumulte, en faisait la ma- tiére de mon chagrin. Des gouttes d’eau qui trouvaient leur chemin a tra- vers le feuillage pleuraient sur mes joues. A ma hauteur, la tempéte était plus discréte, apaisante méme. Mais cette fureur avait des retombées : la nature accélérait son deuil. Les feuilles descendaient plus drues sur la couche épaisse et pourrissante du sol. Je les voyais passer devant moi, petites ombres oscillantes muettes et lentes, hésitantes parfois avant de se poser sur l’humus forestier. J’assistais 4 ce grand ballet qui défeuillait la forét avec rage. Chute mélancolique. Ultime adieu. Longtemps je restais immobile, les yeux fermés, tandis que m’assaillaient tant de souvenirs. Aprés un long soupir, un sanglot presque, je repris mes esprits. Le vent avait soudain baissé sa voix. Son souffle maintenant léger caressait des branches meurtries, dénudées. Je m’étais abimé dans un cauchemar dont il me fallait sortir. Je rentrais chez moi d’un pas vif, et tout en marchant je prenais des décisions auxquelles j’étais décidé de me tenir quoi qu’il advienne. D’abord, il me fallait obtenir une extension de convalescence. Cela ne posait pas un gros probléme, mais au lieu de par- tir en montagne, je m’embarquerai pour Alger. Savoir. Comprendre. Aus- si douloureux que cela pourrait étre j’allais retracer l’itinéraire suivi par Eric. J’avais l’adresse de quelques amis qu’il s’était fait dans la ville. C’est 14 que je devrais découvrir la clé du drame, les événements, les circonstances qui avaient conduit mon ami au désespoir absolu. A Aga- dés, les gendarmes ne me seraient, je le crains, d’aucun secours, mais j’€tais, décidé 4 m’y rendre ne serait-ce que pour me recueillir sur la tombe d’Eric. Ma course €puisante dans la forét m’avait exténué. Je changeais rapide- ment de vétements. L’idée de me faire un repas ne me vint pas a l’esprit. J’avalais plusieurs cachets d’aspirine. Une chaleur agréable régnait dans la salle de séjour. Je sombrais dans une somnolence fiévreuse. Mes pen- sées se heurtaient, confuses encore. A un moment, je me levais. J’allais jusqu’a la fenétre en titubant. II devait étre trés tard dans la nuit. Au de- hors un grand calme. La nature, enfin apaisée, se recueillait dans un si- lence total. Je revins 4 mon fauteuil et m’endormis. Gabriel Sevy, Port-Alberni, C.-B.