page 6 L’APPEL Février 1968 Une Histoire de la Colombie-Britannique Chapitre IX Les douleurs de 1’enfantement C’était bien le cas d’un enfantement diffi- cile que celui de mettre au monde une colonie telle celle de l’ile Vancouver au ecarrefour de trois époques. Nous avons parlé de l’épopée maritime; celle qui a vu se confondre les as- pects ausi contradictoires que la piraterie en haute mer, l’exploitation. des cdtes continenta- les non colonisées, par les aventuriers 4 toute enseigne qui trafiquaient avec les indigénes, et, les explorations historiques qui ont produit les premiéres cartes géographiques des cétes nord- ouest du continent américain. Cette épopée a eu le malheur d’étre marquée par 1l’opportu- nisme des trafiquants qui laissérent derriére eux une réputation peu enviable qui ne fait pas honneur aux blancs. L’aspect négatif de cette période est trés peu relevé parce’que Vhistoire n’en a pas été écrite par les victimes, mais, plutédt, par ceux qui avaient intérét a y chercher la gloire. On le constate de maintes facons puisque les grands noms qui rappellent l’époque sont justement ceux d’explorateurs qui, somme toute, ont bien peu fait pour établir les jalons de l’Empire si- non de poser, ¢a et la, sur les plages, le dra- peau symbolique du droit universel de proprié- té britannique. On a beau tourner et retourner les pages des excursions du capitaine Vancouver ou de James Cook; on est forcé de conclure qu’ils ont limité leurs travaux 4 la cartographie sommai- re des cétes pour les besoins de la flotte. Pour- tant, leurs noms dominent dans l’histoire de la Colombie Britannique. Le phénoméne pourrait s’expliquer du fait que les dossiers relévent plus des dimensions de ]’Empire, par lui-méme, que des détails territoriaux. La deuxiéme convergenée et la plus impor- tante fut celle des explorations d’est en ouest par le continent. Elles sont mieux connues sous le vocable des monopoles de la Compagnie de la Baie d’Hudson et de la Compagnie du Nord: Ouest. C’est cette derniére qui fut vraiment. responsable de ]’expansion des colonies britan- niques des terres de Selkirk (le Manitoba ac- tuel) jusqu’aux eaux du Pacifique. Sans la fu- sion de ces 2 compagnies en une seule, qui prit le nom de la premiére, il ne fait pas de doute que la Compagnie du Nord-Ouest aurait le prin- cipal crédit de ce vaste empire nord-américain. Il va sans dire qu’en termes de résultats con- erets, on pourrait facilement effacer de l’histoi- re le chapitre des “Maritimers” et ¢a ne change rait que la toponymie des lieux. Ce fut aussi l’époque des “voyageurs” ca- nadiens francais et des agents écossais de la Compagnie du Nord-Ouest. Nous avons aussi insisté sur le genre de “troika” 4 traction hu- maine qui a posé les jalons du Canada d’un bassin 4 l’autre des deux océans: le “serf jo- yeux” a la rame légére et aux épaules courbées qu’était le voyageur canadien-frangais; ]’aven- ° turier ambitieux qu’était l’explorateur écossais et Vindigéne naif qui servait de guide pour céder son patrimoine. En humaniste que nous prétendons étre, c’est encore ce “trio” qui souléve chez nous le plus d’intérét. On y a a- jouté, par la suite, le chapeau des missionnaires afin de garantir l’infrastructure de la civilisa- tion appelée tantét chrétienne tant6t européen- ne selon ce qui fait mieux ]’affaire..- A cette croisée de deux époques un troisié- me plan vint se greffer. Ce fut celui de la cour- se a l’or. La nouvelle s’était répandue avec une rapidité surprenante, pour les moyens de com- munications du temps, que les riviéres et les eriques de la Colombie dévalaient sur des ta- pis d’or. Ceci coincidait avec l’épuisement des claims en Californie et ailleurs sur la céte ouest des Etats-Unis. C’est done par hordes qu’arrivaient les prospecteurs de tout acabit, les aventuriers et leur suite naturelle de “gam- blers’’, filles de joie et sujets louches. C’est & ce moment précis que revenait a Victoria, Mgr Modeste Demers, accompagné de quelques prétres-missionnaires et de quatre religieuses de la congrégation de Ste-Anne. L’activité, au fort Victoria, avait un caractére inaccoutumé. L’ordre établi par le gouverneur Douglas, avec l’aide de ses “voltigeurs”, une équipe policiére volante chargée de régler les litiges mineurs, était menacé par une vague nouvelle de trafic illicite. Les colons légitimes, au nombre de quelques centaines, se tenaient pour dit qu’il ne fallait plus utiliser les bois- sons alcooliques pour fraterniser avec les in- digénes. Tout cela allait changer. Si bien que bient6t aprés cette nouvelle invasion, une épi- démie de petite vérole, apportée par les itiné- rants, devait faire autant de ravages chez la population des Indiens que les balles de 1’ar- mée des Etats-Unis en avaient fait chez leurs fréres d’outre-frontiéres. Les découvertes d’or du Fraser ont attiré, de 1857 4 1859, environ 100,000 individus dans le Nord-Ouest. La collaboration et ’amitié sincéres qui unis- saient Mgr Modeste Demers et le gouverneur James Douglas attinrent un fort degré d’im- portance au cours de cette période de crise sociale, sinon politique. La Marine Royale dont une flottille assurait la protection de la colonie, sévissait avec ri- gueur contre tout élément qui pouvait menacer la paix fragile entre blancs et indigénes. Le role de médiateur qu’assuma Mer Demers em- pécha que ne se déclara une guerre ouverte en- tre Indiens et mariniers britanniques. Tout ac- te de pillage ou de terrorisme de la part d’in- dividus de race indienne était généralement imputé a la tribu entiére. Des représailles des- tinées 4 démontrer qui avait autorité venaient instinectivement a l’esprit des officiers. Voici un exemple de ce que nous venons de dire: (tiré des notes biographiques sur Mgr