12, Le Soleil de Colombie, Vendredi 10 Décembre 1976 MONTAGNES DE LUMIERE Un vendredi soir, des a- mis de frafche date m’a- vaient invité A dfner pour le jeudi suivant. Is habi- taient West-Vancouver. Au teléphone, l’hdtesse m’a- vait expliqué comment parvenir chez eux. Comme je m’égare toujours, j’ai décidé, ce matin-la, de pousser une reconnaissan- ce vers leur quartier. Quel brouillard, mes a- mis! On n’y voit pas 4 dix tours de roues. On longe des maisons blafardes. On traverse une ville et un parc fantOmes. Le pont suspendu s’enfonce dans .un tunnel laiteux od cli- gnotent des feux timides. De temps en temps, une siréne mugit. C’est le **fog-horn’’, la corne du brouillard. On sait que ce signal un peu lugubre an- nonce aux cargos les ap- proches du port. West-Vancouver a_ ses panneaux-réclames, ses magasins; ses garages hé- téroclites. - Nous quittons cette masquarade pour monter dans la montagne. Les routes serpentent 4 travers un paysage au Cray on noir. Et voila que nous sortons de la nappe cotonneuse, pour émerger dans une zo- ne ensoleillée. Comment rendre cette impression de redécouverte d’un paradis perdu. Une trouée, aprés une noyade, sous lacoupo- . le du ciel bleu: Il semble qu’on retrouve le bonheur, V’amour, la jeunesse, a- prés une vieillesse éteinte. Les verdures reprennent leurs couleurs entamées par les rousseurs del’au- tomne. De superbes villas _un vaste pas par Roger DUFRANF déploient leurs terrasses et leurs massifs. On croit accéder 4 un autre pays- Les montagnes se déta- chent, noires, grises, nu- ancées. Et le soleil brille et le jour chante! Nous voici au fafte d’une colline. Aprés avoir tour- “né en rond et nous étre é- garés quelque peu, nous découvrons la rue ot habi- tent nos hdtes. Faisons de- mi-tour et sortons de la voiture, pour nous dégour- dir les jambes. Aucune brise ne souffle et nos manteaux nous pésent. Les sons vibrent aussi purs qu’au mois de Juin.Or, ce n’est pas le bruit des ton- deuses 4 gazon qu’on en- tend; mais une sorte de rumeur crissante et mul- tiple de feuilles qu’onra- tisse. Les habitants, 4u passage, seretournent sur nous et nous donnent le bonjour. Nous régnons sur Dans l’ample vallée,s’étale une couverture blanchatre qui supporte un semblant de forét aérienne: les cfmes du Parc Stanley. Le reste, plus lointain de la ville de- meure noyé dans le blanc. Nous regardons autour de nous le paysage lumineux et coloré. Nous piétinons les feuilles séches. Quel contraste! Ici, un autom- ne rutilant et splendide, chaud comme un été trop mtr. La-bas, l’hiver eX- sangue et sombre. Qu’il doit faire bon vivre .dans lair salubre qui nous en- - toure. Mais il faut redes- cendre. La route ondule- Et nous voici replonges dans le gris et le morne de Novembre. ' Halte Cette matinée nous aura rappelé qu’une ville etson site ne sont jamais sim- ples. De méme que s’y superposent différents groupes sociaux, des fi- gures diverses s’y étagent pour former un monde miniature, avec ses but- tes et ses vallons, ses masures et ses chateaux, ses brumes et ses_ so- leils. & Stanley Park. C’est aujourd’hui le ll No- vembre, jour ot le- Cana- da se souvient de ses morts. L’humidité ac- croche aux arbres d’im- menses toiles d’araignée. Sur une pelouse, au bord de l’eau glauque, quelques camions bachés attendent. Des soldats et des civils battent la semelle. Trois canons sont pointés vers la ville invisible. Onze heures! Les trois canons, servis par des artilleurs agenouillés, crachent le feu. Les détonations se répercutent comme un roulement detonnerre.Ah! Si ces canons pouvaient déchirer la brume et nous rendre le soleil, ce soleil qui brille si pur, tout 1la- haut, sur les terrasses blanches et blondes de West- Vancouver! Ce soir-l4, nous avons déniché la maison, 4 flanc de coteau, de nos hdtes. U- ne longue galerie y do- mine le Vancouver noctur- ne. De lointaines lumié- res frémissaient dans le lointzin. Bonne table, bonne . ambiance, propos animés sur différents pays. Accueil inoubliable! Relire... — LP Desrosiers Léo-Pau!l Desrosiers a été durant toute sa vie l’exemple méme de |’écrivain discret. Né a Berthier en 1896, il a fait ses débuts a la revue de Lionel Groulx, Action francaise, puis comme journaliste au Canada et au Devoir. Mais tres tét, aprés.son mariage a I'écrivain Michelle LeNorman4d, il va vivre a Ottawa, ou il occupe un poste de fonctionnaire et se con- sacre en silence a la rédaction de ses premiers romans. Revenu a Montréal vers 1930, il y devient conservateur de la Bibliothéque Municipale, autre métier paisible qui lui permet de poursuivre tranquillement l'élaboration de son oeuvre, En- fin, il passera les dix derniéres années de sa vie en pleine solitude, a Saint-Sauveur, et mourra en 1967, tout aussi discrétement qu'il avait vécu. Depuis lors, c'est également dans la discrétion que s’est maintenue sa renommée, qui n'est pas celle d'un géant de notre littérature, mais bien d’un écrivain dont l’oeuvre, sans éblouir, se lit encore avec beaucoup d’intérét et de plaisir. Cette oeuvre est abondante et diverse. Une part importante . reléve de_ |’historiographie, . Bow ivever eons gle Ce SOE Be Oe par Francois Ricard comme la grande étude in- titulée lroquoisie ou es biographies de Marguerite ‘Bourgeoys, Jeanne ‘Le Ber et Maisonneuve. Mais le plus in- téressant reste l’oeuvre de fic- tion, commencée dés 1922 par un livre aujourd’hui oublié, mais dont le titre, Ames et paysages, pourrait s'appliquer a presque tous les romans dé Desrosiers, qui sont consacréS Surtout a l’évocation des rela- tions entre l'homme et les lieu qui l’entourent. C’est le cas notamment de ses romans ditS historiques, dont Jintérét réside naturellement dans !a reconstitution qui y est faite dé certaines époques de notre passé, mais qui captivent peut- 6tre davantage par le rapport constant qui y est établi entre les passions ou les désirs des personnages et les paysageS _ qui leur servent a la fois de theatre et de mode d'expres- sion privilégié. Trois de ces romans sont a lire (ou a relire)- Nord-Sud, qui relate un épisode de la quéte de !'or en Californie. vers 1850; Les Opiniatres (collection du Nénuphar), qui font revivre I"6poque des défricheurs de !2 » Nouvelle-France; et surtout Les Engagés du Grand-Portage | 2 Sie ss eR ES SRL RLS ESR EO - (collection «Bibliotheque canadienne-francaise»), épopée des voyageurs du Nord- Ouest au début du 19 siécle et qui demeure une des grandes oeuvres de la_ littérature québécoise. Mais il existe, dans la méme collection «Bibliothéque - canadienne-frangaise», c’est-a- dire a prix trés modique, un autre petit foman de - Desrosiers, peu connu et cependant excellent: L’Ampoule d’or. C'est un récit gaspésien, d'une écriture sur- prenante et plein de magnifi- ques descriptions. A lire méme si vous n’allez pas en Gaspésie prochainement. Enfin, on peut consulter, sur la.vie et les écrits de Léo-Paul Desrosiers, le petit livre trés bien documenté que Julia Richer a publié dans la collec- tion «Ecrivains canadiens d’au- jourd’hui» (n° 4), ou encore l'étude plus technique mais trés intelligente de Michelle Gélinas: Léo-Paul Desrosiers ou le récit ambigu (Presses de "'Université de Montréal, col- lection «Lignes québécoises»). = Le Coin du Traducteur 2 * éeeeeeereers ECONOMIC ADJUSTMENT (trav: ) Définition: Relévement des salaires en fonction de l’aug- mentation du coat de la vie. Traduction: RAJUSTEMENT Observation: En -matiére de rémunération, le mot RA- JUSTEMENT impliquant genéralement une augmenta- tion proportionnelle au cofit de la vie, il est superflu de parler de ‘‘rajustement économique’’. WORKSHOP Définition: 1 - Dans un congrés, cellule de travail char- gée d’approfondir une question - Traduction: COMMISSION 2 - Groupe de travail se livrant A des expériences et A- des applications pratiques. Traduction: ATELIER ‘TORT. (ETRE EN. .”-) Par contamination avec la locution de sens voisin, ETRE EN FAUTE, on tend 4 dire ETRE EN TORT plutot que ETRE DANS SON TORT, comme l’exigeraitle bon usage. Cette dérogation, quoique mineure, ler. n’est pas 4 conseil- (A DECONSEILLER) I] a dQ payer les dommages puisqu’il ETAIT EN TORT - Ila dQ payer les gommages puisqu’ilETAIT DANS SON TORT. DUTY ENTERTAINMENT (gestion) Définition: Dépenses engagées pour recevoir des clients ou des relations d’affaires. ‘Traduction: FRAIS DE REPRESENTATION Observation: * L’expression AMENITES PROFESSION- NELLES, tout en étant exacte, est un peu prétentieuse. FUSIONNER 1 - Ce verbe peut s’employer transitivement ou in- transitivement, mais 4 la forme pronominale - Ex.: Fusionner deux partis politiques - Ces deux partis ont fusionné - 2 - Toutefois, S’ALLIER, S’ASSOCIER, Vvanalogie avec des verbes S’UNIR, SE FONDRE, comme tend a favoriser la forme pronominale, qui n "est pas erage re reconnue du bon usage - (FAUX) Ces deux sociétés SE SONT FUSIONNEES | - (EXACT) Ces deux sociétés ont fusionné - _A Québec - Maintenant, je ne peux plus avaler ce qu’on m’a fait boire depuis longtemps Regarde, ma gorge est serrée entre deux réalités qui me battent qui me frappent J’aimerais bien boire encore mais j’hésite; Je ne sais plus dans quel ruisseau l’eau est pure! L. Quirk Lemot du yout par Louis- Paul BEGUIN UNE TRADUCTION. .. . ROYALE -_ C’était, je crois, en 1903. L’entente cordiale nais- sait. Le président de Fran- ce, Emile Loubet, avait re- gu Edouard VII 4 Paris et les Parisiens, toujours irrespectueux, avaient chanté: viens, Mimile, v’l4 Edou- ard qui vient. ..’’, sur lair A la mode: ‘*Viens,. poupoule!?’ Et puis E-— douard VII invita le pré- sident Loubet 4 venir en Angleterre. On devait le décorer del’Ordre dela Jarretiére. Mais il fallait que le digne président se mette, eh oui, en culotte pour l’événement. Jamais! répondit M. Loubet, et il gagna lapartie et partit 4 Londres encomplet ves- ton, comme tout le monde. | th va *¢Viens Mimile, - . Comme l’amour le plus tendre régnait entre Fran- gais et Anglais, on lui fit une belle réception. On avait glissé dans la poche de M. Loubet les conseils suivants: reine dure d’o- reille, articuler nette- ment. Le cortége s’ébran- le sous les calicots ba- riolés -qui décorent les rues. Sur 1’un, le prési- dent Loubet lit avec effa- rement (lui, petit homme, sec et sérieux): ‘‘Welcome a M. Loubet’’. Vive LE LONG président. - Une traduction, 4 l’époque, de l’anglais: ‘*Long live the président’’. Le roi.Edouard VII, qui parlait un excellent fran- ais, souriait dans sa arbe. Dans une librairie munici- ‘pale, cette .pancarte: «Les livres, eux, ne s‘interrompent jamais pour communiquer des messages publicitaires ». .QUEBEC-INTER,