= eee — Sen a ee a NS en ca . Une lueur blafarde filtrait a travers la transparence de Vabat-jour qui coiffait une petite lampe de chevet posée sur une table, a proximité d’un lit blanc, l’un de ces lits d’hépital qui recevaient a toutes heures du jour les grands blessés dont la vie aux prises avec la mort, livrait d’incessantes_batail- les. Depuis quelques semai- nes déja, la guerre.vietna- mienne s’intensifiait; elle bouleversait surtout les envi- rons de Phan-Thiet, ou des deux cdtés du front les combattants tombaient et se multipliaient, sans pour cela mettre un terme aux tragi- ques activités qui n’appor- taient aucun changement appréciable dans le conflit. Ce soit, a la faveur d'une tréve proposée a l'occasion de la Noél, et qui favorisera en quelque sorte les ennemis Nord-Vietnamiens, empres- sés a se ravitailler ou a faire de nouveaux préparatifs, la paix se faisait sentir. Le bruit du canon s’était tu, et dans les parages de ce malheureux canton, la fumée des combats se dissipait peu a peu. A Vhépital militaire aussi bien qu’au sein des demeures de la région, on respirait plus a l'aise. La perspective de ces quelques jours de répit donnait lieu a la célébration de Noél et permettait de revoir parents et amis que la guerre dispersait ou retenait éloignés les uns des autres, quand ce n’était I’éternelle séparation. Les rues désertes d’ordinai- re, s'encombraient de gens nerveux, affairés autour des boutiques comme aux portes des magasins ou l’existence normale, pour un moment, semblait reprendre son cours habituel. 'C@’était la nuit presque, lune de ces nuits orientales ou le firmament, telle une nappe de velours sombre se dégageait pour laisser parai- tre des étoiles scintillantes aux reflets argentés-Dans les couloirs de l’hépital, les infirmiéres vétues de blanc et portant le brassard de la Croix-Rouge, circulaient a pas discrets. Chacune d’elles allait ot le devoir la réclamait toujours avec le méme souri- re, le méme dévoyement qui aidaient 4 remonter le moral du soldat en détresse et a lui redonner confiance dans la douleur et le désarroi éprou- vés tour a tour. Il y avait aussi 4 combattre la nostal- gie du pays, cette vaste terre d’Amérique que les braves garcons avaient quittée pour venir secourir les Vietna- miens du Sud odieusement envahis, et qu’ils n’étaient pas sfirs de revoir. Tant de mois écoulés déja et la guerre existait toujours la-bas, sans quel’on en puisse encore espérer la fin. La population entiére était sur le qui-vive, redoutant a cha- que instant les bombarde- ments meurtriers qui attei- gnaient aussi bien les établis- sements sanitaires que les maisons environnantes. Tout était sujet a destruction. Mais présentement le danger cédait la place a une demi- sécurité, et la venue de Noél s’annongait paisible et bonne en dépit de l'heure trouble et des circonstances, cauche- mar vécu au-coeur de la réalité. Enid Parker, l'infirmiére en chef, sur les épaules de laquelle retombaient les plus lourdes charges, se dirigeait S: G'S aa CHS. SI VOUS CONDUISEZ NE BUVEZ PAS @:68:2 vers une petite piéce atte- nant ala grande salle; elle poussa la porte, entra, et d’un regard scrutateur fixa le blessé qui s’agitait. — Vous ne pouvez dormir, nest-ce pas?. Il eut un geste de la main. — Je n’ai pas sommeil. — Vous souffrez sans doute?. Il ferma les yeux puis lentement avoua: — Pas plus qu hier bien str, mais tout autant que ce matin. — Ce n'est pas petidire, je vais immédiatement vous - donner un ¢achet, et vous allez vous reposer. Le jeune sergent se rebiffa aussit6t: — Je vous en prie, n’en faites rien. On ne s’en- dort pas la veille de Noél. — Et pourquoi donc, me le direz-vous? — Parce que ... c’est un beau soir, voila tout. — Ce n’est surement pas une raison, répliqua enriant la jeune femme. Vous m’éton- nez sergent Mohls. Hier encore, vous avez déclaré que ce temps des Fétes ne vous intéressait plus, et voici maintenant que vous étes d’avis contraire, me semble- t-il. — C’est fort possible, j’ai changé d’idée depuis lors. J’en ai bien le droit, n’est-ce- pas? Elle le regarda perplexe pour répondre: — C’est fort — Assuréme »nt, rien ne s’y oppose, je vais tout de méme vous administrer un calmant. Il secoua la téte sur l’oreiller, mais elle fit comme elle l’en avait décidé. En bonne infi- miére consciencieuse, Enid Parker ne se laissait jamais © ‘ fléchir devant la résistance d'un patient qui refusait de prendre les médicaments, ou encore d’observer les ordon- nances du médecin. Souvent elle avait été 4 méme de constater que les plus rudes gaillards sont parfois les malades les mieux dociles, tandis que les autres, tel le sergent Mohls cédent a leurs caprices et donnent du souci aux femmes admirables qui leur prodiguent des soins. Elle se mit 4 vaquer dans la chambre, remettant en place les rideaux écartés, tout en déclarant: — C’est une trés_ belle nuit. Noél s’annonce bien cette année. Sans lui permettre de continuer sur le méme ton, il s’enquéra briévement: — Aujourd’hui, est-ce qu’il n’y a pas eu de courrier pour moi? — Non, dit-elle avec regret, aucune lettre 4 votre adres- se. — On n’est pas venu me voir, dites donc, personne ne m’a demandé?. II insistait, et l'on sentait un peu d’anxiété dans sa voix. — Personne en effet; d’ail- leurs, vous savez bien que toutes visites en votre cham- bre étaient interdites par ordre du médecin-major. Il resta silencieux, suivant les moindres gestes de I’infir- miére dont la personnalité en > imposait. Soudain, il lui adressa la parole: — Voulez-vous Madame, avoir la bonté de me prévenir lorsqu’il sera minuit? — C’est donc siimportant? demanda-t-elle mi-sérieuse, mi-intriguée. — Trés impor- tant je vous l’assure. Surtout n’oubliez pas cette heure précise alors que les cloches sonneront a toute volée, car elles sonneront, je suppose? ‘— Mais oui, nos cloches tinteront en méme temps que les bourdons de Bethiéem. — Alors, reprit-il plus rassu- ré, je compte sur votre obligeance. Vous étes un grand enfant, dit-elle simplement en bor- dant le lit. Puis elle disparut, légére comme une fée, fer- mant la porte sur ses pas. Longtemps aprés, dans sa solitude, le sergent Mohle demeura immobile, le regard attaché sur une petite photo reproduisant un joli minois de jeune fille, et sur lequel la clarté de la lampe tombait avec chaleur. Des souvenirs divers lui revenaient a la mémoire, le ramenant en arriére dans l’ombre douce du passé, pas trés loin encore, mais qui tout de méme n’étaient plus d’hier. Il se revoyait jeune garcon a tout age, choyé, heureux au sein de sa famille, vivant a Phoenix ville capitale de l'état de l’Arizona ot les Noéls joyeux s’étaient succé- dés les uns aux autres, procurant les mémes joies, les petits bonheurs analo- gues, pour laisser en luice regret mélancolique des choses enfuies qui ne revien- ront plus. Il se rappelait aussi les années collégiales alors qu'il faisait partie de la Soda ages 2S: || est minuit @& te surgit en son esprit inquiet, celle d’une jeune fille blonde aux yeux foncés, taillés en amande, qui lui plaisait 4 l’extréme. Depuis Vhospitalisation, il n’avait rien appris a son sujet, ignorant tout a fait ce qu’elle était devenue. Leurs dernié- res rencontres remontaient déja a plusieurs semaines d’intervalles au cours des- quelles il lui avait écrit sans recevoir de réponse. Medge savait-elle aujourd’hui qu'il était blessé puis immobilisé? ‘Cherchera-t-elle a le revoir si toutefois elle demeurait ‘encore en ces parages? Un vague espoir le ressaisit, et comme autrefois 4 l’'aube de la grande Nuit, il se prit a formuler un voeu, avec I’ar- deur de cette foi naive qui nait au coeur de tous les amoureux de tous les pays du monde. L’heure avait fui sous l’em- prise de cette longue réverie qui l’avait tenu éveillé. La douleur de sa blessure s’était chorale de !'institution, et ces jolis cantiques de Noél qui savaient si bien l’impression- ner. Il songeait encore au beau sapin décoré de boules multicolores , ruisselant de lumiére, et dont les rameaux verts se couvraient de neige artificielle. Toujours posé. dans un angle de la piéce de séjour, cet arbre majestueux gardait a son pied le fidéle compagnie de tous les jours, le vieux chien “Sam” qu'il ne devait plus revoir mais que le temps ne saura effacer |’ima- ge-gravée dans son coeur. Puis venaient ensuite les agapes familiales, le congé des Fétes ot I’on ne parlait point de bouquins, de proble- mes, et de discipline. Et les amis, filles et garcons avec lesquels il s’entendait si bien. Plus tard, les premiers flirts amusants mais sans consé- quence, et les multiples dis- tractions appropriées a son Age, comme a Sa condition sociale dont il avait appris 4 faire grand soin. Enfin Rémy Mohls repassa les premiers instants du service militaire qui devait décider de son avenir, puisqu’il choisissait la carriére des armes le condui- sant sur les champs de batailles d’ot il commencait lapprentissagee. Une pre- miére blessure douloureuse et grave l’avait conduit a l'Hopital, il se remémorait les premiers faits, et les camara- des tombés avec lui. Puis soudain une vision charman- ‘calmée. Du dehors, on perce- vait le bruit des véhicules mélé au son plus clair des carillons. La porte s’ouvrit, une silhouette blanche se précisa pour ensuite s’appro- cher du lit en disant: — Sergent Mohls, les cloches carillonnent, il est minuit. — Merci garde Parker, et Joyeux Noél! — Joyeux Noél répéta-t-elle, son message accompli. Le matin s’était levé sur Phan Thiet répandant une vague sérénité autour de Vhépital ob chaque individu savait que cette courte paix était provisoire et qu’elle cesserait demain avec la tréve prenant fin. Un soleil radieux, plus fort aux heures" de sieste, diffusait ses rayons épars et promenait sur les murs de Ja petite chambre de folles arabesques. Discréte- ment, l’infirmiére de service apparut dans l’embrasure de la porte ouverte, annoncgant: — Sergent Mohls, une jeune personne désire vous voir. Le malade se