a Dictionnaires par Roger Dufrene Qui ne_connaft le Petit Larousse / Tout condensé qu’il soit, c’est déja un dic- tionnaire encyclopédique. On y trouve, non seulement la définition des mots de la langue d’aujourd’hui, mais une partie Arts, Lettres et Sciences, ainsi qu’une abon- dante illustration. Ce dic- tionnaire peut satisfaire les amateurs de mots croisés et les étudiants du francais élémentaire. Pour les pro- fesseurs curieux d’étymolo- gie, pour les amateurs let- trés soucieux d’employer 4 propos le terme propre, je conseille l’acquisition du Petit Robert, paru en 1969. Le Petit Robert est un ou- vrage exclusivement lin- guistique. A l’encontre des dictionnaires encyclopé- diques, dont le Grand La- rousse encyclopédique en dix volumes offre un exemple remarquable, il ne traite que le vocabulaire ; et il suit une longue lignée de dictionnaires appréciés des érudits et dont nous évoque- rons ici les principaux. Le Littré (1868-1873) est une somme lexicologique. Il contient des échantillons de la langue A diverses épo- ques et on y per¢oit la len- te évolution des mots et lo- cutions au cours des siécles. Ce magasin d’érudition, pas- sablement vieilli, se répartit sur quatre énormes volu- mes. Quant au Hatzfeld, Dar- mesteter et Thomas (1890- 1900), rigoureusement or- donné, il comprend encore deux gros volumes ; de mé- me que le Dictionnaire de V’Académie Francaise (1932-1935). Ecrit élégam- ment, celui-ci plaft aux hu- manistes soucieux d’un lan- gage chatié. Mais ses lacu- nes de vocabulaire le ren- dent incomplet. Le Dictionnaire de Paul Robert -a paru de 1951 a °1964. L’auteur et son équi- pe y ont travaillé vingt an- nées. C’est un instrument moderne et complexe de la langue. Mais ses six grands volumes ne peuvent trouver place sur une table de tra- vail. On attendait le Petit Robert. Les qualités de précision du Petit Robert se remar- quent dés qu’on le compare, soit au Petit Larousse,. soit 4 un autre dictionnaire ré- cent, le Larousse du Fran- ¢ais moderne (1966). Le La- rousse du Francais moder- ne, inventaire du vocabulai- re actuel et grammaire soi- gneusement mise 4 jour, présente, A mon avis, de graves défauts. Il n’éclaire pas le lecteur sur l’origine et l’évolution des mots et ses exemples sont fabriqués et non extraits des bons au- teurs. Les auteurs du Petit Robert appréhendent le mot dans son sens premier et en notent la date d’apparition. Ainsi le mot se saisit d’em- blée en sa substance ori- ginelle, ce qui aide presque toujours 4 l’intelligence de son sens moderne. Il est Z i \\ it's W instructif de savoir que le terme ‘‘croissant’’ remonte au douziéme siécle et vient du verbe croftre ; qu’un croissant de lune figure une portion de lune qui croft ou décroft 4 mesure. Qu’on lise au Petit La- rousse ou au Larousse du Frangais moderne les dé- finitions de la nonchalance et de 1l’indolence, emploiera un terme pour l’autre. Robert, A cet égard, se révéle plus précis. Non- chalance, dit-il : manque d’ardeur. Indolence : état de celui qui ne souffre pas. En signalant la racine du mot ‘‘chaleur’’ dans ‘‘non- chalance’’, celle du mot ‘¢douleur’’ dans ‘‘indolen- ce’”?, Robert marque la nu- ance qui différencie les deux termes. L’indolence est plus passive que la nonchalance. On écrira proprement : il sortit de son état d’indolen- ce et il marcha nonchalam- ment vers les nouveaux-ve- nus. Le Petit Robert applique la méthode analogique.Jean- — Baptiste Boissiére, collabo- rateur au siécle dernier du Académie § DONA iRY oe et l’on | du dix-huitiéme siécle,. grand lexicographe Pierre Larousse, avait popularisé cette méthode dans son cé- lébre dictionnaire Analogi- que de la Langue francaise (1862). Cette méthode con- siste 4 rassembler les mots par familles d’idées. Paul Robert a repris ce syst¢me, en l’incorporant dans l’ordre alphabétique. Sous la rubri- que couteau, se lisent les verbes : affdter, aiguiser, repasser les couteaux ; et les substantifs : coutelas, couperet, navaja, poignard, surin, bistouri, scalpel .tous, sans @tre Senenomeel apparentés les uns aux au- tres. Ce classement instruc- tif permet de retrouver les} mots momentanément ou- bliés. Ajoutons qu’un diction- naire, méme excellent, ne suffit pas 4 saisir les secrets de la langue. Le Petit Robert aide 4 mieux percevoir l’es- prit du fous ais. Mais le gé- nie de la langue francaise tres. Dans son roman de l’Escapade, Henri de Ré- gnier, peignant la vie des brigands et des hobereaux écrit : ‘‘Haussant les épaules, il pressa le pas de son che- val et prit la téte du déta-. chement, tout en regardant le visage argenté de la lune qui s’;7EMBRIGANDAIT par- fois du masque mouvant d’un. nuage noir’’. Ne cherchez pas au diction- naire le verbe ‘‘s’embrigan- der’’. Il s’agit d’une inven- tion verbale et fort louable. Elle forme une image. Elle se modéle sur les verbes s’enrober et s’encanailler, dont elle évoque par asso- ciation d’idées les sens res- pectifs. «Le Voyou” par Jennifer Lutham. Qui est-il? Robin des Bois, un ‘‘super-homme’’, spécia- liste des évasions audacieu- ses, un séducteur, un hors- la-loi qui démasque l’hypo- crisie de la société conven- tionnelle ? Nous en avons pour notre argent dans ce film, véhicule pour Jean- Louis Trintignant, la ve- dette du moment. Déja, au Varsity, nous avions pu le voir dans les rdles suivants: un amant intellectuel dans ‘‘Ma Nuit Chez Maud’’, un coureur automobile dans **Un Homme et Une Femme’’ et ‘‘Le Conformiste’’, un film tiré d’un roman d’Al- berto Moravia. ‘*The Crook’’, titre adopté comme traduction, ne rend ni le sens du mot ‘‘voyou’’ ni l’interprétation donnée par le metteur en scéne et par l’acteur. Simon (dit ‘‘le Suisse’’ 4 cause de sa précision) n’est pas un étre crapuleux : beau parleur, puisqu’ancien avo- cat, et toujours bien habillé, il est plutdt enfant terrible. En plus mar, il fait penser 4 Albert Finney dans ‘‘Tom Jones’’. Simon adore le dan- ger qui donne du relief 4son existence. Plutdt que de me- ner une vie bourgeoise, il préfére employer ses dons 4 la réalisation de coups au- dacieux. A ses cdtés, deux femmes et un complice gri- sonnant, Charles. Celle qui apparaft la pre- miére est Daniéle Delorme, une dactylo blonde que Simon aborde au cinéma lors de son évasion de prison. Il commence 4l’embras- ser, tout en la menacant avec un couteau, pour éevi- ter d’étre reconnu par les détectives qui fouillent la salle (le coup classique !). Ensuite, le voyou l’oblige a l’héberger dans son ap- partement et finalement il l’apprivoise tout & fait. La menace passée, Simon se rend au parc. La caméra permet une belle scéne fluide : sous les feuillages qui se balancent, imprécis, les enfants jouent, surveillés par les jeunes femmes épa- nouies, en robes légéres. Simon s’assied 4 cOté d’une beauté Florentine (Christine Lelouch, €pouse du met- teur en scéne). On apprend qu’elle avait été la maftresse de Simon et que Jl’enfant qui joue dans le sable sans le connaftre, est Alui. Simon embrasse la petite avec af- fection et curiosité, mais il démontre un plaisir plus vif, lorsque son amie le féli- cite sur son évasion. Profon- dément égoiste, le Suisse ‘semble incapable d’aimer, malgré sa fagon d’inspirer l’amour dans les autres. Il n’est pas sadique et ne fait de mal (physiquement au moins) 4 personne. Simon persuade facilement son amie de l’aider dans sa nou- velle entreprise - un rapt- et elle accepte de tromper. son mari, un monsieur riche et respecté. Il s’agit de l’enlévement d’un garconnet par Simon, qui est au courant d’un faux jeu publicitaire Simca. Les parents sont invités au Thé- atre Olympia, pour y écouter le débonnaire Sacha Distel. Le pére travaille 4la banque et c’est la banque que Simon fait chanter. Les directeurs acceptent de payer la rangon, par peur de perdre la face devant leurs clients, mais ils cachent ces mobiles sous le voile de la philanthropie. . On démasque aussi la po- lice, lourde, inefficace et bon enfant. Simon s’est fait prendre en raison de la trahison du pére du petit Daniel (le petit employe bredouillant qui était complice - rdle qui est trés bieninterprété). (Suite p. 9) VII, LE SOLEIL, 6 AOUT- 1971 .demeure l’apanage des maf-}|