d’un bras ? Quand, 4 Constantine, il descendit du train, je me sentis triste et géné en le regardant s’éloigner, sachant que pour tant de mes compa- triotes cet homme, encore jeune, n’était rien moins qu’un bougnoule par- mi d’autres dont la vie ne valait rien. * Ck Ok Et voila, j’étais 4 Alger, un peu perdu sur ce quai de gare, dans la mouvance d’une foule qui fondait peu a peu dans le goulet de la sortie. Dehors, chacun retrouvait ses repéres : la famille, des amis. Beaucoup de cris, de rires. C’était comme une grande féte. Je me sentais bien, et d’une certaine maniére, je participais a cette allégresse. Pour tout bagage, je n’avais qu’un modeste sac a dos ne contenant que |’indispensable, et un livre : L’Eau et les Réves de Gaston Bachelard. J’y découvrais toujours le meilleur de mon imaginaire tourné davantage vers les ciels bas des Flan- dres, quand |’automne s’installe, et quand les canaux de halage bordés de peupliers, tremblant de toutes leurs feuilles jaunies, se perdent dans les lointains brumeux que seule la réverie peut explorer. C’ était le lien que je tenais 4 garder avec mes racines. Mais Cela ne m’empéchait jamais d’é- tre disponible. Je savais que partout je trouverai une mesure d’émerveil- lement. Devant cette grande ville inondée de soleil, ce fut le coup de foudre. Un passant m’indiqua la route qui menait a 1’Université. Je mar- chai sans hate, heureux. Sur une large avenue, je repérai aisément la café- téria en contre-bas des batiments universitaires. Un café, des croissants, voila ce dont j’avais besoin pour le moment. A une table voisine, des étudiantes se confiaient leurs impressions : un nouveau professeur d’an- glais venait d’arriver. L’une d’elle se tourna vers moi. Ses yeux étaient d’un gris lumineux et doux. J’étais fasciné. Je lui souris. Elle me rendit mon sourire. J’étais certain que nous allions nous revoir. Cette simple intuition n’était-elle pas le signe que, déja, j’avais fait un choix. J’allais rester 4 Alger. C’ était ici la grande étape qu’a mon insu, presque, je m’étais fixée. Plus tard, je poursuivrai mon chemin vers le Maroc. Si, comme me disaient mes amis arabes, tout ce qui advient est écrit d’avance, je n’eus aucune peine a prendre ma décision. J’allai donc m’inscrire a |’université et je me pro- mis de vivre pleinement dans cette ville qui m’avait immédiatement conquis. Je m’abandonnerai 4 sa blancheur, 4 son charme, a ses parfums, et si mon séjour était programmé quelque part, qu’il en soit donc ainsi : Inch Allah. Gabriel Sévy, Port-Alberni (C.-B.) 7